« partager », définition dans le dictionnaire Littré

partager

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

partager

(par-ta-jé. Le g prend un e devant a et o ; partageais, partageons) v. a.
  • 1Diviser une chose en plusieurs parties. Partager un gâteau. Partager le travail entre des ouvriers. Eux venus, le lion par ses ongles compta, Et dit : nous sommes quatre à partager la proie, La Fontaine, Fabl. I, 6. Constantin, fils de l'empereur Constantius Chlorus, partage l'empire comme un héritage entre ses enfants, Bossuet, Hist. III, 7. Alger… tu te verras attaqué dans tes murailles, comme un oiseau ravissant qu'on irait chercher parmi ses rochers et dans son nid, où il partage son butin à ses petits, Bossuet, Mar.-Thér. Il partagea l'empire à ces deux princes, donnant l'Orient à Arcadius, et l'Occident à Honorius, Fléchier, Théod. IV, 74. Quelques législateurs anciens, comme Lycurgue et Romulus, partagèrent également les terres, Montesquieu, Esp. V, 5. Vous voilà tout accoutumée à des partages ; l'empire turc sera partagé, et vous ferez jouer l'Œdipe de Sophocle dans Athènes, Voltaire, Lett. Catherine, 13 fév. 1773. L'espérance de partager les Pays-Bas avec les Hollandais était le principal objet du cardinal de Richelieu, Voltaire, Ann. Emp. Ferdinand II, 1635.

    Fig. Ils partagent le gâteau ensemble, se dit de ceux qui sont d'intelligence pour faire quelque profit secret.

    Partager le différend par la moitié, ou, simplement, partager le différend, se relâcher chacun de son côté sur ses prétentions.

    Familièrement. Partager la poire en deux, se dit quand, dans une discussion sur une affaire d'intérêt, on partage la somme par moitié.

    Partager un cheveu en quatre, se dit de ceux qui affectent de suivre les choses jusque dans les plus subtiles subdivisions. Cela s'appelle partager un cheveu en quatre, Mlle de L'Espinasse, Lettr. t. II, p. 92, dans POUGENS.

    Se partager quelque chose, se dit de plusieurs personnes qui se donnent, à chacune, une part de quelque chose.

    Fig. Les repentirs, les doux souvenirs, les regrets, l'attendrissement se partagent le soin de me faire oublier quelques moments mes souffrances, Rousseau, 3e lett. à M. de Malesherbes.

    Partager le soleil, ménager également les mêmes avantages aux deux combattants, en champ clos.

    Terme de manége. Partager les rênes, prendre une rêne dans chaque main, et conduire ainsi son cheval.

    Terme de marine. Partager le vent, manœuvrer de manière que, si l'on ne peut avoir l'avantage du vent, l'ennemi ne l'ait pas non plus ; et aussi prendre le vent en plusieurs bordées à peu près égales, tantôt d'un côté, tantôt de l'autre.

  • 2Former, dans un tout, des parties distinctes, mais non effectivement séparées les unes des autres. Ce fleuve partage la province. Partager un nombre en deux. La Seine… Voit du sein de ses eaux vingt îles s'élever, Qui, partageant son cours en diverses manières…, Boileau, Ép. VI.
  • 3Attribuer en part. Si l'on vient pour me voir, je vais aux prisonniers Des aumônes que j'ai partager les deniers, Molière, Tart. III, 2. La nature, fertile en esprits excellents, Sait entre les auteurs partager les talents, Boileau, Art p. I. Cette impossibilité de partager à mes inclinations le peu de temps que j'avais de libre renouvela plus vivement le désir que j'avais depuis longtemps de ne faire qu'un ménage avec Thérèse, Rousseau, Confess. VIII. Ah ! les biens les plus doux sont les biens qu'on partage, Delille, Parad. perdu, VIII. On ne jouit bien que de ce qu'on partage, Genlis, Mères rivales, t. I, p. 367, dans POUGENS.
  • 4Donner en partage, avec le régime direct de la chose. Et de son amitié je ne puis l'exiger, Sans vous voler un bien qu'il vous doit partager, Corneille, Pulch. I, 3. Il lui partagera son propre diadème, Et de toute sa gloire il le fera briller, Corneille, Imit. I, 19. Ne faites point languir deux amants davantage, Et nous dites quel sort votre cœur nous partage, Molière, Mélic. II, 6.

    Donner en partage avec le régime direct de la personne. Son père l'a partagé en aîné. Trouve-t-on mauvais qu'un souverain, dans la distribution de ses faveurs, partage mieux ceux de ses sujets qui s'appliquent avec plus de soin et de vigilance à le servir ? Massillon, Carême, Fautes légères.

    Fig. Il se dit des dons de la nature, de la fortune, du ciel, de Dieu. La nature l'a mal partagé. Il est bien partagé du sort. Jamais mon dessein ne s'est étendu plus avant que de tâcher à réformer mes propres pensées… ceux que Dieu a mieux partagés de ses grâces auront peut-être des desseins plus relevés, Descartes, Méth. II, 3. Les dieux vous ont mal partagé pour tous les dons de la fortune, Fénelon, Tél. I.

  • 5 Fig. Faire une part en des choses abstraites ou morales. Ce père partage également sa tendresse entre tous ses enfants. M. de Montausier se régla sur une prudente équité, partageant, avec ses moindres officiers, ses biens par libéralité, et leurs fatigues par constance, Fléchier, Duc de Mont. La seule Judée connaissait sa sainte et sévère jalousie [de Dieu], et savait que partager la religion entre lui et les autres dieux était la détruire, Bossuet, Hist. II, 5. Mais l'État veut un maître, et vous devez songer Que pour garder vos droits il les faut partager, Voltaire, Mérope, I, 3.
  • 6 Fig. Avoir une part en des choses abstraites, morales. Il a partagé avec lui l'honneur de cette journée. Lorsque vous m'apportez des fers à partager, Corneille, Sophon. III, 6. Je ne veux point, monsieur, jaloux ou non jaloux, Partager de son cœur rien du tout avec vous, Molière, Misanth. v, 2. Et moi je ne veux plus, tant tu m'es odieux ! Partager avec toi la lumière des cieux, Racine, Théb. IV, 3. Prince, je me dévoue à ces dieux immortels, Dont ta vertu t'a fait partager les autels, Racine, Brit. v 8. Ainsi que mes grandeurs, partage mes souffrances, Brifaut, Ninus II, II, 2.
  • 7 Fig. Faire des divisions en des choses abstraites, morales. Il partage son temps entre l'étude et les plaisirs.

    Il se dit des choses qui produisent un pareil partage. J'ai servi deux tyrans ; Un vain bruit et l'amour ont partagé mes ans, La Fontaine, Poésies mêlées, LXIX. Tous ces intervalles de repentir qui ont partagé toute votre vie, Massillon, Carême, Inconst.

  • 8 Fig. S'intéresser à, prendre part à. Continuez, ma belle, à me parler de vous, sans craindre que cela m'ennuie ; mon amitié s'accommode mieux de partager vos peines que de les ignorer, Sévigné, 1 fév. 1690. Didon a beau gémir et m'étaler ses charmes, Je condamne sa faute en partageant ses larmes, Boileau, Art p. IV. Mais qui sait si depuis Je n'ai pas en secret partagé vos ennuis ? Racine, Andr. II, 2. Mon cœur, dès ce moment, partagea vos misères, Voltaire, Alz. II, 2.

    Partager l'opinion, l'avis, le sentiment de quelqu'un, être de son opinion, de son avis, de son sentiment.

    On dit, dans un sens analogue : partager la crainte, les soupçons, la défiance, la confiance de quelqu'un.

  • 9 Fig. Produire dans l'âme des sentiments qui se balancent. Mais en ce dur combat de colère et de flamme, Il [l'amour] déchire mon cœur sans partager mon âme, Corneille, Cid, III, 3. Ni les conseils de la Providence, ni l'état de la princesse ne permettaient qu'elle partageât tant soit peu son cœur, Bossuet, Anne de Gonz. Le monde… où… si l'on ne refuse son cœur à Dieu, au moins on le partage entre lui et les créatures, Fléchier, Mme de Mont. D'ailleurs mille desseins partagent mes esprits, Racine, Mithr. III, 5. Combattu par ces agitations infinies qui partagent le cœur sur le point d'un changement, Massillon, Carême, Prodigue. Le vin et la paresse se disputent mon cœur… Eh non, ils ne se le disputent pas, ils y règnent paisiblement ensemble… Se partagent mon cœur… Dit-on se partagent ? Eh ! mon Dieu ! nos faiseurs d'opéras comiques n'y regardent pas de si près, Beaumarchais, Barb. de Sév. I, 2.
  • 10 Fig. Séparer en partis opposés, en sentiments opposés. Il faut, pour la braver [Rome], qu'elle nous prête un homme ; Et que son propre sang en faveur de ces lieux Balance les destins et partage les dieux, Corneille, Sertor. Il, 1. Ces deux peuples jaloux partagèrent toute la Grèce, Bossuet, Hist. I, 8. Jamais, pour s'agrandir, voit-on dans sa manie Un tigre en factions partager l'Hyrcanie ? Boileau, Sat. VIII. Mais, quoique seul pour elle, Achille furieux Épouvantait l'armée et partageait les dieux, Racine, Iph. v, 6. Serez-vous toujours prête à partager l'empire ? Racine, Brit. I, 2. Que d'opinions différentes ont partagé autrefois les écoles de la philosophie païenne ! Massillon, Carême, Vérité de la religion. Au douzième siècle, les moines noirs et les blancs formaient deux grandes factions qui partageaient les villes, à peu près comme les factions bleues et vertes partagèrent les esprits dans l'empire romain, Voltaire, Mœurs, 63.
  • 11 V. n. Avoir part, avoir droit à une part. Il ne partage pas dans cette succession. Ah ! crois qu'avec César on partage sans peine, Voltaire, Rome sauv. II, 3.

    Partager comme frères, en frères, faire un partage égal.

  • 12Se partager, v. réfl. Être coupé en diverses parties. La route se partage en deux branches. L'or se peut partager, mais non pas la louange ; Le plus grand orateur, quand ce serait un ange, Ne contenterait pas, en semblables desseins, Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints, La Fontaine, Lettre XVIII. Ces terres et ces seigneuries qu'il [un riche] avait ramassées avec tant de joie, se partageront en mille mains, Bossuet, 1er sermon pour le 4e dim. de car. 3.

    Fig. Nous autres malheureux perdrons-nous tout courage Pour voir que notre vie ici-bas se partage Aux inégalités… ? Corneille, Imit. II, 9.

  • 13Il se dit d'une troupe qui se divise en fractions moindres. Amis, partageons-nous : qu'Ismaël en sa garde Prenne tout le côté que l'orient regarde ; Vous, le côté de l'Ourse…, Racine, Ath. IV, 5.
  • 14 Fig. Il se dit d'une personne qui partage son temps, ses soins, son affection. L'une aura ma grandeur comme l'autre eut mes yeux ; C'est ainsi qu'Attila se partage à vous deux, Corneille, Att. III, 4. Attachée auprès de son lit, où elle sacrifiait toute sa joie, prosternée aux pieds des autels, où elle offrait à Dieu toutes ses peines, elle se partageait entre ses soins et ses prières, Fléchier, Mme de Montaus. J'aimerais peut-être encore mieux qu'il [le président Hénault] se partageât uniquement entre vous et lui-même ; il ne trouvera jamais de société plus charmante que ces deux-là, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 26 juill. 1764.

    On le dit aussi des choses, en un sens analogue. Sa tendresse se partage également entre tous ses enfants

  • 15 Fig. Être de partis, d'avis, de sentiments différents. Quand les dieux étonnés semblaient se partager, Pharsale a décidé ce qu'ils n'osaient juger, Corneille, Pomp. I, 1. Les avis se partagent fort sur la manière de censurer, Bossuet, Lett. quiét. 63. … Pour le choix d'un maître Athènes se partage, Racine, Phèdre, I, 4. C'est ainsi que les opinions se partagent sur toutes les affaires de ce monde, Voltaire, Lett. Lekain, 23 févr. 1767. Les interprètes de Platon, anciens et modernes, se sont partagés sur la nature de l'âme du monde, Barthélemy, Anachars. ch. 59.

REMARQUE

On dit partager avec quand on retient pour soi une partie des choses que l'on partage ; et partager entre quand on ne retient rien. Il partageait son bien avec les pauvres, et n'en réservait qu'une très petite partie. Il vendit tous ses biens et les partagea entre les pauvres. On dit aussi partager à dans le sens de distribuer.

SYNONYME

PARTAGER, DISTRIBUER. Partager une chose, c'est la diviser en différentes parts ; distribuer, c'est remettre les différentes parts à ceux à qui elles reviennent.

HISTORIQUE

XVIe s. L'une a esté comme la plus aagée, Premierement sur mon cœur partagée, Du Bellay, J. III, 52, recto. Là dedans ils furent vivement attaquez ; mais si oppiniastres, qu'il les fallut avoir par le feu, avec lequel partageans tousjours, ils amuserent cette armée plus de deux heures, D'Aubigné, Hist. II, 309. Par là [le roi] partagea à son profit la faveur du vent et du soleil, D'Aubigné, ib. III, 230. Les esclaves des chrestiens brulerent la grande ville, et contraignirent leur maistre de se partager [se retirer] en la forteresse, D'Aubigné, ib. III, 506.

ÉTYMOLOGIE

Partage ; nivernais, partaizé.