« compter », définition dans le dictionnaire Littré

compter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

compter

(kon-té) v. a.
  • 1Faire un calcul. Compter de l'argent. Il compta les baliveaux. Et tout ce peuple ingrat pour qui je périrai, S'enivrant du plaisir de compter mes blessures, Delavigne, Vêpr. sicil. II, 6. Voyez, chrétiens, comme les temps sont marqués, comme les générations sont comptées ; Dieu détermine jusqu'à quand doit durer l'assoupissement, Bossuet, Reine d'Anglet. En un mot, qui voudrait épuiser les matières, Peignant de tant d'esprits les diverses manières, Il compterait plutôt combien dans un printemps Guenaud et l'antimoine ont fait périr de gens, Boileau, Sat. IV.

    Compter quelque somme à quelqu'un, lui faire un payement en comptant les espèces. Je lui ai compté mille francs.

    Fig. Ah ! souffrez qu'un couvent dans les austérités Use les tristes jours que le ciel m'a comptés, Molière, Tart. IV, 3. Sais-je combien le ciel m'a compté de journées ? Racine, Bér. IV, 4.

    Fig. Compter les heures, les jours, éprouver l'impatience que donne l'inquiétude ou l'attente. Il commençait à compter les moments dans l'attente de son retour, Hamilton, Gramm. 7. Tu comptes les moments que tu perds avec moi, Racine, Andr. IV, 5. Ces maximes sévères Qui font que les enfants comptent les jours des pères, Molière, Écol. des Mar. I, 2.

    Compter par, signaler par. Vous ne comptez vos jours que par des sacriléges, Massillon, Avent. Jugem. Vous comptez tous vos jours et marquez tous vos pas Par des plaisirs affreux ou des assassinats, Voltaire, Catilin. I, 5. Et qui, faisant fléchir les plus superbes têtes, Comptera désormais ses jours par ses conquêtes, La Fontaine, Fabl. Dédic. au Dauph.

    Compter dix, vingt années de services, avoir servi l'État pendant dix, vingt années.

    Compter tant d'années, de siècles d'existence, se dit des monuments, des institutions, des peuples qui durent depuis tant d'années, de siècles.

    Poétiquement. Compter tant d'années, tant de printemps, tant d'hivers, être âgé de tant d'années. Cette jeune fille comptait seize printemps. Ce vieillard compte quatre-vingts hivers.

    Compter les morceaux, se dit d'un avare qui regrette ce qu'il donne à manger. Compter les morceaux de quelqu'un, ne lui donner que le juste nécessaire. Compter les morceaux à quelqu'un, tenir compte de ce qu'il mange et, en général, de ce qu'il dépense.

    Compter ses pas, marcher lentement ; et fig. Faire les choses avec mesure et circonspection.

    Compter tous les pas de quelqu'un, l'observer de fort près.

    Absolument, dans la musique, suivre la mesure sans jouer ni chanter.

  • 2Faire le compte de. Compter la dépense. Comptez, je vous prie, ce que nous coûte notre séjour à l'hôtel.

    Absolument. Avant de partir il faut compter.

  • 3Comprendre en un compte, porter en compte. Comptez-vous ce que je vous ai avancé ? Je ne compte pas cela.

    Par extension. Vous ne devez compter à vous de vos revenus que ce qui est nécessaire pour soutenir l'état…, Massillon, Carême, Aum.

    Compter quelque chose à quelqu'un, mettre sur son compte : Il m'a tout compté, jusqu'à la bougie ; et fig. lui en tenir compte. Servez donc ce roi immortel et si plein de miséricorde, qui vous comptera un soupir et un verre d'eau donnés en son nom, plus que tous les autres ne feront jamais tout votre sang répandu, Bossuet, Louis de Bourbon. Il est doux pour un amant de faire des sacrifices qui lui soient tous comptés, Rousseau, Hél. I, 10.

    Ne compter à rien quelque chose, n'en pas faire cas. Je ne vous compte à rien le nom de mon époux, Corneille, Poly. IV, 3. Depuis quand le retour d'un cœur comme le mien Fait-il si peu d'honneur qu'on ne le compte à rien ? Corneille, Suréna, II, 3.

  • 4Ranger quelqu'un, quelque chose parmi d'autres personnes, parmi d'autres choses. On comptait parmi les conjurés des hommes considérables. Rome comptait la Gaule parmi ses provinces. Je vous compte au nombre de mes amis. Vous que l'Orient compte entre ses plus grands rois, Racine, Bérén. I, 1. En combattant pour vous, me sera-t-il permis De ne vous point compter parmi mes ennemis ? Racine, Andr. I, 4. Il vous compte déjà pour un de ses sujets, Corneille, Cinna, III, 1.

    Compter parmi ses aïeux, ses ancêtres, avoir au nombre de ses aïeux, de ses ancêtres. Silanus, sur qui Claude avait jeté les yeux Et qui comptait Auguste au rang de ses aïeux, Racine, Brit. I, 1.

  • 5Énumérer. Baruc, Daniel, sans compter les autres, Bossuet, Hist. II, 13.
  • 6Dater. [Rome] Du règne de Néron compte sa liberté, Racine, Brit. I, 2.
  • 7Réputer, regarder comme. Mais peut-être que, prêt à mourir, on comptera pour quelque chose cette vie de réputation ou cette imagination de revivre dans sa famille qu'on croira laisser solidement établie, Bossuet, le Tellier. Comptons donc comme très court, chrétiens, ou plutôt comptons comme un pur néant tout ce qui finit, Bossuet, ib. St Paul ne comptait pour rien d'être jugé des hommes, Fléchier, Serm. I, 222. Il comptait pour rien les hommes, Fénelon, Tél. II. Vous ne comptez pour rien l'immortalité, Fénelon, ib. VII. Pour quelque chose, Esther, vous comptez votre vie ? Racine, Esther, I, 3. Et comptez-vous pour rien Dieu qui combat pour vous ? Racine, Athal. I, 2. Comptez-vous vos soldats pour autant de héros ? Racine, Mithr. III, 1. Un esprit frivole et léger n'est capable de rien ; et tout ce qu'il entreprend, on le compte déjà pour échoué, Massillon, Carême, Inconstance. Cette passion honteuse ne compte-t-elle pas pour rien tous les devoirs ? compte-t-elle pour beaucoup les bienséances mêmes ? Massillon, Le jour de Noël. Si vous êtes désabusé du monde, pourquoi comptez-vous encore pour quelque chose ses jugements ? Massillon, Carême, Resp. hum.
  • 8Faire cas de. On ne daigne peser ni compter mon suffrage, Corneille, Suréna, I, 1.
  • 9 V. n. Calculer. Il sait lire, écrire et compter.

    Savoir compter, être très éveillé sur ses intérêts. On siffle le patriotisme ; Ce qu'on sait le mieux c'est compter, Béranger, Poëte de cour.

    Sans compter, c'est-à-dire à pleines mains, quand il s'agit de prendre ou de recevoir ou de donner.

    Ne pas compter après quelqu'un, accepter de confiance ce qu'il dit ou croit, etc. Je trouve vos résultats si probables que je ne compte pas après vous, Voltaire, Lett. Dionis du Séjour, 18 janv. 1775.

    Compter par bref, c'est compter sommairement et sur de simples mémoires ou bordereaux de compte.

    Cette femme ne compte plus, se dit d'une femme enceinte qui, près du terme, attend de jour en jour son accouchement.

  • 10Arrêter un compte. Nous comptons chaque soir.

    C'est un homme qui ne veut ni compter ni payer, se dit d'un mauvais payeur.

    Compter avec quelqu'un, régler le compte qu'on a avec lui.

    Et fig. Ils comptaient en toutes choses avec eux-mêmes, La Bruyère, V. Comptons avec nous-mêmes avant que Dieu compte avec nous, Massillon, Orais. fun. Madame. Mon père devint tout à fait favori [de Louis XIII] et ne compta jamais avec aucun ministre, Saint-Simon, 6, 81. La valeur et la capacité les plus réelles n'auraient pas suffi, il faut toujours dans de semblables choix compter avec l'opinion des hommes, Fontenelle, Marsigli. Que les plaisirs vous couvrent de leurs ailes, Avec le temps vous compterez plus tard, Béranger, Bon vieillard.

  • 11Rendre compte. Il faut examiner si M. Fouquet et tout autre surintendant peut être obligé ; en aucun cas, de compter de son administration, Pellisson, II, 62. De cette pratique de vertu [la dévotion], le comble de toutes les autres pour le commun des hommes, il [le duc de Bourgogne] ne doit pas être en crainte d'en compter un jour devant Dieu, Saint-Simon, 265, 74.
  • 12Se proposer. Il compte partir demain, Acad. Il compte de se retirer dans un village, Fénelon, Tél. XXIV. Il compte d'aller à Versailles, Sévigné, 509. On compte de faire rebâtir cet appartement, Sévigné, 20. C'est qu'ils comptent de n'être jamais hommes, Rousseau, Ém. IV. Je compte de me reposer le reste de mes jours, Montesquieu, Correspondance, 20. Son inflexibilité leur assurait combien il comptait d'avoir pris le bon parti, Fontenelle, Chirac. Je n'ai qu'à vivre de la manière dont j'ai vécu jusqu'à présent ; et pourquoi ? parce que je compte de me repentir quelque jour, et de me repentir véritablement d'avoir ainsi vécu, Bourdaloue, Pensées, t. I, p. 387.

    Compter que, compter de, estimer, croire. Comptez que vous me trouverez toujours prêt à vous servir. Dubois comptait d'avoir fait beaucoup en réduisant l'Angleterre à consentir à la disposition des successeurs de Parme et de Toscane en faveur des descendants d'Espagne, Saint-Simon, 490, 118. Peut-elle compter d'en être crue sur sa parole ? Massillon, Myst. Assompt. Après la réprimande qu'elle comptait qu'on lui eût faite, Hamilton, Gramm. 4.

  • 13Compter sur, avoir espoir, confiance. On ne pouvait jamais compter sur lui, Hamilton, Gramm. 4. Personne n'ose lui dire qu'il ne doit plus compter sur la vie, Massillon, Mort. Nous comptons tous sur toi, comme si dans ces lieux Nous entendions Caton, Rome même et nos dieux, Voltaire, Mort de César, III, 3.
  • 14Dater. La république romaine compte de l'expulsion des Tarquins.

    À compter de, à partir, à dater de. À compter de demain, cet enfant ira au collége.

  • 15Être compté. Une syllabe élidée ne compte pas dans les vers latins. Il compte parmi les hommes les plus habiles de sa profession. Les pleurs comptent pour le sourire, Les nuits d'exil pour de beaux jours, Lamartine, Harm. III, 4.

    Familièrement. Il ne compte pour rien, il n'a aucune influence personnelle.

    Cela ne compte pas, n'entre pas en compte ; et, figurément, cela ne fait rien à l'affaire.

  • 16Se compter, v. réfl. Se mettre au nombre de. Je ne me compte point pour un de vos sujets, Corneille, Hor. II, 1. Elle apprend à se compter pour rien, Bossuet, Lett. abb. 118. Le triste Antiochus Se compta le premier au nombre des vaincus, Racine, Bérén. I, 4.

    Être compté. Cela se compte. Cela ne se compte pas.

    PROVERBE

    Qui compte sans son hôte compte deux fois, c'est-à-dire quand on fait son compte dans une auberge sans l'hôtelier, il se trouve qu'on n'a pas évalué la dépense assez haut, et, en général, quand on fait des arrangements sans consulter les personnes qui y sont intéressées, on court risque d'avoir des mécomptes.

REMARQUE

1. Racine a dit : Et l'on sait que toujours la Colchide et ses princes Ont compté le Bosphore au rang de leurs provinces, Racine, Mithr. I, 1.. On a critiqué compter au rang, objectant qu'on dit mettre au rang et compter au nombre. Mais cette critique n'est pas fondée ; et l'on peut aussi bien compter dans un rang que dans un nombre.

2. Compter de faire, ou compter faire. L'un et l'autre se disent ; le dernier est plus usité présentement ; l'autre l'était plus autrefois.

HISTORIQUE

XIe s. Je ai cunté, n'i a mais que sept lieues, Ch. de Rol. CXCIV.

XIIe s. Or menrez [mènerez] vous honteuse vie ci ; Si vous conte on avoec les recreans, Hues D'Oisi, Romancero, p. 103.

XIIIe s. Sans les autres richesses que je ne sai conter, Berte, XCVII. Et quant le [la] coze faut, et il ont conté ensanlle de la perte ou du gaaing qu'il y orent, la compaingnie est faillie, Beaumanoir, XXI, 30. Et qui ainsi conte, il conte sagement et loialment, Beaumanoir, XXIX, 14. Tuit li enfant d'un mariage, quant il vienent en compaignie avec le secont mariage ou avec le tiers, ne sont conté que por une sole personne, Beaumanoir, XXI, 8.

XVe s. Il [Charles VI] pensoit les [Bretons, Normands, etc.] embesogner sur les Parisiens qui avoient fait faire et forger les maillets ; et compteroit-on à eux [leur demanderaiton compte], Froissart, II, II, 103. Et si ne leur vint à nul profit qui à compter fasse, Froissart, I, I, 138. Au fort, martir on me devra nommer, Se Dieu d'amours fait nulz amoureux saints, Car j'ay des maulx plus que ne sçay compter, Orléans, Bal. 10. Si veit [elle vit] que sa philozomie donnoit à congnoistre qu'elle comptast pou [peu] à une telle adventure dont elle se complaignoit, Perceforest, t. II, f° 137. Affermant que, s'il l'y trouvoit, il compteroit avec lui [aurait affaire à lui] et le feroit retourner outre son plaisir, Louis XI, Nouv. LXXIII.

XVIe s. Compte nous entierement l'ordre, le nombre et la forteresse de l'armée, Rabelais, Pant. II, 26. Vous comptez sans vostre houste, Rabelais, ib. Mon cousin, ce porteur vous sçaura bien au long compter de l'empeschement que j'ay eu jusques icy, Marguerite de Navarre, L. 29. Vous ne vous repentirés d'avoir prochassé de l'honneur à ceulx desquels vous pouvés conter la maison la vostre mesmes, Marguerite de Navarre, ib. 147. En un beau corps il ne fault qu'on y puisse compter les os et les veines, Montaigne, I, 192. Tout compté, il y a plus de peine à garder l'argent qu'à l'acquerir, Montaigne, I, 315. Je ne sçais compter ny à ject ny à plume, Montaigne, III, 59. Qui compte seul, compte deux fois, comme celui qui compte sans son hoste, Loysel, 206. Comptant le nombre des victoires qu'il avoit emportées, Amyot, Péric. 73.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. comtar, condar ; anc. catal. comptar ; espagn. contar ; ital. contare ; du latin computare, compter, de cum, et putare, penser (voy. PUTATIF).