« cher », définition dans le dictionnaire Littré

cher

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

cher, chère

(chêr, chê-r') adj.
  • 1Auquel on est attaché par une vive affection. Un homme cher à sa famille. Vous parlerai-je de ses pertes et de la mort de ses chers enfants ? Bossuet, Marie-Thér. Hermione, seigneur, peut m'être toujours chère, Racine, Andr. I, 2. Ah ! si je vous suis cher, ma princesse, vivez, Racine, Iphig. III, 6. Je pouvais de ma mort accuser… Tout l'univers plutôt qu'une si chère main, Racine, Bérénice, IV, 5. Car de son cher tyran l'injustice fut telle…, Corneille, Sertor. I, 2. Une main qui nous fut bien chère Venge ainsi le refus d'un coup trop inhumain, Corneille, Rodog. V, 4. Je te fis après lui mon plus cher confident, Corneille, Cinna, V, 1. Contre ma douleur j'aurais senti des charmes, Quand une main si chère eût essuyé mes larmes, Corneille, Cid, III, 4.

    Il s'emploie comme expression affectueuse. Mon cher ami. Mon cher oncle. Je crains Dieu, cher Abner, et n'ai point d'autre crainte, Racine, Athal. I, 1.

    Elliptiquement et familièrement. Mon cher, ma chère. Le renard dit au loup : Notre cher, pour tous mets J'ai souvent un vieux coq ou de maigres poulets, La Fontaine, Fabl. XII, 9.

    Aujourd'hui, dans le langage très familier, on supprime même l'adjectif possessif. Bonjour, chers. Çà va bien, très chers ? Venez-vous, chers bons ?

  • 2 Par extension, à quoi on tient. Son estime m'est chère. Sa mémoire vous est chère. Et [ô Dieu !] n'ayant rien si cher que ton obéissance, Où tu le fais régner, il te fera servir, Malherbe, II, 1. Un bien que j'ai si cher, Malherbe, V, 4. [Que l'amoureux] N'aime rien que ce joug et toujours s'étudie à tenir en humeur sa chère maladie, Théoph. Sat. I. Même de vos rivaux la gloire vous est chère, Corneille, Nicom. III, 8. Ainsi puisse-t-il toujours vous être un cher entretien ; ainsi puissiez-vous profiter de ses vertus, Bossuet, Louis de Bourbon. Hélas ! loin de vouloir éviter sa colère, La plus soudaine mort me la rendra plus chère, Racine, Brit. V, 7. Et que, finissant là sa haine et nos misères, Il ne séparât point des dépouilles si chères, Racine, Andr. III, 6. Chers pleurs, Racine, Bérén. IV, 5. Et ce cher intérêt est le seul qui m'amène, Racine, Mithr. IV, 2. Ma gloire vous serait moins chère que ma vie, Racine, Iph. V, 3. Mais l'offrande à mes yeux en doit être plus chère, Racine, Phèd. II, 2. Pour moi, je tiens plus chère et plus digne d'envie Une honorable mort qu'une honteuse vie, Rotrou, Antig. III, 5. Et la plus prompte mort dans ce moment sévère Devient de leur amour la marque la plus chère, Racine, Baj. IV, 5. Lorsqu'aux dépens d'une santé qui nous est si chère…, Bossuet, Louis de Bourbon. Rendre la royauté non-seulement vénérable et sainte, mais encore aimable et chère aux peuples, Bossuet, Reine d'Anglet. Mes regrets m'étaient chers ; mais mon âme affaiblie Tombant dans les langueurs de la mélancolie…, Saint-Lambert, Saisons, hiver. À tous les cœurs bien nés que la patrie est chère ! Voltaire, Tancr. III, 1.
  • 3En parlant du temps, précieux. Vous me faites perdre un temps qui nous est cher, Molière, Impr. 1. Le temps est cher en amour comme en guerre, La Fontaine, Orais. Et ce moment si cher, madame, est consumé à louer l'ennemi dont je suis opprimé, Racine, Brit. II, 6. Soit que le temps trop cher la pressât de se rendre…, Racine, Baj. III, 4. Le temps est cher, seigneur, plus que vous ne pensez ; Tandis qu'à me répondre ici vous balancez, Mathan, près d'Athalie, étincelant de rage, Demande le signal et presse le carnage, Racine, Ath. V, 2. Allez, le temps est cher, il le faut employer, Racine, Mithr. III, 5. Les moments me sont chers ; écoutez-moi, Thésée, Racine, Phèd. V, 7. Les moments sont trop chers pour les perdre en paroles, Racine, Baj. V, 4. Il faut les secourir ; mais les heures sont chères ; Le temps vole…, Racine, Esth. I, 3.
  • 4Que l'on caresse en idée. C'est mon vœu le plus cher. C'est ma plus chère espérance. Laisse-moi mon erreur, puisqu'elle m'est si chère, Corneille, Héracl. V, 3. Je connus votre erreur ; mais que pouvais-je faire ? Je vis en même temps qu'elle vous était chère, Racine, Baj. V, 4. Cette grandeur sans borne à ses désirs si chère, Voltaire, Henr. ch. III. Et mêler des remords à mes plus chers souhaits, Molière, Don Garcie, III, 2.
  • 5Qui est d'un prix élevé. Une marchandise chère. Ce drap est fort cher. Les vins sont chers cette année.

    Substantivement. Pour me régaler du plus cher [du vin le plus cher], Au beau coin m'attend dame Jeanne, Béranger, Bedeau.

    C'est chère épice, se dit d'une chose qu'on fait trop cher.

    Qui exige une grande dépense. La vie est chère. Un voyage cher.

    Une chère année, une année pendant laquelle le blé a été beaucoup plus cher qu'à l'ordinaire. Comme il [le menu peuple] est beaucoup diminué dans ces derniers temps par la guerre, les maladies, et par la misère des chères années qui en ont fait mourir de faim un grand nombre…, Vauban, Dîme, p. 97.

    Qui vend à haut prix. Ce marchand est très cher. C'est un magasin très cher. Cet ouvrier est habile, mais il est cher. Vous pouvez voir ailleurs, messieurs ; on vous accommodera peut-être ; moi, je suis cher, je vous l'avoue, Dancourt, La maison de campagne, sc. 30.

  • 6Cher, adv. À haut prix. Vendre, acheter cher. Ces étoffes coûtent cher. On compte, avec cette masure, Un quart d'arpent, cher affermé, Béranger, Jacques.

    Il fait cher vivre dans cette ville, tout ce qui sert à l'entretien de la vie y est d'un prix élevé.

    Fig. Coûter cher, être obtenu au prix de grands sacrifices, de grandes souffrances, de grandes pertes. La victoire coûtera bien cher. Que vos plaisirs coûtent cher à ces infortunés ! Votre générosité vous a pensé coûter cher, Voiture, Lett. 23.

    Vendre cher, faire obtenir au prix de grands sacrifices. Payer cher, obtenir au prix de grands sacrifices. Il me payera cher cet outrage. C'est un ordre des dieux qui jamais ne se rompt, De nous vendre bien cher les grands biens qu'ils nous font, Corneille, Cinna, II, 1. Fais-lui payer bien cher un bonheur qu'il ignore, Racine, Brit. II, 6. Et tu peux concevoir Que je lui vendrai cher le plaisir de le voir, Racine, ib. II, 2. Vous m'avez vendu cher vos secours inhumains, Racine, Baj. V, 1. Mon père paya cher ce dangereux honneur, Racine, Mithr. I, 3.

    Vendre sa vie bien cher, la venger glorieusement avant de la perdre.

    Familièrement. Il me le payera cher, il le payera plus cher qu'au marché, cela lui coûtera cher, c'est-à-dire je le ferai repentir de ce qu'il a fait.

REMARQUE

1. Voltaire a dit : On avait vendu les vivres trop chers à ses ambassadeurs [de Pierre le Grand], Charles XI.

2. C'est une faute ; cher est ici adverbe et, par conséquent, invariable ; chers ne pourrait être adjectif que s'il se rapportait à vivres ; et le sens serait alors qu'on leur avait vendu des vivres que la délicatesse ou la rareté rendait trop chers ; or ce n'est pas le sens que Voltaire veut faire entendre.

3. Cher signifiant d'un prix élevé, se met toujours après le substantif : une marchandise chère. Il faut en excepter l'expression chère année que l'on emploie quelquefois pour dire une année pendant laquelle le blé a été beaucoup plus cher qu'à l'ordinaire

HISTORIQUE

XIe s. E li plaiez [blessé] jurra [jurera] sur saints que pur mes [moins] nel pot faire, ne pur haür [haine] si chier nel fist, Lois de Guill. 11. D'or et d'argent et de garnemenz chers, Ch. de Rol. VIII. Les douze pairs que Charles a tant chers, ib. X. Tel as occis que mout cher [je] te cuid [pense] vendre, ib. CXXII. Dreiz empereres, cher sire, si ferons, ib. CLXXIV.

XIIe s. Se je chier ne li vent, Ronc. p. 15. Guenelon sire, je vous ai forment chier, ib. p. 30. Par cui il est amez et chier tenuz, ib. p. 81. Sempres morrai, mais chier me sui vendu, ib. p. 93. Chers [riche] est li lieus, si est digne l'eglise, ib. p. 179. [Elle] comperroit [payerait] cier sa folie, Couci, III. Vous merci-je, ma douce amie chere, ib. XVIII. Li cristien rei solent saint iglise obeir ; Lais [un laïque] ne deit clerc fuler, mais chier le deit tenir, Th. le mart. 75.

XIIIe s. Pour ce que [elle] vous ressemble, assez plus chiere [je] l'ai, Berte, VII. Cotte [elle] ot d'un blanc bliaut et mantel mout très chier, ib. XI. Là n'y verrez joiel, tant soit de chere vente, Que je ne vous achete…, ib. CXI. Coveitise ne set entendre à riens qu'à l'autrui acrochier ; Coveitise a l'autrui trop cher, la Rose, 193. Chascun se fait si chier pource que il s'en welent aler en leur païs, que nous ne leur oserions donner ce que ils demandent, Joinville, 257.

XVe s. Et aussi cher avoit-il prendre la mort avec celle noble dame [Isabelle] comme autre part [qu'ailleurs], Froissart, I, I, 16. Et eut adonc en plus cher la delivrance de messire Hervey de Leon que du seigneur de Cliçon, Froissart, I, I, 212. Et se taille celle chevauchée à durer un long temps, et par ainsi vous seront cher vendus les gages que vous avez pris, Froissart, II, III, 18. [Les cardinaux] aimoient plus cher à mourir confesseurs que martirs, Froissart, II, II, 21. Il leur enchargea, si cher qu'ils le vouloient obeir, que son mignon ne fust servi d'autres choses que de pastés d'anguille, Louis XI, Nouv. X. Il aimeroit autant ou plus cher mourir que son malheureux cas fust connu, Louis XI, ib. XII. Ne vous trouvez jamais devant moi, si cher que vous aimez votre vie, Louis XI, ib. XLVIII. J'ai aussi cher [j'aime autant] de n'en faire rien, Louis XI, ib. LXXXII.

XVIe s. Elle nous vend trop cher ses denrées, Montaigne, I, 75. J'aimerois aussi cher [autant] que mon escholier eust passé le temps à jouer à la paulme, Montaigne, I, 145. On l'achete trop cher, Montaigne, I, 193. Je n'ayme pas une vertu si sauvage et si chere [coûtant si cher], Montaigne, I, 224. Les Romains auront maintenant à cher un prince doulx et aimant la justice, Amyot, Numa, 10. A ce compte un homme n'auroit cher ny l'honneur, ny la science, quand il les possederoit, de peur d'en estre privé, Amyot, Solon, 10. Ceste ville est merveilleusement chere, le vin de Chio couste dix escus, Amyot, De la tranq. d'âme, 20. Je veux reciter une histoire laquelle me fut bien chere [me coûta cher], Paré, XIII, 23. L'on ne peut faire de cher fils ou d'enfant de predilection, et faire l'un d'eux donnataire, et par-dessus cela le faire entrer en partage comme un autre, Nouv. coust. génér. t. I, p. 1193. Fille trop veue, robbe trop vestue n'est pas chere tenue, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Picard, cair, kier, quier ; rouchi, tier ; provenç. car ; espagn. et ital. caro ; du latin carus.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CHER. Ajoutez :
8Une chère, une précieuse, jeune femme au temps de l'hôtel de Rambouillet, et aussi une petite femme sur le retour ; ce terme d'amitié que les précieuses se prodiguaient entre elles, avait bientôt servi à les désigner elles-mêmes, Note de l'édit. Regnier, t. II, p. 145, Lett. de Sévigné. Je meurs de peur que vous ne mettiez une coiffe jaune comme une petite chère, Sévigné, 4 avril 1671.