« éloigner », définition dans le dictionnaire Littré

éloigner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

éloigner

(é-loi-gné ; on a prononcé aussi é-logné, et Ménage condamne cette prononciation ; au contraire, Chifflet, Gramm. p. 200, recommande de prononcer élogner) v. a.
  • 1Mettre loin. Éloignant les postes les uns des autres. Éloigner cette table, cette chaise du feu. Éloignez cela de moi. Le tyran, du palais nous a tous éloignés, Corneille, Héracl. IV, 6. Voici l'instant qui va nous éloigner, Voltaire, Brut. IV, 3. Dans les moments où le combat s'engage, M'éloigner du danger, c'est trop me faire outrage, Voltaire, Soph. I, 4.

    Par extension. Le roi éloigna ce favori. Éloigner un jeune homme des mauvaises compagnies.

  • 2Il se dit du temps. Chaque jour nous éloigne de cette époque.

    Retarder, différer. Éloigner un payement.

  • 3Rejeter, éviter, détourner. Éloignez de vous ces pensées. Le travail éloigne le vice. Considérons encore une fois devant Dieu et en éloignant l'esprit de dispute, ce qu'on a prouvé par tant de faits, tirés par exemple de l'histoire de l'arianisme, Bossuet, Var. 2e instruct. past. § 115.

    Éloigner de, avec un verbe à l'infinitif. Cet organe des dieux [un oracle] put se laisser gagner à ceux que ma naissance éloignait de régner, Corneille, Œd. III, 5. Une modestie qui l'éloigne de penser qu'il fasse le moindre plaisir, La Bruyère, II.

  • 4Ôter l'affection. Rien n'est plus capable d'éloigner les cœurs, les esprits.
  • 5S'éloigner, v. réfl. S'en aller, quitter un lieu. Il s'éloignait à pas lents. Éloignez-vous un peu. Pour éviter l'inceste, Je n'ai qu'à m'éloigner de ce climat funeste, Corneille, Héracl. II, 2. La galère s'éloigne avec son espérance, Corneille, Nicom. V, 5. Tu t'éloignes de nous pour consulter un homme Qui n'est que trop connu dans la ville de Rome, Mairet, Mort d'Asdrub. Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre, Que mon cœur de moi-même est prêt à s'éloigner, Racine, Bérén. IV, 5. Qu'on s'éloigne un moment, Racine, Esth. I, 3.

    Terme de peinture. Cette figure s'éloigne bien, elle fuit bien.

  • 6 Fig. S'éloigner de son devoir, y manquer. S'éloigner du respect que l'on doit à quelqu'un, Maucroix, Schisme, liv. I, dans RICHELET.

    S'éloigner des vues, des intentions de quelqu'un, ne pas s'y conformer.

  • 7Ne pas s'éloigner de, n'être pas loin de, n'avoir pas de répugnance à. Il ne s'éloigne pas d'accepter les offres que vous lui faites. Il ne paraît pas qu'il s'éloigne fort des propositions.
  • 8Être différent. Ces deux doctrines s'éloignent peu l'une de l'autre.

REMARQUE

Malherbe et Corneille ont dit éloigner activement pour s'éloigner de : Le soleil qui dédaigne une telle carrière, Puisqu'il faut qu'il déloge, éloigne sa barrière, Malherbe, I, 4. Ses vaisseaux en bon ordre ont éloigné la ville, Corneille, M. de Pomp. III, 1. C'est un archaïsme et une locution d'ailleurs analogue à celle qu'on a conservée, et qui emploie approcher de la même façon : approcher une ville, pour s'en approcher.

SYNONYME

ÉLOIGNER, ÉCARTER. Éloigner, c'est mettre au loin ; écarter, c'est mettre à l'écart ; là est déjà une première nuance. De plus, éloigner signifie seulement que l'on veut mettre loin ce qu'on éloigne, tandis que écarter exprime que l'on désire se débarrasser de ce qu'on écarte.

HISTORIQUE

XIe s. Près est de Deu e des regnes del ciel ; Par nule guise ne s'en volt esluiner, St Alexis, XXXVI.

XIIe s. Et si enemi se esloignierent par paor de lui, Machab. I, 3. Un seul petit [seulement un peu] des autres s'eslongna, Ronc. p. 168. Par quel forfait et par quel mesprison M'avez, Amours, de vous si esloignié ? Couci, VII. Mais la pitié de Deu ne volt [veut] nul esluignier, Th. le mart. 32. Dunc l'unt saisi as puinz li fil à l'aversier, S'il comencent dorment à traire e à sachier, Mais del pilier nel purent oster ne esluignier, ib. 148.

XIIIe s. Amis, trop vous font eslongier De moi felon et losengier, Romancero, p. 42. Li empereres Morchufles n'est mie à celui jour esloingié de Constantinople plus de quatre journées, Villehardouin, CXIII. Lors appela Pieron de Douay et li dist que… il, por Deu, ne l'eslongast pas, que il tout adiès ne li fust priès en ceste besoigne, par son cors garder, Villehardouin, VII. Entreuz que [pendant que] Berte fu de Pepin esloignie, Berte, LX. Quant li rois Pepins fu du manoir eslongiés, ib. CXX. A poi que li cuers ne me part, Quant de la rose me souvient, Que si eslongnier me convient, la Rose, 2978. Un chevalier cuida descendre de la grant nef en la barge de cantiers, et la barge esloigna, et cheï en la mer et fu noyé, Joinville, 214.

XVe s. Si partit de nuit [messire Jean de Neufville] monté sur fleur de coursier et esloigna les Escots [s'éloigna des Écossais], car il savoit les adresses et les refuites du pays, Froissart, I, I, 161. Je esloigneroye [allongerais] ma matiere pour deviser l'assiette de tous les coups d'un chacun, laquelle chose pourroit tourner aux oyans à ennui, Bouciq. I, 16. Et se commença à eslongner d'elle l'evesque de Lyege, Commines, VI, 2.

XVIe s. Besoin luy est d'eslongner la personne à qui son cœur enamouré se donne, Marot, I, 162. Mais il n'est pas heure de l'eslongnier [de la quitter], Marguerite de Navarre, Lett. 3. J'ai prié le roy de Navarre, que l'on eslongnast de cette ville ceulx qui estoient au dit evesque, Marguerite de Navarre, ib. 149. Il n'est nulle pire prison que d'ung corps en liberté eslongnant les lieux où son cœur est aresté, Marguerite de Navarre, ib. 66. Estre esloingné de vouloir…, Montaigne, I, 25. Tu as bien largement affaire chez toy, ne t'esloingne pas, Montaigne, IV, 147. Estant esloingné de France, et encores plus esloingné d'un tel pensement, Montaigne, IV, 149. Estant devenu si amoureux de ceste femme, qu'il ne la pouvoit esloigner de veue, Amyot, Lucull. 12.

ÉTYMOLOGIE

É- pour es- préfixe, et loin ; Berry, aloigner ; provenç. estoignar, eslueingnar.