« forger », définition dans le dictionnaire Littré

forger

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

forger

(for-jé. Le g prend un e devant a et o : je forgeais, nous forgeons) v. a.
  • 1Travailler le fer, l'argent, etc. au feu et au marteau. Forger un fer de cheval, une épée, des cuillers d'argent. Où Vulcain forge des foudres pour le père des dieux, Fénelon, Tél. XI.

    Se forger, forger pour soi. Chacun de ces peuples ensuite se forgea son Dieu, Sacy, Bible, Rois, IV, 17, 29.

    Absolument. Apprendre à forger.

    Forger à froid, travailler un métal au marteau sans le faire chauffer, par opposition à forger à chaud, qui est la manière ordinaire de forger.

    Forger le plomb, le frapper avec des masses.

    Fig. Forger ses fers, se forger des fers, être cause de sa propre servitude. [Le mondain] qui s'imagine être vraiment libre, parce qu'il est en effet trop libre à pécher, c'est-à-dire libre à se perdre, et qui ne s'aperçoit qu'il forge ses fers par l'usage de sa liberté prétendue, Bossuet, IV, Vêture, 1.

    Fig. Forger des vers, les faire péniblement et comme avec le marteau.

  • 2 Fig. Faire, produire. Chacun à son gré forgeant des potentats, Rotrou, Vencesl. I, 1. Ah ! Scapin, si tu pouvais trouver quelque invention, forger quelque machine, pour me tirer de la peine où je suis, Molière, Fourber. I, 2. Un dieu, sans doute, un dieu m'a forgé ces malheurs, Comme des instruments qui peuvent à ma vue Ouvrir du cœur humain les sombres profondeurs, Gilbert, le Poëte malheureux.

    Imaginer, inventer. Et sur un incident fortuit et véritable En forger un exprès de nature semblable, Mairet, Soliman, II, 6. Un inconnu peut bien nous forger une histoire, Scarron, D. Japhet d'Arm. I, 4. Ils dépeignent les académiciens comme des gens qui ne travaillent nuit et jour qu'à forger bizarrement des mots, ou bien à en supprimer d'autres plutôt par caprice que par raison, Pellisson, Hist. de l'Acad. franç. I. Votre feinte douceur forge un amusement Pour divertir l'effet de mon ressentiment, Molière, D. Garc. IV, 8. Je forgerai des systèmes, c'est-à-dire des erreurs, pour expliquer leur nature [des animaux], Voltaire, Trait. métaph. chap. 7.

    Se forger, forger à soi-même, s'imaginer, se figurer. De femmes et d'enfants dont la crédulité S'est forgée à plaisir une divinité [forgée se rapporte ici, par archaïsme, à divinité ; on mettrait aujourd'hui forgé], Rotrou, St Genest, V, 2. Le loup déjà se forge une félicité…, La Fontaine, Fabl. I, 5. Les images que l'imagination se forge au dedans, Bossuet, Lett. abb. 64.

    Se forger des chimères, s'imaginer des choses sans fondement. Il n'y a point d'accident pour ou contre que l'on n'imagine, point de chimère agréable ou fâcheuse qu'on ne se forge, Marivaux, Marianne, 6e part.

    Se forger des monstres pour les combattre, se former des difficultés soit par crainte et faiblesse d'esprit, soit par vanité et pour avoir l'air d'en triompher.

  • 3Supposer un écrit, l'attribuer à un auteur qui ne l'a pas écrit. Le faux Énoch, que cite saint Jude, est reconnu pour être forgé par un Juif, Voltaire, Mœurs, Introd. Il [ce peuple] se forgea une histoire…, Voltaire, Amabed, 2e lett. réponse.
  • 4 V. n. Terme d'hippiatrique. Frapper, dans les allures du pas et du trot, les pieds de devant avec la pince des fers des pieds postérieurs. Forger en voûte, atteindre la rive interne du fer fixé sous le pied antérieur ; on entend alors un bruit marqué résultant de la percussion.
  • 5Se forger, v. réfl. Être forgé. Du fer qui se forge facilement.

    Fig. C'est là [dans les cours] que se forgent ces traits de feu, selon les termes de l'apôtre, dont l'ennemi se sert pour allumer les passions dans ces âmes vaines qui sont les idoles du monde et dont le monde est lui-même l'idole, Fléchier, Marie-Thér.

HISTORIQUE

XIIe s. Dist li paiens : mauvesement vos va ; Qui fist t'espée, mauvese la forga, Bat. d'Aleschans, v. 1480. Tuens est li jurz, e tue est la nuiz ; tu forjas l'albe e le soleil, Liber psalm. p. 99. Car li fol conseil furent en Bretaigne forgié, Th. le mart. 165. Chascune des genz forjad et furmad sun Deu et sun ydle [idole], Rois, p. 404.

XIIIe s. Voire, sire ! car vous la feistes forgier [faire cette femme exprès pour vous], Berte, XXXVIII. …Diex qui de ses biens reput Le monde, quant il l'ot forgié, la Rose, 5263. [Venus] prise provée Es laz qu'il [Vulcain] ot d'airain forgiés, ib. 14049. Comme li martiaus est faiz por le fevre, quiore forge une espée, or un hiaume…, Latini, Trésor, p. 104. Pren ton tresor et ton avoir, Forge ton sens et ton savoir ; Là le tramet et là l'envoie ù [où] tu tous jors ieres [seras] en joie, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 86.

XIVe s. Un anel d'or, à un saphir, lequel seint Dunstan forga de ses mayns, De Laborde, Émaux, p. 479.

XVe s. Taisez-vous ; on forge en France les florins de quoi vous serez payés, Froissart, II, III, 36. Et se trouva un cordelier forgé, qui de luy mesme prit debat audit frere Hieronime, Commines, VIII, 19. Notre bonne mere avoit, le jour de devant, forgé [stylé] le medecin qui estoit tres bien averti de la reponse qu'il devoit faire, Louis XI, Nouv. X. Tout en forgeant devient on fevre, Perceforest, t. II, f° 71.

XVIe s. Elle se forge ainsin une prinse frivole, Montaigne, I, 21. Forger un conte, Montaigne, I, 205. J'aime mieulx forger mon ame que la meubler, Montaigne, III, 276. Alcibiades se forgeoit desja en son entendement les conquestes de Libye et de Carthage, Amyot, Alc. 30.

ÉTYMOLOGIE

Wallon, fôrgî ; provenç. fargar ; espagn. et portug. forjar ; du latin fabricare, fabriquer (voy. FORGE).