« bailler », définition dans le dictionnaire Littré

bailler

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

bailler

(ba-llé, ll mouillées, et non ba-yé ; il faut bien prendre garde à ne pas assimiler ce mot à bâiller qui a un a long) v. a.
  • 1Donner. Bailler des coups. Un échange Où se prend et se baille un ange pour un ange, Malherbe, VI, 6. Telle je me résous de vous bailler en garde Aux fastes éternels de la postérité, Malherbe, IV, 4. Qui baillent pour raisons des chansons et des bourdes, Régnier, Sat. X. … Et baillant à chaque être et corps et mouvements, Régnier, Poem. sacré. Que l'autre… Même, s'il est besoin, baille son héritage, Régnier, Sat. XI. Ils ne les pourraient quitter sans bailler au monde sujet de parler, Pascal, Prov. 10. Comme vous baillez des soufflets, Molière, Amph. I, 2. Je m'en vais te bailler une comparaison, Molière, Éc. des f. II, 3. Je te baillerai sur le nez si tu ris, Molière, Bourg. gent. III, 2. Je veux vous bailler ici quelque petite signifiance de ce que j'ai remarqué de la littérature actuelle, Courier, Lett. 39. Il vieillit en ce sens.

    Dans le langage de l'ancienne chevalerie, bailler sa foi était synonyme de tous les prodiges de l'honneur, Chateaubriand, Génie, I, II, 2.

  • 2 En termes de pratique, donner, mettre en main. Bailler à ferme, bailler par contrat. Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez, Molière, Scapin, II, 8.
  • 3 Familièrement. En bailler d'une belle ; la bailler bonne, belle ; c'est-à-dire chercher à en faire accroire. Vous me la baillez bonne, Molière, l'Étour. III, 4.

    Bailler le lièvre par l'oreille, faire de belles promesses. Napoléon ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse, Courier, II, 224.

  • 4 Terme de marine. Jeter de la rogue des maquereaux sur les filets traînés par des bateaux, pour prendre des sardines.

HISTORIQUE

XIe s. Il nen est dreiz que Paien te [Durandal l'épée] baillisent [portent], Ch. de Rol. CLXX. Charles lui dist : Cuivert, mar le baillastes [vous l'avez maltraité], ib. CCLI. Baliganz sire, mal estes hui baillit, ib. CCLV.

XIIe s. [Ils] Ne sorent la corone cui [à qui] donner ne baillier, Sax. IV. Puis li bailliez la chartre où li seax d'or pend, ib. XX. L'arcevesque Thomas tut avant s'en ala ; La cruiz arceveskal il meïsmes porta ; à nul ne l'ad baillie, Th. le mart. 39. Li autre l'ont laissié tut sul enmi l'estur, Et le corn ont baillié en main à pecheür, Ne l'espée Deu traire n'en osent par poür [peur], ib. 28. Trestote Espaigne vous tenrez à bailler [gouverner], Ronc. p. 3. Or me bailliez le gant, ib. p. 12. Mais ne plut [à] Deu, qui tout a à baillir, ib. p. 55. Qui tant fut preuz pour ses armes baillier, ib. p. 99. Escu [ils] lui baillent où ot peint un lion, ib. p. 182.

XIIIe s. Et li dus li bailla de vaisseaus et de galies tant comme il li en convint, Villehardouin, LVI. Et de ce leur baillerent il bonnes chartes pendans, por confermier tout pleinement tex convenances comme il feroient, Villehardouin, X. À sa mere [elle] le [l'anneau] baille, mout pleure et mout s'esmaie, Berte, VIII. Mantiau de fin drap d'or [il] fait à chascun bailler, ib. CXXIX. N'il n'i a point d'amor sans faille En fame qui por don se baille, la Rose, 8318. Li bers a trait l'espée dont li pons [poignée] fu d'or mier, Vers Sansadoine point, mais ne le pot baillier [tenir, atteindre] ; Car plus va ses chevaus que ne vole espervier, Ch. d'Ant. V, 602. Voirs est que li demanderes qui se veut aidier des letres, ne les baurra [baillera] pas, s'il ne li plest, au deffendeur, Beaumanoir, VII, 24. Et aussi se partie me requiert que je li baille conseil, Beaumanoir, V, 19. S'aucuns me prie que je rechoive vingt livres por li d'aucun qui li doit, ou il me baut vingt livres à garder, Beaumanoir, XXIX, 17. Et s'il est si povres, qu'il ne puist baillier nans [nantissements], Beaumanoir, LI, 7. Le roy commanda à monseigneur Jehan de Biaumont, que il feist bailler une galie [galère] à monseigneur Erart de Brienne et à moy, Joinville, 214. Se li rois vous avoit baillé la Rochelle à garder qui est en la marche…, ib. 197.

XIVe s. Et les sciences [étaient] communement baillées en grec, et en ce pays le langaige commun et naturel c'estoit latin, Oresme, Prolog. Une science qui est forte quant est de soy, ne peult pas estre baillée en termes legiers à entendre, Oresme, ib.

XVe s. Avisez-vous, seigneurs cardinaux, et nous baillez un pape romain, qui nous demeure, Froissart, II, II, 21. Et autres villes baillées par le roy Charles septiesme au duc…, Commines, I, 1. Les villes leur bailloient ce qu'ils vouloient pour leur argent, Commines, I, 2.

XVIe s. Je luy baillyz si vert dronos [un coup si sec] sus les doigts, à tout mon javelot, que il n'y retourna pas deux foiz, Rabelais, Pant. II, 14. Bailler une grande somme d'argent au change, Montaigne, I, 44. Plus les tyrans pillent, plus ils exigent ; plus on leur baille, plus on les sert, Montaigne, IV, 351. Tu en bailles bien à nos resveurs de philosophes, Despériers, Cymbal. 92. Il lui bailla sa coquille : Aristide escrivit luy-mesme son nom dessus la coquille, et la luy rebailla, Amyot, Arist. 20.

ÉTYMOLOGIE

Normand, je baurai, je baillerai ; provenç. bailar, baillir ; anc. catal. baillir ; bas-lat. bajulare, diriger, gouverner, de bajulus, tuteur, baile, pédagogue, du latin bajulare, porter ; de sorte qu'un mot qui ne signifiait dans le latin que porter un fardeau, a pris, dans les langues romanes, les sens dérivés les plus étendus : tenir, donner, garder, gouverner, traiter. La conjugaison était double : bailler et baillir, d'où, dans l'ancien français, baillie, autorité, puissance, et bailli. On remarquera aussi le futur, je baurai, conservé dans les patois, mode ancien de conjuguer dont des traces se retrouvent dans je lairrai, forme populaire de je laisserai, et dans j'enverrai.