« fumer », définition dans le dictionnaire Littré

fumer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

fumer [1]

(fu-mé) v. n.
  • 1Jeter de la fumée. Le bois n'est pas sec, il fume beaucoup. Le Vésuve avait fumé depuis quelques jours quand l'éruption commença. Ce corps pâle et sanglant auprès duquel fume encore la foudre qui l'a frappé [le boulet qui vient de le tuer], Fléchier, Turenne. Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume, Et des coups redoublés tout le rivage fume, Boileau, Ép. IV. L'Olympe voit en paix fumer le mont Etna ; Zoïle contre Homère en vain se déchaîna, Piron, Métrom. III, 7. Allez, qu'un encens pur recommence à fumer, Voltaire, Sémir. III, 2.

    Cette cheminée fume, cette chambre fume, se dit quand la fumée, au lieu de sortir par le tuyau de la cheminée, se rabat et entre dans la chambre.

    Impersonnellement. Il fume dans cette chambre.

    Poétiquement. Faire fumer les autels, y brûler de l'encens, y offrir des sacrifices. Dans Rome les autels fumaient de sacrifices, Racine, Brit. IV, 2. Même aux pieds des autels que je faisais fumer, J'offrais tout à ce dieu que je n'osais nommer, Racine, Phèd. I, 3. Tous les temples ouverts fument en votre nom, Racine, Bérén. IV, 6. Faites fumer un doux encens en l'honneur de ce Dieu, Fénelon, Tél. v.

    Fig. Je vois ces autels où fuma l'encens de ses oraisons, Fléchier, Mme d'Aig.

  • 2 Par extension, exhaler une vapeur humide qui devient visible. Le marécage fume au lever du soleil. Ses naseaux fument. Ce cheval a couru, il fume. Le sang des victimes fumait de tous côtés, Fénelon, Tél. IX.

    Fig. Ce sang qui, tout versé, fume encor de courroux De se voir répandu pour d'autres que pour vous, Corneille, Cid, II, 9.

    Son sang fume encore, il y a peu de temps qu'il a été tué. Le sang de Henri le Grand fumait encore quand le parlement de Paris donna un arrêt qui établissait l'indépendance de la couronne comme une loi fondamentale, Voltaire, Pol. et législ. Traité sur la tol. Abus de l'intol.

    Ses cendres fument encore, il y a peu de temps qu'il est mort. Les cendres de tant de princes fument encore, Massillon, Or. fun. Madame.

    Fumer du sang, se dit du lieu où le sang est versé depuis peu. Sera-ce hors des murs, au milieu de ces places Qu'on voit fumer encor du sang des Curiaces ? Corneille, Hor. V, 3. Vous voyez que depuis tant d'années [de guerre] tous les fleuves sont teints, et que toutes les campagnes fument du sang chrétien, Bossuet, Panég. St Bernard, 2. Si de sang et de morts le ciel est affamé, Jamais de plus de sang ses autels n'ont fumé, Racine, Iphig. V, 2. Et la Crète fumant du sang du minotaure, Racine, Phèdre, I, 1. Ils craignaient de comparaître devant le parlement de Toulouse, dans une ville qui fumait encore du sang de Calas, Voltaire, Lett. Sudre, 6 févr. 1769.

  • 3 Fig. et populairement. Avoir du dépit, de l'impatience. Je l'ai fait fumer. Il fume, mais il n'ose témoigner son dépit.

    On dit souvent en ce sens : fumer sans pipe.

    La tête lui fume, il est fort en colère.

  • 4 V. a. Exposer à la fumée. Fumer des jambons.

    Fumer l'argent filé, lui donner le fumage.

    Terme de chasse. Fumer les renards, remplir de fumée le terrier des renards pour les en faire sortir et les prendre à la seule issue non bouchée.

    Terme de métallurgie. Fumer un four ou un fourneau, le sécher après qu'il a été reconstruit ou réparé.

  • 5Aspirer et rendre en fumée par la bouche. Fumer la pipe, le cigare. Fumer du camphre. L'auteur [Lopez de Gama] avoue que c'est là-dessus [de ce que les indigènes d'Amérique mangeaient des limaçons, des cigales, des sauterelles] qu'on fonda le droit qui rendait les Américains esclaves des Espagnols, outre qu'ils fumaient du tabac et qu'ils ne se faisaient pas la barbe à l'espagnole, Montesquieu, Esp. XV, 3.

    Fumer l'opium, opération qui se fait en introduisant un ou deux grains d'extrait d'opium dans une pipe qui ne ressemble en rien à notre pipe, brûlant de temps en temps cet extrait à une petite lampe qu'on a à côté de soi, et aspirant la fumée.

    Fumer sa pipe, se dit d'un symptôme qui se présente quelquefois dans les apoplexies : le malade, dont un côté de la face est paralysé, a ce côté gonflé passivement à chaque expiration ; mouvement qui a quelque ressemblance à celui d'un fumeur.

    Le Mont-Blanc fume sa pipe, dicton des Savoisiens qui expriment par là la vapeur que le sommet du Mont-Blanc paraît presque toujours exhaler, même dans les plus beaux temps.

    Fumer le calumet de la paix, voy. CALUMET.

    Voltaire a dit fumer le calumet de la guerre, pour déclarer la guerre ; nous ne savons si cela est fondé sur les coutumes des peuplades américaines du Nord. Nous ne fumâmes contre lui ni contre ses enfants le calumet de la guerre, Jenni, 7.

    Absolument, fumer, prendre du tabac en fumée. Il a fumé toute la nuit. Ils fumaient comme des dragons, Hamilton, Gram. 3.

  • 6Se fumer, v. réfl. Être exposé à la fumée. Mettre un jambon dans la cheminée pour qu'il se fume.
  • 7Être fumé. Le tabac se fume avec plaisir.

HISTORIQUE

XIIe s. Sire, encline tes ciels e descent, toche les monz, e il fumerunt, Liber psalm. p. 222. Ensi come li feus qui fume, Tant que la flame s'i est mise, Chev. au lyon, v. 1778.

XIIIe s. Lors s'en torna en un essart Droit devant le chastel Renart, Et vit la cuisine fumer, Où il ot fait feu alumer, Ren. 937.

XVe s. Si commença à soi fumer [enrager], et couleur changer, Louis XI, Nouv. XLI. Car au cuer ay telle amertume, Que de douleur tout mon cuer fume, la Resur. de N. S. Myst.

XVIe s. Et lors que plus jalousie se fume, Lors que Danger plus sa cholere allume, Et que Rapport plus se mect à blasmer, Lors se doit plus vraye amour enflammer, Marot, I, 349. Quand revoirai-je helas, de mon petit village, Fumer la cheminée, et en quelle saison Revoiray-je le clos de ma pauvre maison ? Du Bellay, J. VI, 11, verso. Ceux-cy [fourmis] trainent les grains trop pesans et trop gros, Ceux-là les vont poussant de l'espaule et du doz : Tout le chemin en fume, Du Bellay, J. VIII, 47, recto. Je me sens fumer en l'ame, parfois, aulcunes tentations d'ambition, Montaigne, IV, 132. Le peuple n'est point de retour dans ses maisons, la pluspart embrasées et encores fumantes, D'Aubigné, Hist. II, 252. Vachonniere solicité par les compagnons d'aller cercher de quoi faire fumer le pistollet…, D'Aubigné, ib. 285. Celuy qui veut prendre garde à la cholere du commencement, en voyant qu'elle commence à fumer et à s'allumer…, Amyot, Comment refrén. la colère, 7. Par toy d'un paisible labeur Le bœuf fume sous la charrue, Ronsard, 514.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. feumai : provenç. et espagn. fumar ; ital. fumare ; du latin fumare, dont le radical est le même que le grec θύμα, fumée de sacrifice, de θύειν, offrir de l'encens en sacrifiant, et θυμὸς, vapeur, d'où esprit ; sanscrit, dhu, agiter, fumer.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

1. FUMER.
7Ajoutez : On dit aussi fumer pour se fumer, être fumé. Il ne suffit pas que les feuilles soient de bonne qualité et bien préparées, pour qu'un cigare fume bien… le cigare fume mal et devient mauvais, Monit. univ. 11 août 1867, p. 1099, 1re col.

REMARQUE

De fumer, au sens populaire d'avoir du dépit, de l'impatience, voici un exemple qui n'est pas du jour ; seulement alors on disait fumer une pipe. Ce qui a le plus fâché nos pitoyables et très comiques chevaliers, c'est qu'aucune de leurs belles n'ait été invitée ; ils ont fumé chacun une pipe plus longue que la pipe du père Duchêne, , L. du P. Duchêne, 203e lettre, p. 2. De la sorte, fumer, en ce sens, est une abréviation. On peut, de ce sens de fumer, rapprocher cet ancien couplet de vaudeville : Deux vieux époux sont deux tisons, Qui ne brûlent pas, mais qui fument.