« coûter », définition dans le dictionnaire Littré

coûter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

coûter

(kou-té) v. n.
  • 1Être acquis à un certain prix. Combien vous coûte cette étoffe, ce cheval, cette maison ?
  • 2Causer des frais, de la dépense. Combien coûte un cheval à nourrir ? Les réparations de sa maison lui ont coûté dix mille francs.

    Il m'en coûte bon, j'ai payé fort cher ; et fig. cela m'a été très onéreux, très pénible.

    Coûter cher, revenir à un prix élevé.

    Fig. Cette sottise lui coûtera cher, il en sera cruellement puni. Son amitié vous a coûté cher à ce prix, Sévigné, 415. Oh ! mon fils ! que tes jours coûtent cher à ta mère ! Racine, Andr. III, 8.

    Absolument. Les bâtisses, les voyages coûtent.

  • 3Être cause de quelque perte, de quelque effort, de quelque sacrifice. La place à l'emporter coûterait bien des têtes, Corneille, Nicom. I, 2. Sa perte aux Romains a coûté bien du sang, Corneille, Pomp. V, 3. Cette grandeur sans borne, et cet illustre rang Qui m'a jadis coûté tant de peine et de sang, Corneille, Cinna, II, 1. Pourvu que par ma mort tout le peuple irrité Ne vous ravisse pas ce qui m'a tant coûté ! Racine, Brit. IV, 2. Hercule à désarmer coûtait moins qu'Hippolyte, Racine, ib. II, 1.

    Coûter la vie, être cause de la mort. Cette imprudence lui coûta la vie. Vous, cruels, vous, tyrans, qui lui coûtez la vie, Voltaire, Tancr. V, 6.

    On dit d'un homme prodigue, que l'argent ne lui coûte guère, il le dépense comme si l'argent ne coûtait rien à gagner.

    On dit qu'une chose ne coûte guère, ne coûte rien à un homme qui la prodigue, sans y attacher d'importance ou pour tromper. Il vous promettra tout ce que vous voudrez, cela ne lui coûte rien. Toutes ces accusations d'hérésie qui ne vous coûtent rien qu'à les avancer, Pascal, Lettre de Nicole au P. Amat. Les larmes ne coûtaient rien à cette femme artificieuse, Fénelon, Tél. VIII. Denys de Syracuse faisait sans peine l'aveu de ses fautes, apparemment parce qu'elles ne lui avaient guère coûté, Barthélemy, Anach. ch. 63.

    Coûter des larmes, être cause d'une grande douleur. Ne croyez pas, seigneur, qu'auteur de mes alarmes, Pharnace m'ait jamais coûté les moindres larmes, Racine, Mithr. III, 5. Sa perte à ses vainqueurs coûtera bien des larmes, Racine, Iphig. II, 5. Songiez-vous aux douleurs que vous m'alliez coûter ? Racine, Brit. II, 6.

  • 4Être fait à regret ou avec difficulté. Madame, ce qu'on fait sans honte et sans remords, Ne coûte rien à dire ; il n'y faut point d'efforts, Corneille, Suréna, II, 2. Jamais résolution ne m'a tant coûté à prendre, Voiture, Lett. 28. Il ne coûta rien aux Athéniens d'abandonner leur ville au pillage et à l'incendie, Bossuet, Hist. III, 5.

    Absolument. Les mortifications coûtent, les observances deviennent pénibles, Massillon, Profess. rel. 2. Cette paresse invincible à qui tout coûte, Massillon, Car. Tiéd. 2. Qu'on interroge les écrivains de génie sur les plus beaux endroits de leurs ouvrages, ils avoueront que ces endroits sont presque toujours ceux qui leur ont le moins coûté, parce qu'ils ont été comme inspirés en les produisant, D'Alembert, Mél. litt. Œuvres, t. III, p. 240, dans LACURNE.

    Rien ne lui coûte, il n'épargne rien.

    Tout lui coûte, il a de la peine à faire tout ce qu'il fait.

  • 5 Impersonnellement. Dans quelque pauvreté que je sois, je voudrais qu'il m'eût coûté mille écus et pouvoir…, Voiture, Lett. 25. En vain nous appelons mille gens à notre aide ; Plus ils sont, plus il coûte, et je ne les tiens bons Qu'à manger leur part de moutons, La Fontaine, Fab. XI, 1.

    Fig. Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles, La Bruyère, IX. Le plus fort et le plus pénible est de donner ; que coûte-t-il d'y ajouter un sourire ? La Bruyère, VIII. Benoît parut instruit sur le vide et l'amertume des plaisirs sans qu'il eût coûté à son innocence pour s'en instruire, Massillon, Panég. St Benoît. Et je sais ce qu'il coûte à de certaines gens Pour avoir pris les leurs [leurs femmes] avec trop de talents, Molière, Éc. des femmes, I, 1. Quand celui qui est assis sur le trône d'où relève tout l'univers, et à qui il ne coûte pas plus à faire qu'à dire parce qu'il fait tout ce qu'il lui plaît par sa parole, Bossuet, la Vallière.

    Coûte que coûte, à quelque prix que ce soit, quoi qu'il puisse arriver. Locution elliptique qui équivaut à : (que cela) coûte (ce) que (l'on voudra que cela) coûte.

  • 6Impersonnellement avec le pronom en. Ce sont vingt mille francs qu'il m'en pourra coûter, Molière, Mis. V, 2. Mettez ce qu'il en coûte à plaider aujourd'hui ; Comptez ce qu'il en reste à beaucoup de familles, La Fontaine, Fabl. IX, 9.

    Fig. Il m'en coûte la vie, il m'en coûte la gloire, Corneille, Cinna, IV, 7. L'autre [tonnerre] s'écarte en son cours ; Ce n'est qu'aux monts qu'il en coûte ; Bien souvent même il se perd, La Fontaine, Fabl. VIII, 20. Quand il en devrait coûter quelque petite chose à la bienséance, Sévigné, 138. Sans qu'il en coûte une goutte de sang, Sévigné, 505. Il lui en coûta la vie, Bossuet, Hist. III, 6. Il apprit ce qu'il en coûte à sauver les enfants de Dieu, Bossuet, ib. II, 3. Il ne lui en coûte que de le vouloir, Bossuet, ib. II, 1. Il m'en coûterait trop s'il m'en coûtait deux fils, Racine, Théb. III, 6. Je l'ai voulu sans doute, Et je le veux toujours, quelque prix qu'il m'en coûte, Racine, Baj. III, 1. Toi-même, je m'assure, as rougi plus d'un jour Du peu qu'il t'en coûtait pour tromper tant d'amour, Racine, ib. IV, 5. Crois qu'il m'en a coûté pour vaincre tant d'amour, Racine, Bér. II, 2. Partons, et quelque prix qu'il en puisse coûter…, Racine, Phèd. II, 6. Quel plaisir barbare, grand Dieu ! pour des chrétiens ! il faut qu'il en coûte le sang et la réputation à leurs frères, pour les délasser, Massillon, Paraphr. ps. XV, verset 4. Vous regarderiez comme des insensés ceux qui mettraient en balance des difficultés de pure spéculation, qu'il n'en coûte rien de croire, avec une éternité malheureuse qui au fond peut devenir le partage des incrédules, Massillon, Av. Délai de la conversion. Ils [les apôtres] attendaient que leur maître délivrerait Israël du joug des nations et qu'il les ferait asseoir eux-mêmes sur douze trônes terrestres sans qu'il leur en coûtât ni soins ni peines pour y monter, Massillon, Car. Fausse confiance. Jésus-Christ a donc prévu qu'il nous en coûterait pour aimer nos frères, Massillon, ib. Pardon. Qu'il en coûte pour se préparer des malheurs éternels ! Massillon, Av. Bonh. Vous le feriez, quoi qu'il en dût coûter, Massillon, Car. Tiéd. 1. Quelques efforts d'esprit que l'on fasse et quelque assiduité qu'on y donne, on est trop heureux quand il n'en coûte que de demeurer dans son cabinet, Fontenelle, Maraldi. Il pourra m'en coûter ; mais mon cœur s'y résout, Voltaire, Zaïre, IV, 2. Je sais ce qu'il en coûte, Voltaire, Tancr. V, 3.

REMARQUE

1. Coûter est un verbe neutre, et quand on dit : cela m'a coûté dix francs, beaucoup de peine, quelques larmes, francs, peine, larmes ne sont point des régimes directs ; il y a une ellipse, et la locution entière est : cela m'a coûté (pour) dix francs, (pour) beaucoup de peine, (pour) quelques larmes. En effet on ne peut pas dire : dix francs m'ont été coûtés ; des larmes me sont coûtées, etc. Coûter ne pouvant se tourner par le passif, n'a donc dans les phrases de ce genre que l'apparence de l'actif ; il dérive du latin constare qui signifie proprement être avec, être acquis, de là provient l'impossibilité d'un passif.

2. Coûter n'étant pas actif, il faut dire : la somme que cette maison a coûté, et non coûtée ; les pleurs que la mort de cet enfant a coûté à sa mère, et non coûtés, etc. Cependant l'Académie, qui dit bien que coûté est toujours invariable, note que plusieurs écrivains ont accordé coûté en ces cas-là. En voici en effet des exemples. Après tous les ennuis que ce jour m'a coûtés, Racine, Brit. V, 3. Que de soins m'eût coûtés cette tête si chère ! Racine, Phèd. II, 5. Vous n'avez pas oublié les soins que vous m'avez coûtés depuis votre enfance, Fénelon, Tél. VII. Il paraît en effet digne de vos bontés ; Il mérite surtout les pleurs qu'il m'a coûtés, Voltaire, Comtesse de Givry, II, 2. Mes manuscrits raturés, barbouillés et même indéchiffrables, attestent la peine qu'ils m'ont coûtée, Rousseau, Ém. liv. I. Un enfant devient plus précieux en avançant en âge ; au prix de sa personne se joint celui des soins qu'il a coûtés, Rousseau, ib. On ne peut considérer ces exemples que comme des licences condamnables en prose et tout au plus permises en poésie.

HISTORIQUE

XIIe s. Car qui le sien donne retraianment [de mauvaise grâce], Son gré en pert, et si couste ensement Com à celui qui volontiers l'otroie, Couci, XVI.

XIIIe s. Sixante sols [il] cousta, un an a, en certain, Berte, LXXIII. Ma volonté ferez, quoi qu'il doie couster, ib. CXII. Renart me quide plus coster Que ne me costera des mois, Ren. 16432. Et me dit la royne, que la façon avoit cousté cent livres, Joinville, 285.

XIVe s. De ci ne partirons, quoi qu'il doie couster, S'arons prise la ville…, Guesclin. 8092.

XVe s. Je voudroie bien avoir un tel messager ; il ne vous couste rien, et si savez veritablement tout quant que il avient par le monde, Froissart, II, III, 22. Dit en soi-mesme Jean Lyon : Je mettrai un tel trouble entre cette ville et le comte, qu'il coustera cent mille vies, Froissart, II, II, 52. Quand le capitaine vit que les seigneurs françois ne se departiroient point sans avoir le fort, quoique il coustast, Froissart, II, III, 23. … Ne me chault couste et vaille ! Encor ay denier et maille Qu'oncques ne virent pere ne mere, Patelin, 215. Alors luy bailla le varlet un glaive dont la hante estoit à merveilles moult forte et le fer tranchant, et la damoyselle dist que elle veult veoir comment il couste [comment il vaut, est mis en usage], Lancelot du Lac, t. III, f° 37.

XVIe s. Les lettres qui me coustent le plus sont celles qui valent le moins, Montaigne, I, 293. Il me coustoit à m'empescher de le faire, Montaigne, I, 315. Quoyqu'il me couste, je delibere de dire ce qui en est, Montaigne, III, 67. Il ne porta onques robbe qui eust cousté plus de cent drachmes d'argent, Amyot, Caton, 10. Il ne leur feist pas couster pour luy un tout seul denier, Amyot, ib. 13. Il leur portoit envie, de ce qu'ilz avoient la guerre à des ennemis qui leur cousteroient si peu à desfaire, Amyot, Philop. 29. Il se jettoit à clos yeux au danger : aussi lui en cousta il la vie dedans l'isle de Chio, Amyot, Phocion, 8. Cela, direz vous, est bien cher ; toutes fois couste mais que [pourvu que] vaille, Contes de CHOLIÈRES, f° 20, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. et espagn. costar ; portug. custar ; ital. costare ; du latin constare, coûter, proprement, être avec, être fixé, déterminé, de cum, et stare, demeurer (voy. STABLE).