« intéresser », définition dans le dictionnaire Littré

intéresser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

intéresser

(in-té-rè-sé) v. a.
  • 1Donner un intérêt matériel. On l'a intéressé dans cette affaire, dans cette entreprise. Rullus, pour intéresser encore davantage la multitude dans la publication de sa loi, Vertot, Révol. rom. XII, p. 176.

    Donner quelque chose à quelqu'un, pour le rendre favorable à une affaire, à une entreprise. Cette affaire ne saurait se faire sans lui, il faut l'intéresser.

  • 2Donner un intérêt moral. Mon devoir m'intéresse, Mon père, à dégager vers lui votre promesse, Molière, Sgan. 23. Le plaisir et la douleur servent à intéresser l'âme dans ce qui regarde le corps, et l'obligent à chercher les choses qui en font la conservation, Bossuet, Conn. III, 8. N'en aimez point les spectacles [du monde] ni les théâtres, où l'on ne songe qu'à vous faire entrer dans les passions d'autrui, à vous intéresser dans ses vengeances et dans ses folles amours, Bossuet, Concup. 9. Souvent j'ai voulu les faire servir [les saints] à mes iniquités, les intéresser dans mes faiblesses, Massillon, Panég. St Franç. de P.

    Il se dit des choses, en un sens analogue. Si vous m'aimiez, seigneur, vous me deviez mieux croire, Ne pas intéresser mon devoir et ma gloire, Corneille, Pulch. III, 3. J'inventai des couleurs, j'armai la calomnie ; J'intéressai sa gloire, il trembla pour sa vie, Racine, Esth. II, 1.

  • 3Intéresser le jeu, le rendre plus attachant par l'appât du gain.
  • 4Être d'importance. Cela m'intéresse beaucoup, fort peu. Vous savez à quel point l'affaire m'intéresse, Corneille, Héracl. IV, 5.

    Il se dit des choses, dans le même sens. Cela intéresse ma santé, ma réputation. Entre les mesures qui faisaient le sphéroïde [de la terre] oblong et celles qui le faisaient aplati, la différence était d'environ cent lieues ; et alors elle intéressait la navigation, Voltaire, Phil. Newt. III, 9.

  • 5 Particulièrement. Être d'une importance défavorable, faire tort, compromettre. Heureuse qui se laisse aller à la tendresse de ses sentiments, sans intéresser la délicatesse de son choix ni celle de sa conduite ! Saint-Évremond, Idée de la femme. Elle avait fait tout ce qu'il fallait pour augmenter la passion du roi, sans intéresser sa vertu par les dernières complaisances, Hamilton, Gramm. VII. Bien loin qu'on pensât à intéresser quelque principe de notre religion, on ne se soupçonnait pas même d'imprudence, Montesquieu, Lett. pers. Réflexions.

    Terme de chirurgie. Intéresser une partie, y faire accidentellement ou par nécessité, durant le cours d'une opération, une lésion qui n'appartient pas à cette opération même.

  • 6Inspirer de la bienveillance, de la compassion. Dans mon procès… Il peut intéresser tout ce qu'il a d'amis, Molière, Mis. II, 1. Intéressons dans notre cause les gens de bien, Massillon, Carême, Prière 2. Ne faut-il pas intéresser sa miséricorde [de Dieu] à notre salut ? Massillon, ib. 2. Dis-lui, pour me sauver d'une injuste puissance, Qu'il intéresse Rome à prendre ma défense, Crébillon, Rhadamiste, I, 5. Hélas ! plus je lui parle et plus il m'intéresse, Voltaire, Fanat. III, 8.

    Absolument. Cette jeune femme intéresse. Sa situation intéresse.

  • 7Fixer l'attention, captiver l'esprit. Ce récit m'a vivement intéressé. Voulez-vous longtemps plaire et jamais ne lasser ? Faites choix d'un héros propre à m'intéresser, Boileau, Art p. III.

    Absolument. Cette tragédie n'intéresse pas. Un personnage n'intéresse guère que quand un autre personnage s'intéresse à lui, à moins qu'il n'ait une violente passion, et ce n'est pas ici le cas des passions violentes, Voltaire, Lett. d'Argental, 13 nov. 1751.

    Le gros jeu intéresse, le petit jeu n'intéresse guère, c'est-à-dire il n'y a que le gros jeu qui attache.

  • 8S'intéresser, v. réfl. Prendre part dans une affaire. Il s'est intéressé dans cette entreprise.
  • 9Entrer dans les intérêts de quelqu'un, prendre intérêt à quelque chose. Je m'intéresse particulièrement à cette affaire. Mais je sens que pour toi ma pitié s'intéresse, Corneille, Cid, II, 2. Je sens déjà mon cœur qui pour lui s'intéresse, Corneille, Poly. I, 4. Et voilà le seul point où Rome s'intéresse, Corneille, Nic. I, 5. Vous vous intéressez pour l'Église, Pascal, dans COUSIN. Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui, Racine, Andr. V, 1. Je sens que mon cœur s'intéresse pour cet homme sans savoir pourquoi, Fénelon, Tél. XXIV. M. Jeannin, qui vous est toujours fort utile et qui mérite qu'on s'intéresse pour lui, Rousseau, Lett. à du Peyrou, 15 oct. 1765.

    S'intéresser dans ou en. Je ne serai pas seule ; ainsi que moi, Neptune S'intéresse en ton infortune, Corneille, Andromède, IV, 5. De vos premiers progrès j'admire la vitesse, Et dans l'événement mon âme s'intéresse, Molière, Éc. des f. III, 4. Tout le monde s'intéresse dans cette grande affaire [le procès de Fouquet], Sévigné, 17 déc. 1664. La religion s'intéresse dans ses infortunes [du cardinal de Retz], Bossuet, le Tellier. Enfin tout l'enfer s'intéresse Dans l'amour qui séduit un cœur si glorieux, Quinault, Arm. IV, 1. Ignores-tu jusqu'où va ma tendresse, Et combien dans ton sort ton père s'intéresse ? Boursault, Fables d'Ésope, I, 1. Il ne voit dans son sort que moi qui s'intéresse, Racine, Brit. II, 3.

    S'intéresser contre, prendre des sentiments contraires, défavorables. Qu'ai-je fait que le ciel contre moi s'intéresse, Jusqu'à faire descendre en terre une déesse ? Corneille, Toison d'or, V, 6. Contre mon propre honneur mon amour s'intéresse, Corneille, Cid, I, 9.

    Voltaire a critiqué la locution s'intéresser contre ; mais elle est claire et grammaticale.

    On a dit : s'intéresser d'une chose (emploi qui n'est aucunement fautif, et qui seulement est peu usité). Il faut laisser cette humeur aux esprits vulgaires qui s'intéressent de toutes les querelles des princes, Guez de Balzac, liv. II, lett. 1. Personne ne s'en intéresse, M. de Ste-Marthe, cité dans STE-BEUVE, Hist. de Port-Royal, t. III, p. 398. Il souffre tout ce que Dieu lui-même peut faire souffrir à un coupable qu'il est intéressé de punir, Massillon, Carême, Riche.

SYNONYME

1. S'INTÉRESSER à, S'INTÉRESSER DANS. Dans le XVIIe siècle, ces deux locutions avaient le même sens, et s'employaient l'une pour l'autre. Aujourd'hui, l'usage tend à y mettre une différence : s'intéresser dans, c'est prendre un intérêt dans une affaire, y mettre de l'argent ; s'intéresser à, c'est avoir un intérêt moral.

2. S'INTÉRESSER, ÊTRE INTÉRESSÉ., Ils ont des sens différents : le premier signifie prendre intérêt à ; le second avoir intérêt à une chose.

HISTORIQUE

XVe s. Les interessés serviteurs Sont leurs hoirs et executeurs [des vieilles gens], Et les demainent durement, Deschamps, Mir. de mar. p. 4.

XVIe s. Je luy appris à dire souvent… periode d'affaire, interesser, prendre la garantie, faire fortune, courir risque, symboliser… et mille autres termes en ceste façon, à quoy on connoit aujourd'huy une belle ame, D'Aubigné, Conf. II, 1. …Qui nous advertit de sonder bien sagement de peur d'interesser le dit monticule, Paré, I, 29. On mettra à part les pommes interessées, pour estre mangées les premieres ; et les saines et entieres seront doucement portées au grenier, De Serres, 687. Les malades auxquels le debvoir m'interesse, Montaigne, I, 91. Et à fin que la memoire de l'auteur n'en soit interessée, Montaigne, I, 221. L'estat de ceste vieilie Rome m'interesse et me passionne, Montaigne, IV, 140.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. interessar ; esp. interesar ; ital. interessare ; du lat. interesse, importer (voy. INTÉRÊT).