« tragédie », définition dans le dictionnaire Littré

tragédie

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tragédie

(tra-jé-die) s. f.
  • 1Pièce de théâtre en vers, dans laquelle figurent des personnages illustres, dont le but est d'exciter la terreur et la pitié, et qui se termine ordinairement par un événement funeste. Le bonhomme Pyrante disait que vous étiez en philosophie, qu'il n'était encore qu'en cinquième, et qu'à la tragédie du collége il jouait Cupidon quand vous représentiez l'empereur, Hauteroche, Crispin méd. I, 1. La première de toutes les tragédies françaises est la Cléopâtre de Jodelle ; elle est d'une simplicité fort convenable à son ancienneté, Fontenelle, Hist. Théât. fr. Œuv. t. III, p. 52. Il faut toujours dans une tragédie, que l'on craigne, qu'on espère à chaque scène, Voltaire, Lett. d'Argental, 18 nov. 1768. Nous apprenons qu'il s'élève une petite secte de barbares qui veut qu'on ne fasse désormais des tragédies qu'en prose, Voltaire, Dict. phil. Rime. De tous les plaisirs de l'âme, je tiens que le premier est une tragédie bien jouée, Voltaire, Lett. Landgr. Hesse-Cassel, 7 avr. 1764. On fait une tragédie, ma chère nièce, en trois semaines, il n'y a rien de plus aisé ; mais, en trois semaines, on ne l'achève pas, Voltaire, Lett. Mme de Fontaine, 11 juin 1761. J'avais cru que Racine serait ma consolation [à son commentaire sur Corneille] ; mais il est mon désespoir ; c'est le comble de l'insolence de faire une tragédie après ce grand homme-là, Voltaire, Lett. d'Argental, 25 févr. 1763. Une tragédie est une expérience sur le cœur humain ; et cette expérience ne réussit pas toujours, même entre les mains des plus habiles, Condorcet, Vie de Voltaire. Euclide avait tâché de réunir toutes les tragédies, comédies et satyres que depuis près de deux cents ans on a représentées sur les théâtres de la Grèce et de la Sicile ; il en possédait environ trois mille, Barthélemy, Anach. ch. 80. Mon petit neveu, vous me garderez une loge pour votre tragédie de société ; je me sens en train de rire, Picard, Vieille tante, I, 7.

    Les tragédies de Sophocle, de Corneille, de Racine, etc. les tragédies composées par ces poëtes.

    La tragédie de Cinna, d'Athalie, etc. la tragédie dont Cinna, Athalie, etc. est le sujet. Le roi et toute la cour sont charmés de la tragédie d'Esther, Sévigné, 513. La tragédie de Mérope, première pièce profane sans le secours d'une passion amoureuse et qui fit à notre auteur plus d'honneur qu'il n'en espérait, fut représentée le 26 février 1743, Voltaire, Comm. Œuv. aut. Henr.

    Fig. Muse tragique. Ainsi, pour nous charmer, la Tragédie en pleurs D'Œdipe tout sanglant fit parler les douleurs, Boileau, Art p. III.

  • 2Art de composer, de jouer des tragédies ; le genre tragique. La tragédie, informe et grossière en naissant, N'était qu'un simple chœur où chacun en dansant, Et du dieu des raisins entonnant les louanges, S'efforçait d'attirer de fertiles vendanges ; Là, le vin et la joie éveillant les esprits, Du plus habile chantre un bouc était le prix, Boileau, Art p. III. Je ferais voir que, pour la tragédie, nous sommes beaucoup supérieurs aux Latins, qui ne sauraient opposer à tant d'excellentes pièces tragiques que nous avons en notre langue, que quelques déclamations plus pompeuses que raisonnables d'un prétendu Sénèque, et un peu de bruit qu'ont fait en leur temps le Thyeste de Varius et la Médée d'Ovide, Boileau, Lett. à Perrault. Thespis est regardé comme l'inventeur de la tragédie ; il est aisé de juger combien dans ces premiers temps elle était grossière et imparfaite, Rollin, Hist. anc. liv. XXV, ch. I, I, 2. Eschyle commença à perfectionner la tragédie, et à la mettre en honneur ; il donna à ses acteurs un masque, un habit plus décent, une chaussure plus haute appelée cothurne, et leur construisit un petit théâtre, Rollin, ib. La tragédie est encore plus faite pour être représentée que pour être lue, Voltaire, Zulime, Lettre. On a beaucoup et trop écrit depuis Aristote sur la tragédie ; les deux grandes règles sont que les personnages intéressent, et que les vers soient bons, Voltaire, Don Pèdre, Disc. hist. Ils [les modernes] ont fait le la tragédie non pas le tableau des calamités de l'homme esclave de la destinée, mais le tableau des malheurs et des crimes de l'homme esclave de ses passions ; dès lors le ressort de l'action tragique a été dans le cœur de l'homme, et tel est le nouveau système dont Corneille est le créateur, Marmontel, Œuv. t. x, p. 291.
  • 3 Fig. Événement funeste. La tragédie d'Angleterre [l'exécution de Charles Ier], Descartes, Lett. à Élisabeth, Rev. Germ. t. XXXI, p. 82. En un temps où la fortune joue des tragédies par tous les endroits de l'Europe, Voiture, Lett. 53. Nous verrons ce que Dieu voudra représenter après cette tragédie [révolution d'Angleterre], Sévigné, 25 fév. 1685. L'homme est celui des animaux qui est le plus né pour la concorde, et l'homme est celui des animaux où l'inimitié et la haine font de plus sanglantes tragédies, Bossuet, Sermons, Charité fratern. préamb. Il [Louis le Débonnaire] envoie des gens pour arrêter ceux qui avaient contribué au désordre de ses sœurs ; cela causa bien des tragédies, Montesquieu, Esp. XXXI, 20. Que me parles-tu, Vallier, de m'occuper à faire des tragédies ? la tragédie court les rues ; si je mets les pieds hors de chez moi, j'ai du sang jusqu'à la cheville, Ducis, Corresp. à M. Vallier (sans date, mais pendant la terreur).

HISTORIQUE

XIVe s. Malvestiés et injustices que l'on raconte es tragedies, Oresme, Eth. 27.

XVIe s. Voyez vous quelles tragedies sont excitées par certains pastophores [prêtres] ? Rabelais, IV. Prol. de l'aut. Cette tragedie [l'exécution de Horn et d'Egmont] que le duc d'Albe nous feit voir à Bruxelle, Montaigne, I, 30. Les tragedies latines de Bucanan, Montaigne, I, 198.

ÉTYMOLOGIE

Lat. tragœdia, de τραγῳδία, de τράγος, bouc (voy. TRAGIQUE), et ᾠδὴ, chant (voy. ODE).