« dissiper », définition dans le dictionnaire Littré

dissiper

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dissiper

(di-si-pé) v. a.
  • 1Faire évanouir en disséminant, en écartant. Le brouillard fut dissipé. Le soleil dissipe les ténèbres. Le sommeil dissipe les fumées du vin. Vous avez fait un amas et un trésor, mais c'était un amas de poussière que le vent a emporté et dissipé, Bourdaloue, 3e dim. après l'Épiph. Dominic. t. I, p. 124. Les Syracusains ne rasent pas seulement la citadelle, mais tous les palais des tyrans, et fouillent jusqu'à leurs tombeaux qu'ils renversent et dissipent, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. V, p. 328, dans POUGENS.

    Dissiper un orage, l'empêcher d'éclater.

    Et, figurément. L'estime où l'on vous tient a dissipé l'orage, Et mon mari de vous ne peut prendre d'ombrage, Molière, Tart. IV, 5.

    Fig. Dissiper les illusions, les doutes de quelqu'un, l'en délivrer. Le coup de cette indignité Rabat en nous la vaine gloire, Dissipe ses vapeurs, et rend à la mémoire Le souci de l'humilité, Corneille, Imit. I, 12.

    Écarter loin de soi. Ah ! dissipez ces indignes alarmes, Il a trop bien senti le pouvoir de vos charmes, Racine, Andr. II, 1.

  • 2Disperser. La gendarmerie dissipa les attroupements. Lui seul mit à vos pieds le Parthe et l'Indien, Dissipa devant vous les innombrables Scythes…, Racine, Esth. III, 4. Que fera-t-il, madame ? et qui peut dissiper Tous les flots d'ennemis prêts à l'envelopper ? Racine, Iphig. V, 3. Décimus, l'ayant poussé [Antoine] hors de l'Italie, écrivit au sénat qu'il avait dissipé son armée, Vertot, Rév. rom. XIV, p. 332. La tempête ayant dissipé la moitié de leurs vaisseaux, une partie de ces conquérants, échappés au naufrage, furent mis à la chaîne, Voltaire, Mœurs de l'Esp. et des Musulm. Tancrède a dissipé Le reste d'une armée au carnage échappé, Voltaire, Tancr. V, 4.

    Par analogie. Dissiper les factions. Accourue pour dissiper la conjuration, Bossuet, Hist. I, 6. Vous dissiperez l'ennemi [le démon] avec toute sa malice, Bossuet, Lett. Corn. 100. Que peuvent contre lui [Dieu] tous les rois de la terre ? En vain ils s'uniraient pour lui faire la guerre ; Pour dissiper leur ligue, il n'a qu'à se montrer ; Il parle, et dans la poudre il les fait tous rentrer, Racine, Esth. I, 3.

  • 3Consumer en dépenses folles, excessives. Dissiper son patrimoine. [Nos ancêtres] Moins appliqués à dissiper ou à grossir leur patrimoine qu'à le maintenir, [ils] le laissaient entier à leurs héritiers, La Bruyère, VII. Il ne songeait qu'à dissiper les trésors que…, Fénelon, Tél. II.

    Dissiper son temps, sa jeunesse, perdre son temps, sa jeunesse. Elle voit dissiper sa jeunesse en regrets, Mon amour en fumée, et son bien en procès, Racine, Plaid. I, 5.

    Cette phrase a été critiquée ; on a dit qu'il fallait se dissiper ; mais on peut entendre : elle voit qu'on dissipe…

  • 4Distraire, récréer. Venez avec nous ; cela vous dissipera. Ce qui nous dissipa fut la visite d'un de nos amis. Loin que la joie et les plaisirs dont tout le monde paraît enivré, me dissipent et m'amusent…, Graffigny, Lettres péruv. 28.

    Absolument. La promenade dissipe.

    Jeter dans la dissipation. Les compagnies qu'il fréquentait l'ont dissipé. Les affaires nous dissipent, le repos nous amollit, Massillon, Car. Prière 1. Le monde, au milieu duquel vous vivez, a deux pernicieux effets : il nous dissipe et il nous corrompt, Bourdaloue, 14e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 383.

  • 5 V. n. Terme de physiologie. Perdre par le mouvement vital. On dissipe par l'exercice. Les unaus dissipent peu et engraissent par le repos, Buffon, Unau.
  • 6Se dissiper, v. réfl. Être dissipé, se perdre. L'eau se dissipe dans le vide à la température ordinaire. L'orage se dissipe et les cieux sont ouverts, Rotrou, Herc. mour. V, 3. Un nuage qui se dissipait de dessus mes yeux, Fénelon, Tél. IV.

    Fig. Mes craintes se sont dissipées. Et tout ce bruit flatteur de notre renommée, Comme il n'est que fumée, Se dissipe en vapeur, Corneille, Imit. I, 3. Sa flamme se dissipe et va s'évanouir, Corneille, Poly. I, 1. Voilà comment se dissipent les meilleurs avis et comment aussi se ruinent les plus puissants empires, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. VIII, p. 371, dans POUGENS.

  • 7Se disperser. La foule ameutée se dissipa. Tous s'étant dissipés çà et là, Vaugelas, Q. C. 391.
  • 8Être perdu en dépenses folles ou excessives. Que leur famille s'éteindrait ; que tous leurs grands biens se dissiperaient, Nicole, Ess. de mor. 1er traité, ch. 4.
  • 9Se distraire. Vous travaillez trop ; il vous faut dissiper. Pour me dissiper en des pensées inutiles de l'avenir, Pascal, dans COUSIN. Il faut promptement que je me dissipe, Sévigné, 75. Adieu, madame, dissipez-vous, soupez, mais surtout digérez, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 30 mars 1775.

    Être livré à la dissipation. Le duc, se livrant sans cesse à de nouvelles folies, se dissipait par ses inconstances, Hamilton, Gramm. 10.

HISTORIQUE

XIVe s. Les choses qui encores erent jeunes et nouvelles eussent esté dissipées et destruites par discordes, Bercheure, f° 28, recto.

XVe s. Par ces vices se dissiperoit non pas seulement l'estat de la royale seigneurie, mais chascun des trois estaz subjetz qui gardent et entretiennent cest estat souverain, Gerson, Harengue au roi Charles VI, p. 15.

XVIe s. Des mouches mesmes pourront dissiper une armée, Montaigne, II, 190. Nostre veiller n'est jamais si esveillé qu'il purge et dissipe bien à poinct les resveries, Montaigne, II, 369. Je n'ay rien acquis, non plus que dissipé, Montaigne, IV, 69. Depuis, la roine fit dissiper les arbres, jardins, allées et cabinets, et de plus les edifices de plaisir des Tournelles [où Henri II avait été blessé mortellement], cette place luy estant en execration, D'Aubigné, Hist. I, 85.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. dissipar, discipar, decipar ; espagn. disipar ; ital. dissipare ; du latin dissipare, de dis… préfixe, et de l'ancien latin supare, jeter (dans Festus), rattaché au sanscrit xip, jeter ; allem. schippen.