« monstre », définition dans le dictionnaire Littré

monstre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

monstre [1]

(mon-str') s. m.
  • 1Corps organisé, animal ou végétal, qui présente une conformation insolite dans la totalité de ses parties, ou seulement dans quelques-unes d'entre elles. Les fleurs doubles sont des monstres. Cette femme est accouchée d'un monstre. Les miracles sont plus rares que les monstres, Guez de Balzac, liv. I, lett. 11. On peut réduire en trois classes tous les monstres possibles : la première est celle des monstres par excès ; la seconde, des monstres par défaut ; et la troisième, de ceux qui le sont par le renversement ou la fausse position des parties, Buffon, Suppl. à l'hist. natur. Œuvres, t. XI, p. 410. La plupart des monstres le sont avec symétrie, le dérangement des parties paraît s'être fait avec ordre, Buffon, Hist. anim. ch. X. M. Lemery soutenait que la formation des monstres était due uniquement à des causes accidentelles qu'il assignait, et qu'il savait employer avec beaucoup de sagacité et d'esprit, Bonnet, Consid. corps organ. Œuvres, t. VI, p. 447, dans POUGENS. M. Winslow laissait là tout cet attirail d'explications physiques, et, le scalpel à la main, il prétendait trouver, dans certains monstres, des preuves incontestables que leur formation était due uniquement à des œufs originairement monstrueux, Bonnet, ib.
  • 2Les êtres physiques imaginés par les mythologies et par les légendes, dragons, minotaures, harpies, divinités à formes étranges, etc. Les Centaures étaient des monstres. La Chimère était un monstre. Polyphème était un monstre. Vous adorez en vain des monstres impuissants, Corneille, Poly. III, 2. Tous les monstres d'Égypte ont leurs temples dans Rome, Corneille, ib. IV, 6. Aucuns monstres par moi domptés jusqu'aujourd'hui Ne m'ont donné le droit de faillir comme lui [Thésée], Racine, Phèdre, I, 1. L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux Parmi des flots d'écume un monstre furieux, Racine, ib. V, 6. La tête d'un homme sur le corps d'un cheval nous plaît ; la tête d'un cheval sur le corps d'un homme nous déplaira ; c'est au goût à créer des monstres, Diderot, Pensées sur la peint. Œuvres, t. XV, p. 176, dans POUGENS.
  • 3 Par assimilation, les êtres allégoriques auxquels on donne soit des formes étranges, soit des inclinations malfaisantes. Cependant cet oiseau qui prône les merveilles, Ce monstre composé de bouches et d'oreilles, La renommée…, Boileau, Lutr. II. Et le barreau n'a pas de monstres si hagards Dont mon œil n'ait cent fois soutenu les regards, Boileau, ib. III. Il y a deux monstres qui désolent la terre en pleine paix : l'un est la calomnie, et l'autre l'intolérance ; je les combattrai jusqu'à ma mort, Voltaire, Mél. litt. Réfut. d'un écrit anonyme.
  • 4 Par exagération, les animaux d'une grandeur extraordinaire.

    Poétiquement. Les monstres des forêts, les bêtes féroces qui habitent les forêts. Croit-on que dans ses flancs un monstre m'ait porté ? Racine, Phèdre, II, 2.

    Fig. L'Américain farouche est un monstre sauvage Qui mord en frémissant le frein de l'esclavage, Voltaire, Alz. I, 1.

    Monstres marins, les grands cétacés.

    Par extension. On a servi des monstres sur cette table, on y a servi des poissons d'une grandeur extraordinaire. Mais enfin il les sut engager à lui servir d'un monstre [poisson] assez vieux pour lui dire Tous les noms des chercheurs de mondes inconnus, La Fontaine, Fabl. VIII, 8.

  • 5 Fig. Un monstre, une chose dont on s'effraye. La Mousse [à propos d'un projet de voyage en province] a été un peu ébranlé des puces, des punaises, des scorpions, des chemins et du bruit qu'il trouvera peut-être ; tout cela était un monstre dont je me suis bien moquée, Sévigné, 8 juill. 1672. Cette timidité, en nous montrant sans cesse des monstres où il n'y en a pas, Rousseau, Hél. VI, 7.

    Faire un monstre d'une chose, la représenter comme dangereuse, pénible, etc. Et puisqu'elle vous blâme, et que sa fantaisie Lui fait un monstre affreux de votre jalousie, Molière, D. Garc. IV, C. Vous lui faites sans cesse un monstre de l'amour, Th. Corneille, Baron d'Albikrac, III, 4.

    Se faire un monstre de quelque chose, s'imaginer qu'une chose est très pénible, très difficile. Il n'y, a point de faute aussi pardonnable qu'une sensibilité comme la mienne ; ne vous en faites donc point un monstre, Marianne, ajouta-t-il, en pliant le genou devant moi, Marivaux, Marianne, part. 3.

    Se faire des monstres de tout, s'exagérer les difficultés de toute chose. Une mère peu éclairée se fait des monstres de tout, Rousseau, Hél. V, 3.

  • 6 Fig. Par analogie et par transition du physique au moral, personne cruelle, dénaturée, ou remarquable par quelque vice poussé à l'excès. T'ai-je peint ces tristes Tisiphones [les femmes qui haïssent leurs enfants], Ces monstres pleins d'un fiel que n'ont point les lionnes ? Boileau, Sat. X. Caligula, Néron, Monstres dont à regret je cite ici le nom, Racine, Bérén. II, 2. Monstre qu'a trop longtemps épargné le tonnerre, Racine, Phèdre, IV, 2. On passe pour un monstre quand on manque de reconnaissance, Fénelon, Tél. XVIII. Ah ! je suis un monstre à vos yeux, Genlis, Théât. d'éduc. les Faux amis, II, 11. Quels monstres le hasard rassemble sous nos yeux ! Tibère et Néron se regardent, Staël, Corinne, XIII, 4.

    Il se dit, par antiphrase, de quelque qualité qui nous cause autant de peine que ferait un vice. Une femme constante est un monstre nouveau Que le ciel a produit pour être mon bourreau, Destouches, Phil. marié, III, 5.

    Monstre s'est dit, par esprit d'intolérance, des hérétiques, des infidèles et des athées. Un Spinosa, ce monstre, qui après avoir embrassé plusieurs religions, finit par n'en avoir aucune, Massillon, Carême, Doutes. Le monstre ! il [Galilée] ose prouver que c'est la terre qui tourne, Voltaire, Philos. Disc. Belleguier. Julien [l'empereur] est sobre, chaste, désintéressé, valeureux, clément ; mais il n'était pas chrétien ; on l'a regardé longtemps comme un monstre, Voltaire, Dict. phil. Julien.

    Populairement, dans le même sens, un monstre de nature. Ce doit être un monstre de nature, Hauteroche, Esp. foll. I, 1.

    On a dit dans un sens analogue : des monstres de la société des monstres qui outragent la société. Il faudrait que ce fussent des monstres de la société, s'ils ne trouvaient pas en eux-mêmes les sentiments nécessaires à cette société, Voltaire, Traité de métaphysique, IX.

    C'est un monstre d'ingratitude, un monstre d'avarice, de cruauté, etc. se dit d'une personne qui montre une noire ingratitude, qui est d'une sordide avarice, etc. Sors donc de devant moi, monstre d'impiété, Racine, Athal. III, 5. Deux fils [d'Hircan] qui étaient des monstres de perfidie, d'avarice et de cruauté, Voltaire, Philos. Sommaire de l'Hist. juive.

    Monstres d'hommes, hommes remarquables par leur méchanceté. Quelques monstres d'hommes tels qu'ont été un Diagore mélien, un Évhemère tégéate, et un Théodore cyrénien, qui ne voulaient pas même reconnaître une cause première, La Mothe le Vayer, Vertu des païens, 1, Observ. sur les trois états.

    Monstre se dit aussi, par exagération et par plaisanterie, d'une personne à qui on reproche quelque énormité. Ces monstres d'hommes n'en font pas d'autres.

  • 7 Par exagération, personne extrêmement laide. Son avarice… Le fit dans une avare et sordide famille Chercher un monstre affreux sous l'habit d'une fille, Boileau, Sat. X. De six monstres qui se disaient filles d'honneur, et d'une duègne autre monstre qui se portait pour gouvernante de ces rares beautés, Hamilton, Gramm. 6.

    On dit dans le même sens : un monstre de laideur.

  • 8 Fig. Toute chose qui est comparée à un monstre pour sa grosseur, sa laideur, sa grossièreté, sa disproportion, son abomination. Que nous avons nommé le monstre de l'octave, ou une octave défectueuse, Descartes, Mus. Apprenez enfin qu'un gentilhomme qui vit mal est un monstre dans la nature, Molière, D. Juan, IV, 6. S'il [l'homme] se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante ; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible, Pascal, Pens. VIII, 14, édit. HAVET. Cette négligence [des indifférents en matière de religion]… est un monstre pour moi, Pascal, Pens. IX, 1. L'orgueil contre-pèse et emporte toutes les misères ; voilà un étrange monstre et un égarement bien visible, Pascal, ib. XXIV, 10 bis. Je vous conjure que ma fille ne réponde point à cette lettre, c'est un monstre d'écriture : je n'ai rien à faire, je me porte bien, et c'est mon unique plaisir de vous parler, Sévigné, 31 mai 1680. Quels monstres d'opinions se faut-il mettre dans l'esprit ? Bossuet, Hist. II, 13. Il avait toujours regardé le libertinage [irréligion] comme un monstre dans les armées, Fléchier, Duc de Mont. Être chrétien et n'être pas pénitent était un monstre et une nouveauté sans exemple, Massillon, Carême, Jeûne. Une armée de monstres va ressusciter dans votre cœur, Massillon, Carême, Rechute, 1. Vous vivrez sans joug et sans règle, vous entasserez monstre sur monstre, Massillon, Carême, Inconst. Lorsque ni l'une ni l'autre [partie] n'y consentent, c'est un monstre que le divorce, Montesquieu, Esp. XXVI, 3. Et de là sortiront des merveilles ou des monstres de raisonnements sans nombre, Buffon, Nature des anim.
  • 9Sorte de ciseaux à longs anneaux.
  • 10Nom vulgaire de la mésange à longue queue.
  • 11Monstre double, monstre simple, nom de deux variétés de tulipes.
  • 12 Adj. Dans le langage populaire, prodigieux, monstrueux, énorme, extraordinaire. Un bouquet monstre. Un dîner monstre. Un concert monstre.

HISTORIQUE

XIIe s. Dont poroies veoir un molt horrible monstre… si tu les oylz [yeux] del cuer avoies enlumineiz, Saint Bernard, p. 562.

XIIIe s. Il atendoit que li poinz apareust et li mostres que Merlins li dist ; mais ne demora puis gaires que li mostres lor aparut en l'air, Merlin, f. 51, verso. Et quant ele [une infirme] aloit, ele portoit son chief près de terre pié et demi, apuiée d'un baston… et sembloit un mostre, si que, quant les enfanz la veoient, il s'enfuioient, Miracles St Loys, p. 127.

XVIe s. Une beauté cruelle est un monstre en nature, Desportes, Cartels et masquarade, pour le roy Henri III. La cour est un monstre de plusieurs testes et consequemment de plusieurs langues et plusieurs voix, Des Autels, dans LIVET, la Gramm. franç. p. 126. Je diray un monstre [une chose monstrueuse], mais je le diray pourtant, Montaigne, II, 124. Des gens barbus [les Espagnols], montez sur des grands monstres incogneus [les chevaux], Montaigne, IV, 18. Si une chacune ame est sujette à tous ces monstres de vices, Calvin, Instit. 209. Tous ceux qui violent l'authorité paternelle ou par mespris, ou par rebellion, sont monstres et non pas hommes, Calvin, ib. 300. Question laquelle toutes gens craignans Dieu à bon droit ont en horreur comme un monstre detestable, Calvin, ib. 357.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. mostre ; espagn. monstruo ; portug. monstro ; ital. mostro ; du lat. monstrum, qui vient directement de monere, avertir, par suite d'une idée superstitieuse des anciens : quod moneat, dit Festus, voluntatem deorum. Monstrum est pour monestrum ; monstrare (voy. MONTRER) est le dénominatif de monstrum.