« rage », définition dans le dictionnaire Littré

rage

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

rage

(ra-j') s. f.
  • 1 Terme de médecine. Maladie particulière au genre chien, qui se caractérise par le désir de mordre, des accès de fureur et une salive propre à inoculer la maladie. L'horreur des liquides n'est pas constante dans la rage. La rage inoculée à l'homme par une morsure ne se guérit, quoi qu'on dise, par aucun remède, sinon par la cautérisation pratiquée aussitôt. On n'est pas toujours attaqué de la rage ou de la peste ; il suffit souvent qu'un ministre d'État enragé ait mordu un autre ministre, pour que la rage se communique dans trois mois à quatre ou cinq cent mille hommes, Voltaire, Dial. XXIV, 11.

    Rage blanche, celle où le chien écume et mord.

    Rage mue, voy. MUE 2. Mais parlons de cette sagesse qui me paraît une folie mue, comme une rage mue ; c'est un fond de rage muette, un chien ne paraît point enragé, il semble qu'il soit sage, et cependant il est profondément dévoré de cette rage, Sévigné, 566.

  • 2 Par exagération. Douleur violente. Avoir une rage de dents. L'ivrogne et le gourmand recevront leurs supplices Du souvenir amer de leurs chères délices ; Et ces repas traînés jusques au lendemain Mêleront leur idée aux rages de la faim, Corneille, Imit, I, 24.
  • 3Violent transport de colère, de dépit, de cruauté. Mais voyez que sa mort mettra ce peuple en rage, Corneille, Poly. V, 1. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage, La Fontaine, Fabl. II, 11. Il [le coq] aiguisait son bec, battait l'air et ses flancs, Et, s'exerçant contre les vents, S'armait d'une jalouse rage, La Fontaine, ib. VII, 13. Quelle rage aux Messinois d'avoir tant d'aversion pour les pauvres Français, qui sont si aimables et si jolis ! Sévigné, 28 mars 1676. Ô Alger [bombardé par Duquesne], dans ta brutale fureur tu te tournes contre toi-même, et tu ne sais comment assouvir ta rage impuissante, Bossuet, Mar.-Thér. La colère dans l'âme, et le feu dans les yeux, Il distilla sa rage en ces tristes adieux, Boileau, Sat. I. Et moi, pour mon partage Je n'emporterais donc qu'une inutile rage, Racine, Andr. III, 1. Télémaque… sortit en frémissant de rage, Fénelon, Tél. XVI.

    De rage, par rage. Aimer nos ennemis avec idolâtrie, De rage en leur trépas maudire la patrie, Corneille, Hor. V, 3. Pour lui [Ver-vert] sœur Thècle oubliait les moineaux ; Quatre serins en étaient morts de rage, Gresset, Ver-vert, ch. I.

    Fig. et familièrement. Faire rage, faire un grand désordre. Les soldats ont été chez lui, et y ont fait rage.

    Faire rage contre, assaillir violemment. Le vent, la pluie et l'orage Contre l'enfant faisaient rage, La Fontaine, Imitat. d'Anacr.

    En un autre sens, faire rage, se signaler, faire des prouesses, en bien comme en mal. Encore une fois, monsieur, je vous supplie très humblement de faire rage [en sollicitant une affaire], Voiture, Lett. 147. Ceux qui font rage de la lyre, J'entends les poëtes divins, Scarron, Virg. VI. Certes, vous faites rage, et payez aujourd'hui D'un jugement très rare et d'un bonheur extrême, Molière, l'Ét. I, 8. Cléante : L'affaire ne se fera point ? - La Flèche : Pardonnez-moi ; notre maître Simon, le courtier qu'on nous a donné, homme agissant et plein de zèle, dit qu'il a fait rage pour vous, Molière, l'Av. II, 1. Toute la musique de l'opéra y fait rage, Sévigné, 113. Par intervalles Le singe faisait rage et cognait ses timbales, Hugo, Contemplations, I, 22.

    On a dit aussi faire des rages. C'est un drôle qui fait des rages, Molière, Amph. II, 1.

    Dire rage de quelqu'un, en dire tout le mal possible. Battre sa femme, et dire au peintre rage, La Fontaine, Rém. Le duc de Rohan descend le degré, disant rage et injure à son intendant, Saint-Simon, 173, 51.

    On trouve aussi dire des rages. Il disait même des rages de Votre Majesté, et puis tout d'un coup il se radoucissait, mais jamais pour M. le Cardinal, Retz, Mém. t. III, liv. IV, p. 41, dans POUGENS. On dit des injures, des mépris… des plaintes, des rages…, Sévigné, 20 oct. 1679.

    Rages au pluriel. Qui n'ouït la voix de Bellone, …Et, déjà les rages extrêmes, Par qui tombent les diadèmes, Faire appréhender le retour De ces combats…, Malherbe, III, 3. Je porte, malheureux, après de tels outrages, Des douleurs sur le front, et, dans le cœur, des rages, Corneille, Suiv. III, 4. Déployez toutes vos rages, Princes, vents, peuples, frimas, Boileau, Od. I. Le songe de Polyeucte a satisfait leurs rages… Rages ne se dit plus au pluriel ; je ne sais pourquoi ; car il faisait un très bel effet dans Malherbe et dans Corneille, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Poly. I, 3.

    Rage pourrait, dans l'occasion, se dire encore très bien au pluriel.

  • 4 Fig. Goût excessif, penchant outré. Si vous êtes au-dessus de la rage de la bassette, si vous vous possédez vous-mêmes, Sévigné, à Bussy, 18 déc. 1678. Sans mentir, l'avarice est une étrange rage, Boileau, Sat. IV. Avec la rage de la cour, Mme Dufresnoy ne pouvait être dame et ne voulait pas être femme de chambre, Saint-Simon, 7, 93. Il vous a dit qu'il était veuf ! hé ! parbleu, sa femme m'a dit qu'elle était veuve ; ils ont la rage tous deux de vouloir être veufs, Lesage, Turcaret, V, 10. La rage de parler est encor plus pressante, Destouches, Phil. marié, I, 2. La rage d'imprimer ses vers est une étrange chose ; mais ce n'est pas à moi de la condamner, Voltaire, Lett. Mme du Deffant, 19 avr. 1775. La rage des remontrances et des projets sur les finances a saisi la nation, Voltaire, Lett. Chauvelin, 18 sept. 1763.

    Fig. et familièrement. Aimer à la rage, jusqu'à la rage, aimer avec excès. Ce portrait-là n'est pas fort à votre avantage ; Mais, malgré vos défauts, je vous aime à la rage, Destouches, Phil. marié, II, 2. J'aime surtout les vers, cette langue immortelle, C'est peut-être un blasphème, et je le dis tout bas : Mais je l'aime à la rage, Musset, Namouna, II.

    À la rage, se dit aussi d'autres sentiments violents. Sa femme qui était jalouse à la rage, Voltaire, Candide, 24.

    PROVERBE

    Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage, ou qui veut noyer son chien l'accuse de la rage, voy. CHIEN.

HISTORIQUE

XIe s. Al cors vus est entrée mortel rage, Ch. de Rol. LVII.

XIIe s. Par Deu, seigneur, fait-il, moult pensa grant folage, Qui à Charle loa tel conseil et tel rage, Sax. XXVI.

XIIIe s. Quant cele rage m'ot si pris, Dont maint ont esté entrepris, la Rose, 1631. Dous-Pensers ainsinc assouage [soulage] Les dolors d'Amors et la rage, ib. 2678.

XIVe s. Qui le chien veult ochirre, tuer et mehaingnier, La rage le met seure ; se le fiert d'un levier, Baud. de Seb. XI, 746. S'il avenoit que aucun qui eust fait testament se mist à mort par desespoir, par rage de chef, par maladie…, Bouteiller, Somme rural, p. 598, dans LACURNE.

XVe s. Et lors il est plus que martir ; Car son mal vault trop pis que raige, Orléans, Ball. 3.

XVIe s. On nous dit que dedans Peronne Florenge a fait et feu et raige, Marot, II, 152.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. raige ; provenç. rabia, ratje ; espagn. rabia ; ital. rabbia ; du lat. rabies, qu'on rattache à la racine sanscrite rabh, agir violemment, désirer. Palsgrave, p. 9, dit que raige se prononce par exception rage.