« monstrueux », définition dans le dictionnaire Littré

monstrueux

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

monstrueux, euse

(mon-stru-eû, eû-z') adj.
  • 1Qui a la conformation d'un monstre. Un enfant, un animal monstrueux. Ce monstrueux dragon dont les fureurs la gardent [la toison d'or], Corneille, Tois. d'or, V, 1. Par des mots inconnus ces êtres monstrueux S'appelaient tour à tour, s'applaudissaient entre eux, Ducis, Macbeth, II, 6.

    On dit de même : conformation monstrueuse.

    Fig. Peuple monstrueux [les Juifs], qui n'a ni feu ni lieu ; sans pays et de tout pays ; autrefois le plus heureux du monde, maintenant la fable et la haine de tout le monde, Bossuet, Sermons, Bonté et rigueur de Dieu, 2.

    Terme de blason. Se dit d'un animal représenté avec quelque partie appartenant naturellement à un autre ; ou d'un animal à face humaine.

  • 2Qui est contraire aux lois de la nature. Accouplement monstrueux.

    Fig. Comme il [Cromwell] eut aperçu que, dans ce mélange infini de sectes, le plaisir de dogmatiser était le charme qui possédait les esprits, il sut si bien les concilier par là, qu'il fit un corps redoutable de cet assemblage monstrueux, Bossuet, Reine d'Anglet.

  • 3Prodigieux, excessif dans son genre. Cet enfant a la tête monstrueuse. Laideur monstrueuse. Cet animal est d'une grosseur monstrueuse. Leur appétit fougueux, par l'objet excité, Parcourt tous les recoins d'un monstrueux pâté, Boileau, Lutr. V. L'art d'élever sur un patrimoine obscur une fortune monstrueuse, Massillon, Carême, Salut. Les boas monstrueux, les crocodiles verts, Moindres que des lézards sur les murs entr'ouverts, Glissaient parmi les blocs superbes, Hugo, Orientales, I.
  • 4 Fig. Qui excède en mal tout ce qu'on peut concevoir. L'égarement en divers endroits [l'inconstance en amour] est aussi monstrueux que l'injustice dans l'esprit, Pascal, Passions de l'amour. Par un abus insupportable et une monstrueuse ingratitude, Bourdaloue, 2e dim. après Pâq. Dominic. t. II, p. 30. Rien n'égale en fureur, en monstrueux caprices, Une fausse vertu qui s'abandonne aux vices, Boileau, Sat. X. Il n'y a point eu dans l'univers de vengeance noire… point d'impudicités monstrueuses… qui… ne se découvrent à cette âme innocente, Massillon, Carême, Passion. Elle [l'âme de J. C.] y voit les plus monstrueuses superstitions établies parmi les hommes, Massillon, ib. Jamais siècle ne fut plus fécond en assassinats, en empoisonnements, en trahisons, en débauches monstrueuses, Voltaire, Mœurs, 105. Demande aux tigres en furie S'ils sauraient inventer ces monstrueux tourments De faire aux yeux d'un père expirer ses enfants, Ducis, Roméo, IV, 5. Luxe monstrueux, Chénier M. J. Gracques, II, 3.

    Il se dit quelquefois, en ce sens, des personnes mêmes. La faction d'Orléans était composée d'hommes monstrueux comme leur chef ; ce monstre avoit rallié à lui la lie de l'espèce humaine, Babœuf, Pièces, I, 106.

  • 5 Par exagération. Qui choque toutes les bienséances. On le vit paraître en habit de ville : la chose était monstrueuse pour la conjoncture, Hamilton, Gramm. 7. Vous prendriez une procureuse au Châtelet pour une présidente. - La présidente : Pour une présidente ? mais en vérité cela est monstrueux, Destouches, Fausse Agnès, I, 7. Il n'y aurait plus d'ordre si on permettait des unions aussi inégales que le serait la vôtre, on peut même dire aussi monstrueuse, Marivaux, Marianne, 6e part.

    Qui choque les règles du goût. C'est ainsi qu'en Espagne Diamante et Guillain de Castro semèrent, dans leurs deux tragédies monstrueuses du Cid, des beautés dignes d'être exactement traduites par Pierre Corneille, Voltaire, Mél. litt. à l'Acad. fr. II. Des pièces embrouillées, sans imagination et sans vraisemblance, toujours froidement monstrueuses, grossièrement ridicules et par le style et par le plan, Genlis, Mlle de la Fayette, p. 185, dans POUGENS.

    Qui choque la raison. C'est une chose monstrueuse de voir dans un même cœur et en même temps cette sensibilité pour les moindres choses et cette étrange insensibilité pour les plus grandes, Pascal, Pens. IX, 1, édit. HAVET. Je lui dis [au fils de Mme de Grignan] que, puisqu'il aime la guerre, il est monstrueux de n'avoir point envie de voir les livres qui en parlent, Sévigné, 606.

REMARQUE

On lit dans Ménage : « Plusieurs personnes non-seulement de la ville mais de la cour disent monstreux ; le grand usage est pour monstrueux. » C'est en effet monstrueux qui a prévalu.

HISTORIQUE

XVIe s. L'ouie [du roi de Navarre] estoit monstrueuse, par laquelle il apprenoit des nouvelles d'autrui, ou de soi-mesme, parmi les bruits confus de sa chambre, et mesmes en entretenant autrui, D'Aubigné, Hist. III, 285. Esprit monstrueux en savoir, D'Aubigné, ib. III, 291. Il fit parler de capitulation, qui lui fut octroiée ; de tant plus honorable que la douceur du temps estoit monstrueuse, D'Aubigné, ib. III, 445. L'enfantement sera difficile si ledict enfant est monstrueux, Paré, Il, 626. Cette excellente police de Lycurgue, monstrueuse à la verité par sa perfection, Montaigne, I, 151. L'atheisme est une proposition comme denaturée et monstrueuse, Montaigne, II, 147.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. mostruos ; espagn. monstruoso ; ital. mostroso, mostruoso ; du lat. monstruosus, qui vient de monstrum, monstre. L'u de monstruosus n'a rien d'organique ; il s'est glissé sous l'influence des thèmes tirés de la quatrième déclinaison, comme sumptuosus, etc.