« épaule », définition dans le dictionnaire Littré

épaule

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

épaule

(é-pô-l') s. f.
  • 1Partie la plus élevée du bras chez l'homme. Déjà Despine était sur l'échafaud, Les cheveux retroussés et les épaules nues, Mairet, Solim. v, 2. Il ne me fallait point payer en coups de gaules, Et me faire un affront si sensible aux épaules, Molière, Ét. II, 9. Suis-je ce même Alcide ? ai-je de ces épaules Pour le secours d'Atlas soutenu les deux pôles ? Rotrou, Herc. mour. IV, 1. Je vous ai vu cent fois sous sa main bénissante Courber servilement une épaule tremblante, Boileau, Lutrin, IV. Il n'occupe point de lieu, il ne tient pas de place, il va les épaules serrées, le chapeau abaissé sur les yeux pour n'être pas vu, La Bruyère, VI. Platon fut d'abord appelé Aristocle, du nom de son grand-père ; son maître de palestre l'appela Platon à cause de ses épaules larges et carrées, Rollin, Hist. anc. XXVI, 1re partie, ch. 2, art. 4, § 1.

    Marcher des épaules, marcher pesamment en balançant les épaules et en se donnant un air d'importance. Vous voyez des gens qui entrent sans saluer que légèrement, qui marchent des épaules et qui se rengorgent comme une femme, La Bruyère, VIII.

    Terme de manége. Trotter des épaules, se dit d'un cheval qui trotte pesamment.

    Il est bien large, mais c'est par les épaules ou des épaules, se dit d'un avare, par un jeu de mots sur large, qui, outre l'acception propre, signifie généreux.

    Familièrement. Hausser, lever les épaules, témoigner en haussant les épaules, qu'une chose déplaît, choque. Vous avez un ridicule orgueil qui fait hausser les épaules, Molière, Mal. imag. II, 7. Il ne répondit qu'en haussant les épaules, Sévigné, 210. Le Jupiter d'Homère avec ses deux tonneaux me fait lever les épaules, Voltaire, Memmius, IX.

    Mettre quelqu'un à la porte par les deux épaules, le chasser honteusement. Thésée, après cent coups de gaules, Le mit dehors par les épaules, Scarron, Virg. VII.

    Porter sur les épaules, se dit d'un fardeau dont on a les épaules chargées.

    Fig. Je porte cet homme sur mes épaules, il m'est à charge, il me déplaît.

    Avoir quelque chose sur les épaules, avoir quelque embarras. Quand nous n'aurons plus Philisbourg sur nos épaules, Sévigné, 474. Je veux m'ôter sa charge de dessus les épaules, Sévigné, 410.

    Être sur les épaules, peser sur les épaules, être à charge, être un embarras.

    Plier les épaules, témoigner en pliant les épaules qu'on n'approuve pas. Et parlé de vos vers, en pliant les épaules, Piron, Métrom. III, 4.

    En un autre sens. Plier, baisser les épaules, subir un affront avec résignation.

    Avoir les épaules assez fortes, trop faibles pour …, c'est-à-dire être capable, incapable d'exécuter une chose.

    Donner un coup d'épaule à quelqu'un, lui venir en aide dans un embarras, dans une difficulté.

    Prêter l'épaule à quelqu'un, lui fournir les ressources dont il a besoin.

    Prêter l'épaule à quelque chose, y être favorable. Et dans son désespoir à la fin se mêlant, Pourra prêter l'épaule au monde chancelant, Corneille, Pompée, I, 1. Perfides, vous prêtez épaule à leur retraite, Corneille, la Veuve, IV, 2.

    Un tour d'épaule, un coup d'épaule, un effort pour quelque chose. Ces messieurs [du parlement] sont l'image de la justice ; les images portées ou menées en procession précèdent le roi ; encore un tour d'épaule et ils prétendront le précéder, Saint-Simon, 445, 209.

    Lire par-dessus l'épaule, lire par derrière une personne ce qu'elle tient dans la main. Et vous croyez bien que je me rends maîtresse de la lettre, pour qu'on ne lise pas sur mon épaule ce que je ne veux pas qui soit vu, Sévigné, 278. Un jour qu'en ayant ouvert une [lettre] et s'étant mis à lire, Éphestion s'approcha et lisait avec lui par-dessus son épaule, Rollin, Hist. anc. t. VI, p. 385, dans POUGENS.

    Manger par-dessus l'épaule, jouer par-dessus l'épaule, manger derrière les autres, jouer sans avoir de place à la table du jeu.

    Regarder quelqu'un par-dessus l'épaule, le regarder avec mépris.

    Faire quelque chose par-dessus l'épaule, ne point le faire du tout. Ne comptez pas être remboursé par cet homme ; il vous payera par-dessus l'épaule.

    Pousser le temps à l'épaule, vivre petitement en attendant un meilleur temps, gagner du temps. En attendant, je vais pousser, comme je pourrai, le temps avec l'épaule jusqu'au printemps, où j'irai revoir…, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 15 oct. 1776.

  • 2Partie la plus élevée de la jambe de devant chez les quadrupèdes. Le sanglier a été blessé à l'épaule. Une épaule de mouton, de veau.

    Il sent l'épaule de mouton, se dit de quelqu'un qui sent mauvais.

    Il ne jette pas les épaules de mouton par les fenêtres, il est avare.

    Épaule de mouton, cognée à l'usage des charpentiers.

    Terme d'entomologie. Chez les hexapodes, épaule se dit du second article des pattes antérieures.

  • 3 Terme d'escrime. Avoir de l'épaule, faire tous les mouvements avec cette partie du corps ; ce qui est un défaut.
  • 4 Terme de manége. L'épaule en dedans, se dit de la manœuvre par laquelle on amène les épaules du cheval dans le manége, en conservant toujours les jambes de derrière sur la piste. Épaule gagnée, se dit du cavalier qui est parvenu à diriger les épaules d'un cheval.

    Un cheval qui ne s'assied point sur les hanches, et qui ne plie pas les jarrets, s'abandonne trop sur les épaules.

  • 5 Terme de fortification. L'épaule d'un bastion, le terrain à l'endroit où la face et le flanc se joignent.

    L'angle de l'épaule, l'angle formé par ces deux lignes.

  • 6 Terme de marine. Partie de l'avant du navire sur laquelle il s'appuie, comme par l'arrière il s'assied sur ses fesses.

    Épaule de mouton, espèce de voile triangulaire.

HISTORIQUE

XIe s. Li reis Marsiles tint Guene par l'espalle, Ch. de Rol. LI.

XIIe s. Desor s'espaule li a son doi assis ; Tant le bouta que li cuens [le comte] le senti, li Coronemens Looys, v. 1675. Le pastre deit… l'oeille malede sur l'espaule porter ; Ne la deit pas lessier al larrun estrangler, Th. le mart. 29. Sur tut le pople plus fut halt de l'espalde en avant, Rois, p. 29.

XIIIe s. Et li atachierent, de par Dieu, la crois en l'espaule, Villehardouin, XXVII. Si traist au roi à descouvert au tournant de la drete espaule, et le navra durement, Chr. de Rains, p. 79.

XVe s. Et lors ledit duc d'Aquitaine… tout esmu d'ire prit son chancelier par les espaules et le bouta hors de le chambre, Monstrelet, I, 107. Mandoit le roy à messire Jean Jacques de Tremont, qu'il fist espaule audit messire Baptiste de Campefourgouse, Commines, VIII, 15.

XVIe s. Haste-toy donq' et n'attend pas Que la grand' espaule chenue Des Alpes deçoive tes pas, Du Bellay, J. III, 18, verso. Elle leur feit espaule à succeder aux estats de leur pere, Montaigne, I, 245. Hausser les espaules à l'italienne, Lanoue, 342. Leur ayant toutesfois fait tourner les espaules [prendre la fuite], Lanoue, 429. Ceux du dedans eurent loisir de se couvrir de deux espaules et d'un bon retranchement qui les fermoit toutes deux, D'Aubigné, Hist. I, 58. C'est pourquoy l'on dit qu'ils sentent le bouquin ou l'espaule du mouton, Paré, XVI, 39.

ÉTYMOLOGIE

Wallon spal, s. f. ; provenç. espatla, espalla ; catal. espatlla ; esp. espalda ; portug. espalda ; ital. spalla ; du latin spathula, omoplate, diminutif de spatha, spatule (voy. SPATULE et ÉPÉE), ainsi dite à cause de la forme large de cet os. L'étymologie montre que l'ancienne forme espalde est la plus conforme à l'origine, et que dans les autres il y a eu assimilation du d à l'l : espalle, espaule.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉPAULE. Ajoutez :
7 Terme de tisserand, en Belgique. Synonyme de canette, c'est-à-dire petit tuyau de bois ou de roseau qu'on charge de fil pour faire la trame d'une étoffe. En Belgique, il n'y a pas d'ouvriers en ateliers ; tout le travail se fait dans les chaumières ; le mari tisse la toile ; la femme fait ce qu'on appelle les épaules, les canettes ; elle bobine le fil, Enquête, Traité de comm. avec l'Anglet. t. V, p. 322.

REMARQUE

1. Outre : pousser le temps à l'épaule, qui est dans le Dictionnaire, on dit aussi : pousser le temps par l'épaule, avec l'épaule. Elle [la reine Elisabeth d'Angleterre] poussait le temps avec l'épaule, La Pise, Hist. des princes de la maison de Nassau, IVe part. p. 426. Ecrivez-moi souvent ; vos lettres me donnent courage, et m'aident à pousser le temps par l'épaule, comme on dit dans ce pays-ci, Racine, Lett. 26, à Vitart.

2. Cette locution a aussi le sens de : hâter dans son impatience la marche du temps. Voici un temps, ma chère enfant, où je n'entends plus rien : quand il me déplaît, comme à présent, et que j'en désire un meilleur, et que je l'espère, je le pousse à l'épaule comme vous ; et puis, quand je pense à ce que je pousse, et à ce qu'il m'en coûte quand il passe, et sur quoi cela roule, et où cela me pousse moi-même, je n'en puis plus, et je n'ose plus rien pousser, Sévigné, 28 mars 1689.

Dans le même sens que Mme de Sévigné, Beaumarchais a dit pousser de l'épaule : " Souvent aux pièces qui m'attachent le plus, je me surprends à pousser de l'épaule, à dire tout bas avec humeur : Eh ! va donc, musique ; pourquoi toujours répéter ? n'es-tu pas assez lente ? " Lettre sur la critique du Barbier de Séville.