« gémir », définition dans le dictionnaire Littré

gémir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

gémir

(jé-mir) v. n.
  • 1Exhaler sa souffrance, sa peine, d'une voix plaintive et inarticulée. Mais et les princes et les peuples gémissaient en vain ; en vain Monsieur, en vain le roi même tenait Madame serrée par de si étroits embrassements… la mort plus puissante nous l'enlevait entre ces royales mains, Bossuet, Duch. d'Orl. Vous l'avez vue si souvent gémir devant les autels de son unique protecteur, Bossuet, Reine d'Anglet. Quel tourment de se taire en voyant ce qu'on aime, De l'entendre gémir, de l'affliger soi-même ! Racine, Brit. III, 7. Pleurons et gémissons, mes fidèles compagnes, Racine, Esth. I, 5. Mon frère, ayez pitié d'une sœur égarée Qui brûle, qui gémit, qui meurt désespérée, Voltaire, Zaïre, III, 4. Je pleure mon destin, je gémis sur mon père, Voltaire, Tancr. II, 6.

    Activement et poétiquement. Voilà ce qui fait honte ou ce qui fait frémir ; Gémissement que Job oublia de gémir, Lamartine, Rép. aux adieux de W. Scott.

  • 2 Par extension, se plaindre sous un poids qui accable. D'un peuple sans vigueur et presque inanimé Qui gémissait sous l'or dont il était armé, Racine, Alex. II, 2. Déjà la pythonisse, errante, échevelée, Sous le pouvoir du dieu gémissait accablée, Chénier M. J. Œdipe-roi, III, 4.

    Fig. L'Italie gémissait sous les armes des Lombards, Bossuet, Hist. I, 11. Mais je laissais gémir la vertu soupçonnée, Racine, Phèd. v, 7. J'ai fait taire les lois et gémir l'innocence, Racine, Esth. III, 1. Le royaume gémissait sous la tyrannie, Fénelon, Tél. XII. Le juste gémit dans l'indigence, Massillon, Carême, Prospér. Des pécheurs qui gémissent sous le poids de leurs chaînes, Massillon, Carême, Mélange. J'ai fait, jusqu'au moment qui me plonge au cercueil, Gémir l'humanité du poids de mon orgueil, Voltaire, Alz. v, 7.

  • 3Être péniblement ou désagréablement affecté de quelque chose. Evrard a beau gémir du repas déserté, Boileau, Lutr. v. Alexandre le sait, Taxile en a gémi, Racine, Alex. v, 3. Il y a vingt ans qu'ils font gémir tous les gens de bien, Fénelon, Tél. XI. Mais ne crois pas non plus que le mien [cœur] s'avilisse à souffrir des rigueurs, à gémir d'un caprice, Voltaire, Zaïre, III, 6. Il craint de lui parler, il gémit de se taire, Voltaire, Brutus, III, 2. Il gémissait d'être obligé d'acheter sa sûreté par des soumissions, Raynal, Hist. phil. IV, 11. Il faut gémir sur le sort de l'humanité, qui ne permet pas qu'un seul homme ait à la fois tous les talents et toutes les vertus, D'Alembert, Lett. au roi de Pr. 17 août 1771.
  • 4Il se dit du cri de certains oiseaux. La colombe gémit. La tourterelle gémit. Je criais vers vous comme le petit de l'hirondelle, je gémissais comme la colombe, Sacy, Bible, Isaïe, XXXVIII, 14.

    Activement et poétiquement. L'oreille n'entend rien qu'une vague plaintive, Ou la voix des zéphirs, Ou les sons cadencés que gémit Philomèle, Lamartine, Méd. II, 24.

  • 5 Par analogie, il se dit des choses qui font entendre une sorte de murmure. On se menace, on court, l'air gémit, le fer brille, Racine, Iphig. v, 5. La rive au loin gémit blanchissante d'écume, Racine, ib. v, 6. Les marteaux faisaient gémir les cavernes de la terre, Fénelon, Tél. II. Quand l'aquilon fait gémir les troncs des vieux arbres, Fénelon, ib. XVII. La terre au loin gémit, le jour fuit, le ciel gronde, Voltaire, Henr. VIII. Eh ! seigneur, est-ce vous dont la voix lamentable A fait gémir ces murs d'accents si douloureux ? Lemercier, Frédég. et Br. IV, 5.
  • 6S'affaisser, en parlant des choses qui reçoivent un poids, une pression considérable. La frêle nacelle gémit, Quand Aenéas dedans s'y mit, Scarron, Virg. VI. Et son corps, ramassé dans sa courte grosseur, Fait gémir les coussins sous sa molle épaisseur, Boileau, Lutr. I. L'enclume qui gémissait sous les coups redoublés, Fénelon, Tél. XI. La mer gémissait sous le nombre et sous la grandeur énorme de nos navires, Massillon, Or. fun. Louis le Grand.

    Fig. et familièrement. Faire gémir la presse, faire beaucoup imprimer ; locution métaphorique tirée de l'ancienne presse à bras qui faisait entendre une espèce de gémissement quand on tirait le barreau.

HISTORIQUE

XIIe s. Rapelat il à la remembrance ceaz [ceux] d'Epheson, cant il, ploranz et gemanz, les comandat à Deu, Job, p. 476.

XIIIe s. Enfer tressue, enfer fremit, Enfer dolose, enfer gemit, Quant perdu a la grant goulée Qu'avoit jà prise et engoulée, Rutebeuf, Théoph.

XIVe s. Et mon pechié cy gemirai Amerement, dans BURGUY, Gramm. t. II, p. 261.

XVIe s. La tourterelle en gemit et en mene Semblable dueil : et j'accorde à leurs chants, Marot, III, 298. Ayant tant de malheurs gemy profondement, Du Bellay, J. VI, 63, verso. Comme pigeons, qui bec à bec gemissent leur amour, Yver, p. 639. Ils hurlent comme les loups, ils gemissent comme les ours, ils rugissent comme lions, Paré, Animaux, 25.

ÉTYMOLOGIE

Berry, gemer ; provenç. gemir : portug. gemer ; ital. gemere ; du latin gemĕre. La formation régulière est geindre (voy. ce mot) ou l'italien gémere. Gémir, remontant aux premiers temps de la langue, suppose un changement de conjugaison, de la 3e en 4e. La très-ancienne langue ne le conjuguait pas comme les verbes en iscere, témoin gemant de gementem ; mais dès le XIIIe siècle il était conjugué comme un verbe en iscere.