« prose », définition dans le dictionnaire Littré

prose

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

prose

(prô-z') s. f.
  • 1Discours non assujetti à une certaine mesure, à un certain nombre de pieds et de syllabes. Il y en a qui tiennent que ce n'est point un vice qu'un vers dans la prose, encore qu'il fasse un sens complet et qu'il finisse en cadence, pourvu qu'il ne soit pas composé de mots spécieux et magnifiques, et qui sentent la poésie ; mais je ne suis pas de leur avis, Vaugelas, Rem. t. I, p. 163, dans POUGENS. Ronsard, qui était un grand poëte, disait fort bien dans la connaissance qu'il avait de la différence qu'il y avait entre la poésie et la prose, qu'elles étaient mortelles ennemies, Vaugelas, Nouv. Rem. p. 200, dans POUGENS. Il est certain que la prose, pour satisfaire l'oreille, doit avoir ses cadences et ses mesures, comme la poésie, Vaugelas, Rem. not. Th. Corn. t. I, p. 165, dans POUGENS. Écrit en prose qui veut, mais en vers qui peut, Voltaire, Lett. St Lambert, 7 mars 1769. On a tenté de nous donner des tragédies en prose ; mais je ne crois pas que cette entreprise puisse désormais réussir ; qui a le plus ne saurait se contenter du moins, Voltaire, Brutus, Disc. trag. Ce morceau [de Buffon], dérobé à la poésie, semble être de Massillon ou de Fénelon, qui se permirent si souvent d'être poëtes en prose, Voltaire, Singul. natur. X. Je suis indigné, depuis quelques années, de la prose de Paris, et surtout de la prose des avocats, qui parlent presque tous comme maître Petit-Jean, Voltaire, Lett Mme du Deffant, 30 mars 1775. Vous m'ordonnez, monseigneur, de vous présenter quelques règles pour discerner les mots de la langue française qui appartiennent à la prose, de ceux qui sont consacrés à la poésie, Voltaire, Lett. pr. roy. de Prusse, 20 déc. 1737. Despréaux écrivait ordinairement ses ouvrages en prose, avant que de les mettre en vers ; on assure que Racine en usait de même pour ses tragédies, D'Alembert, Éloges, Despréaux. La prose avait-elle autrefois cette précision, cette rapidité, ce mouvement, cette couleur, cette âme enfin, qu'elle a reçue de nos modernes écrivains ? Marmontel, Essai sur le goût. Ces bosquets de Saint-Pierre, île délicieuse, Qu'embellit de Rousseau la prose harmonieuse ! Delille, Pitié, IV. Hérodote suivit de près ces premiers inventeurs de la prose [Xanthus, Hellanicus, etc.], et mit plus d'art dans sa diction, moins incohérente, moins hachée, Courier, Préf. d'une trad. d'Hérode. La prose naissante [dans la Grèce] s'empara de l'histoire, en exclut la poésie comme de bien d'autres sujets, Courier, ib. C'est que vraiment la poésie est l'enfance de l'esprit humain, et les vers l'enfance du style, n'en déplaise à Voltaire et autres contempteurs de ce qu'ils ont osé appeler vile prose, Courier, ib.

    Prose poétique, prose qui a les caractères de la poésie, sauf la mesure. Le style de Platon prévalut, quoique ce style de prose poétique ne convienne point du tout à la philosophie, Voltaire, Phil. Hist. établ. christ. 3.

    Fig. Faire de la prose sans le savoir, réussir par hasard et sans dessein (locution tirée de la phrase du Bourgeois gentilhomme de Molière, qui elle-même provient de l'aventure du comte de Soissons, ci-dessous rapportée). Le maître : Tout ce qui n'est point prose est vers, et tout ce qui n'est point vers est prose. - M. Jourdain : Et comme l'on parle, qu'est-ce que c'est donc que cela ? - Le maître : De la prose. - M. Jourdain : Quoi ! quand je dis : Nicole, apportez-moi mes pantoufles, et me donnez mon bonnet de nuit, c'est de la prose ? - Le maître : Oui, monsieur. - M. Jourdain : Par ma foi, il y a plus de quarante ans que je dis de la prose, sans que j'en susse rien, Molière, Bourg. gent. II, 6. Comment, ma fille ? j'ai donc fait un sermon sans y penser ? j'en suis aussi étonnée que M. le comte de Soissons quand on lui découvrit qu'il faisait de la prose, Sévigné, 433.

    Fig. En vers et en prose, de toute façon. Je suis assurée de votre santé… dites-le-moi cependant encore ; écrivez-le-moi en vers et en prose, Sévigné, 28 juill. 1677.

    Familièrement. De la prose de quelqu'un, un écrit, une lettre de lui. Mais, monsieur, n'avez-vous jamais vu de ma prose ? Régnier, Sat. VIII. Le maître est tout à vous, et voici de sa prose, Corneille, le Ment. IV, 8.

  • 2 Terme d'Église. Hymne latine rimée que l'on chante à la messe immédiatement avant l'Évangile dans les grandes solennités, ainsi dite parce qu'on y observe seulement le nombre des syllabes, sans avoir égard à la quantité prosodique. La prose des morts. La plus belle prose de l'Église, le Dies irae, qui devrait être l'objet de l'émulation de tous les grands musiciens, Marmontel, Œuv. t. IV, p. 197. Racine, en imitant ces proses, a pensé qu'elles étaient dignes de sa muse, Chateaubriand, Génie, IV, I, 3.

    Fig. et familièrement. Que diable ! tu réponds toujours la même prose. - Mais tu me dis aussi toujours la même chose, Regnard, le Distr. IV, 3.

HISTORIQUE

XIIIe s. La grans partisons [division] de tous parleors est en deus manieres, une qui est en prose, et une autre qui est en rime ; mais li enseignement de rhetorique sont commun andui [tous les deux], sauf ce que la voie de prose est large et pleniere, si comme est ore la commune parleure des gens ; mais li sentiers de rime est plus estroiz et plus fors, Latini, Trésor, p. 481.

XIVe s. Or vus vueil dire… Les paroles… Car retenues les ay bien, ce me semble ; Si les diray en prose ; car il semble Auculnes fois qu'on adjoute ou assemble Trop de langage à la matiere de quoy on fait ouvrage, Creton, Hist. litt. de la Fr. t. XXIV, p. 447. Ung commandement de l'empereur Chailes le Chauve, par quoy il revestoit son fils du royaulme de France, et luy requeroit [au pape] qu'il conferma celle prose par son privilege, Chron. de St Denis, t. I, f° 196, dans LACURNE.

XVe s. Quoy ! tu fais le rimeur en prose : Et à qui vends-tu tes coquilles ? Patelin.

XVIe s. Letanies, hymnes et proses, où ils magnifient les saincts jusques au bout, Calvin, Instit. 698. Et semble à ces versificateurs avoir beaucoup fait pour la republique, quand ils ont composé de la prose rimée, Ronsard, 583. Comme disoit celuy-là [Sénèque], aussi poetiquement en sa prose [qu Horace en ses vers]…, Montaigne, I, 188. La meilleure prose ancienne, et je la seme ceans indifferemment pour vers, reluit partout de la vigueur et hardiesse poetique, Montaigne, IV, 137. De peu de chose peu de prose, Cotgrave, au mot peu.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. espagn. et ital. prosa ; du lat. prosa et aussi prorsa, de prorsus, direct, droit : le grec nommait aussi la prose ἡ εὐθεία, la droite, parce que la prose a moins de transpositions que les vers.