« fumée », définition dans le dictionnaire Littré

fumée

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fumée

(fu-mée) s. f.
  • 1Espèce de nuage grisâtre ou noir, qui s'élève des foyers de combustion, et qui est un mélange de vapeur d'eau, d'acide carbonique, de charbon très divisé, d'huiles empyreumatiques et de parties non brûlées. Dans les plus honorables occasions, il [l'homme marié] regrette la fumée d'Ithaque, il soupire de l'absence de Pénélope, Guez de Balzac, Des ministres et du ministère. Je cours au temple alors, où la lampe allumée Jette au lieu de lumière une noire fumée, Rotrou, Antig. V, 5. La vapeur sort de la fournaise, et la fumée s'élève en haut avant le feu, Sacy, Bible, Ecclésiastique, XXII, 30. La maison abîmée Entraîne aussi le feu qui se perd en fumée, Boileau, Sat. VI. Comme le vent dans l'air dissipe la fumée, Racine, Athal. V, 6. La grande salle, où les Suédois se tenaient [à Bender], était remplie d'une fumée affreuse, mêlée de tourbillons de feu qui entraient par les portes des appartements voisins, Voltaire, Charles XII, 6. Et, sans reprendre haleine, enivrés de la fumée et des feux qu'ils ont traversés, des coups qu'ils donnaient et de leur victoire, ils s'emportèrent dans la plaine haute et voulurent s'emparer des canons ennemis, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2.

    Familièrement. Ennuyeux comme la fumée, très ennuyeux.

    Noir de fumée, voy. NOIR.

    Il se dit de l'haleine des monstres fabuleux qu'on suppose vomir du feu. Ils [des dragons vomissant du feu] l'ont enveloppé [Jason] d'une épaisse fumée, Corneille, Tois. d'or, v, 2. Une gueule enflammée [d'un monstre] Qui les couvre [les coursiers] de feu, de sang et de fumée, Racine, Phèdre, V, 6.

  • 2Fumée du tabac, celle qui s'exhale d'une pipe, d'un cigare qui brûlent. Il [Jean de Wert] buvait admirablement, et n'excellait pas moins à prendre le tabac en poudre, en cordon et en fumée [à priser, à chiquer et à fumer], Bayle, Dict. au mot Wert.
  • 3Vapeur qui s'exhale des viandes chaudes. Qui vint à ces festins conduit par la fumée, Boileau, Sat. III. …Une muse affamée Ne peut pas, dira-t-on, subsister de fumée, Boileau, Art p. IV. Les talents éminents et peu considérés dans leur patrie ressemblent assez à ce pauvre indigent qui, n'ayant rien à manger avec son pain, le mangeait à la fumée d'une boutique de rôtisseur, D'Alembert, Lett. au roi de Pr. 30 nov. 1770.

    Fig. Manger son pain à la fumée du rôt, se repaître d'une vaine fumée, tandis que les autres ont le rôt, le bon de l'affaire.

  • 4La fumée qui sort d'un encensoir ; et fig. louange. Et par l'espoir du gain votre muse animée Vendrait au poids de l'or une once de fumée, Boileau, Sat. IX.
  • 5Vapeur qui s'élève de l'haleine et de la transpiration surtout pendant l'hiver. Un cheval très échauffé paraît enveloppé de fumée.

    Vapeur qu'exhalent les corps humides, quand ils sont plus chauds que l'air ambiant. Il se leva une fumée de la rivière.

  • 6 Fig. Ce qui n'a, comme la fumée, ni consistance, ni valeur. Ces riches que du siècle adore l'imprudence Passent comme fumée avec leur abondance, Corneille, Imit. III, 12. Il est vrai que nos noms ne sauraient plus périr ; à quelque prix qu'on mette une telle fumée…, Corneille, Hor. II, 3. La gloire des mortels n'est qu'ombre et que fumée, Racan, Berger. III, 3. Prétendent-ils nous avoir bien réjouis, de nous dire qu'ils tiennent que notre âme n'est qu'un peu de vent et de fumée ? Pascal, Pensées, t. I, p. 301, édit. LAHURE. Que de sueurs, que de travaux, disait Alexandre, pour faire parler les Athéniens ! il sentait la vanité de cette frivole récompense, et en même temps il se repaissait de cette fumée, Bossuet, Politique, IX, II, 13. Elle voit dissiper sa jeunesse en regrets, Mon amour en fumée, et son bien en procès, Racine, Plaid. I, 5. Toute ma vie n'est qu'une fumée qui ne laisse rien de réel et de solide à la main qui la rappelle et qui la ramasse, Massillon, Carême, Temps. Et que nous trouvions Dieu de notre goût, si j'ose parler ainsi, nous qui n'avons jamais goûté que le monde et sa fumée, Massillon, Carême, Dégoûts. Vous le verrez courir après une fumée qui s'évanouit, Massillon, Prof. 4. La misérable fumée de la réputation fait trop d'ennemis et empoisonne trop la vie, Voltaire, Mél. litt. Lett. acad. de Berlin. La réputation est une fumée, l'amitié est le seul plaisir solide, Voltaire, Lett. Cideville, 26 juillet 1733.

    S'en aller en fumée, se perdre sans effet ni résultat. À ce coup iront en fumée Les vœux que faisaient nos mutins, Malherbe, III, 1. Ainsi donc mes desseins se tournent en fumée, Corneille, Place roy. IV, 5. Et ce qu'il contribue à notre renommée, Toujours en moins de rien se dissipe en fumée, Corneille, Hor. V, 3. Tous mes efforts ne seront que fumée, Molière, D. Garc. III, 2. Un petit mot, comme je l'ai dit, va tout réduire en fumée, Bossuet, Var. XIII, § 32. Tes protestations s'en vont en fumée, le vent les emporte, Bossuet, Pensées chrét. 9.

    Il vend de la fumée, c'est un vendeur de fumée, se dit d'un homme qui promet plus qu'il ne peut tenir, se vante d'un crédit qu'il n'a pas. Tous ces beaux suffisants Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée, Régnier, Sat. XII.

    Se repaître, s'enivrer de fumée, se livrer à des espérances chimériques.

  • 7S. f. pl. Effet produit sur le cerveau par l'ingestion dans l'estomac d'une trop grande quantité de liqueurs spiritueuses. Champagne, au sortir d'un long dîner, et dans les douces fumées d'un vin d'Avenai et de Sillery, La Bruyère, VI. Ces faux amis qui entraînent un jeune homme dans la débauche et dont l'amitié se dissipe avec les fumées du vin, Lesage, Diable boit. 20.

    Vapeurs qu'on suppose monter de l'estomac ou des entrailles au cerveau. Des fumées noires lui troublent le cerveau. Un corps encore tout plein des fumées de la nuit, Massillon, Carême, Jeûne.

    Fig. Ce qui monte à l'esprit comme les fumées du vin montent au cerveau. Laissez moins de fumée à vos feux militaires, Corneille, Nicom. II, 3. La gloire, qu'y a-t-il pour un chrétien de plus pernicieux et de plus mortel ? quelle fumée plus capable de faire tourner les meilleures têtes ? Bossuet, Duch. d'Orl. Je ne sais quelles fumées qui s'élèvent des bouillons du sang et de la chaleur de la jeunesse, Fléchier, Panég. II, p. 248. Doucement, monsieur, nous abaisserons ses fumées d'amour, Regnard, Sérén. sc. 11. Déjà les fumées de l'ambition me montaient à la tête, Rousseau, Conf. II. Les auteurs, les décrets, les livres, cette âcre fumée de gloire qui fait pleurer, tout cela sont des folies de l'autre monde auxquelles je ne prends plus de part, et que je me vais hâter d'oublier, Rousseau, Lett. à Coindet, 29 mars 1766.

  • 8S. f. pl. Terme de joaillier. Taches qui diminuent beaucoup la valeur d'un diamant, et qui semblent l'enfumer.
  • 9 Terme de chasse. La fiente des bêtes fauves. Les fumées de la bête. Et par les fumées qu'il a vues dans les gagnages, il le juge tout aussi cerf qu'il l'est à coup sûr par le pied, Collé, Part. de chasse, I, 2.

    On appelle aussi fumée la fiente d'hirondelle.

PROVERBES

Il n'y a point de fumée sans feu, il n'y a pas d'effet sans cause, il ne court point de bruit sans quelque fondement.

Il n'y a point de feu sans fumée, il n'y a pas de cause sans effet, quelque soin qu'on prenne pour cacher une passion vive, il en paraît toujours quelque chose. Et le feu comme on dit ne va pas sans fumée, Regnard, le Bal, sc. 14.

La fumée cherche les beaux, se dit pour se moquer de ceux qui se plaignent de la fumée. Ce proverbe se dit aussi en un autre sens, pour signifier que l'envie s'attache toujours au plus grand mérite.

La fumée chasse souvent le maître de la maison, au sens propre les cheminées qui fument font souvent qu'un homme ne reste pas chez lui, et, par une application satirique, l'humeur désagréable d'une femme fait que le mari la fuit souvent.

HISTORIQUE

XIIe s. Tenebres l'obscurent et umbres de mort ; fumeie lo parprendet [l'entoure], Job, 459. Fumée levad de ses narines, e li fus [feu] ki de sa buche vint, devorad e les charbuns alumad e esbrasad, Rois, p. 206.

XIIIe s. Là où li feus a demoré longement, tozjors i seront les fumées, Latini, Trésor, p. 360. S'ureison ert e pure e bone, Devant la face Deu en trone Munte cume fet la fumée De encens, ki à Deu agrée, Éd. le conf. v. 734. Ysengrin en sent la fumée Qu'il n'avoit mie acostumée, Ren. 941. N'est nus [nul] ki feu si bien estraigne, Que la fumée n'i remaigne [reste], Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 68.

XIVe s. …que il gardassent bien que leur neif fust tousjours hors les fumées de la mer et hors les grans undes, Oresme, Eth. 54. Les fientes des bestes rouges sont appelées fumées, Modus, f. VI, verso. Gardez en yver que vostre mari ait bon feu sans fumée, Ménagier, I, 7. Trois choses gectent l'homme hors de sa maison, la fumée, la goutiere et la mauvaise femme, Le Chev. de la Tour, Instr. à ses filles, f° 74, dans LACURNE.

XVe s. Et disoient en Angleterre les chevaliers : ha, sainte Marie ! que ces François font maintenant de fumée pour un mont de vilains qu'ils ont rué jus ! Froissart, II, II, 206. Ce duc de Guerle est jeune ; et jeunesse et fumée de teste l'a à present esmu de defier le roi de France, Froissart, II, III, 105. Ilz veoient la fumée [poussière] dessus la bataille si grande, comme si ce fussent deux chaux fours, Perceforest, t. I, f° 90. …lesquels se turent Et point de fumée [querelle] n'esmurent, Deschamps, Poésics mss. f° 409, dans LACURNE. L'empereur de la fumée [le chef d'un ordre burlesque de buveurs], ib. f° 409. Onques feu ne fut sans fumée, Orléans, Rondeau. … Il disoit que les qualitez de viandes diverses troublent l'estomac, et empeschent la memoire ; vin cler et sain, sans grant fumée, buvoit bien trempé, et non foison, Christine de Pisan, Hist. de Ch. V, I, 16.

XVIe s. Mais grant faveur passe comme fumée, Du Bellay, J. IV, 77. Je n'ai guere vu grand feu, de quoi ne vinst quelque fumée ; mais j'ai bien vu la fumée où il n'y avoit point de feu ; car aussi souvent est soupçonné par les mauvais le mal où il n'est point, comme là où il est, Marguerite de Navarre, Nouv. VII. Ils avoient chargé une fierté tyrannique nourrie et accrue par les vanitez et fumées des barbares, Amyot, Eumènes, 26. Luy mesme s'estoit souvent vanté que jamais femme Laconiene n'avoit veu fumée du camp d'aucun ennemy, Amyot, Agés. 50. Mithridates, à qui les fumées du vin qu'il avoit beu, commençoient jà à monter au cerveau, Amyot, Artax. 19. À la fumée de ses victoires il emporta deux villes, D'Aubigné, Hist. II, 198. Quelques soldats de la trenchée, voians que le parapet ne faisoit pas grand fumée, s'offrirent à aller voir quel il y faisoit, D'Aubigné, ib. III, 225. Va-t-en si loin que jamais on ne sente odeur, vent ny fumée de ton corps, Nuits de Straparole, t. I, p. 347, dans LACURNE. On ne sauroit faire le feu si bas que la fumée n'en sorte, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 362. Qui hante cuisine vit de fumée, Leroux de Lincy, ib. p. 394. Quand je tanse avecques mon valet, je tanse du meilleur courage que j'aye… mais, cette fumée passée, qu'il ayt besoin de moi, je lui bien feray volontiers, Montaigne, I, 270.

ÉTYMOLOGIE

Fumer 1 ; bourguig. femeire ; provenç. fumada. Fumée est un mot dérivé ; mais l'ancienne langue avait aussi fum, tiré directement du latin fumus.