« abuser », définition dans le dictionnaire Littré

abuser

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

abuser

(a-bu-zé) v. n.
  • 1User mal, se prévaloir de. Ayant abusé de leurs talents. Abuser de l'ignorance de quelqu'un. Abuser cruellement de la victoire. Pour seconder les criminelles intentions d'un ami, lequel abusait de votre crédulité, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 261. Vous croyez qu'abusant de mon autorité Je prétends attenter à votre liberté, Racine, Mithr. I, 2. J'abuse, cher ami, de ton trop d'amitié, Racine, Andr. III, 1. Avez-vous prétendu que muet et tranquille, Ce héros qu'armera l'amour et la raison, Vous laisse pour ce meurtre abuser de son nom ? Racine, Iph. I, 1. Et nos seuls ennemis, altérant sa bonté, Abusaient contre nous de sa facilité, Racine, Brit. V, 3. La perfide abusant de ma faiblesse extrême…, Racine, Phèd. V, 7. Et que de mon bonheur vous avez abusé Jusqu'à plus attenter que je n'aurais osé, Corneille, M. de Pompée, III, 2. Prince, vous abusez trop tôt de ma bonté, Corneille, Nic. II, 3. Je vous remets ce droit dont j'allais abuser, Voltaire, Orphel. V, 6. Vous ne voudrez jamais, abusant de mon âge…, Voltaire, Brut. II, 4. Il abuse en ces lieux de son pouvoir fatal, Voltaire, Sém. II, 1. Ils ont tous abusé de leur nouveau pouvoir, Voltaire, Alz. II, 2. Depuis qu'aux cieux l'amour est retenu, De son beau nom vous abusez encore, Malfilâtre, Narc. I.
  • 2 Absolument. Usez, n'abusez pas. L'homme est disposé à abuser.
  • 3Abuser de quelqu'un, ne pas se comporter avec lui comme il conviendrait. J'abuse de vous en vous entretenant si longuement de mes propres affaires. Abuser d'un domestique, le faire trop travailler. On dit dans le même sens abuser d'un cheval. Vous abusez d'une infinité de personnes en leur faisant accroire que les points sur lesquels vous essayez d'exciter un si grand orage sont essentiels à la foi, Pascal, Prov. 17.
  • 4Abuser d'une fille, la posséder. Pour venger sa fille dont Roderic abusait, Bossuet, Hist. I, 11. Nous flétrissons du nom d'incestueux le frère qui abuse de sa sœur, Voltaire, Métaph. 9. Alexandre VI était accusé d'abuser de sa propre fille Lucrèce, Voltaire, Mœurs, 110.

    Abuser, v. n., se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

    ABUSER, v. a.

  • 5Tromper. Abuser quelqu'un d'un vain espoir. Nous nous laissons abuser par les opinions du vulgaire. Ils sont grossièrement abusés, Pascal, Prov. 11. La flamme de vos yeux… Ne se lasse donc point… d'abuser les vœux dont elle est désirée, Malherbe, IV, 3. Car, sans le revenu, l'étude nous abuse, Régnier, Sat. III. Dites s'il me détrompe ou m'abuse en effet, Corneille, Héracl. II, 6. Notre profond silence abusant leurs esprits, Ils n'osent plus douter de nous avoir surpris, Corneille, Cid, IV, 3. Sors du trône et te laisse abuser comme moi, Corneille, Héracl. I, 2. Moi, j'aurais l'âme assez méchante pour abuser une personne comme vous ! Molière, D. J. II, 2. Je vous abuserais si j'osais vous promettre Qu'entre vos mains, seigneur, il voulût le remettre, Racine, Andr. I, 1. Je crains, je crains qu'un songe ne m'abuse, Racine, Phèd. II, 2. C'est pleurer trop longtemps une mort qui t'abuse, Racine, Esth. I, 1. Est-ce ainsi qu'on m'abuse et qu'on croit me jouer ! Voltaire, Orphel. III, 3. Une image trompeuse ne vient-elle pas abuser mes yeux ? Fénelon, Tél. IV. Je reconnus, mais trop tard, les chimères qui m'avaient abusé, Rousseau, Hél. IIIe part. Liv. 18.
  • 6Abuser une fille, la séduire. Une fille abusée était punie avec le séducteur, Rousseau, Ém. V.

    S'ABUSER, v. réfl. Se faire illusion. En cela, je me suis abusé. À moins que je ne m'abuse. Voulant nous affranchir, Brute s'est abusé, Corneille, Cinna, II, 2. Mais tu t'abuseras, Molière, l'Étourdi, I, 10. Vois si je m'abuse, Racine, Baj. III, 3. Mais moi-même… me serais-je abusée ? Racine, Baj. III, 6. Penses-tu que je sois moins épouse que mère ? Tu t'abuses, cruel…, Voltaire, Orphel. IV, 6. En conseiller d'État, de discours je m'abuse, Régnier, Élég. II.

REMARQUE

Pascal a dit : Il n'est pas possible de s'abuser à prendre un homme pour un ressuscité. Cet emploi, qui peut très bien être accepté, est un archaïsme. Voyez-en un exemple plus bas dans un texte de Lanoue.

HISTORIQUE

XIVe s. Comme Phalaris qui tenoit une enfant et avoit concupiscence de abuser en par delettation de luxure inconveniente, Oresme, Eth. 104.

XVe s. … Me faites, vous et raison, Aucune declaration ; Ou de votre fait suis abus, Pour ce que dit avez dessus, La Fontaine, 675. Povre homme, tu t'abuses bien ; Par ce chemin ne feras rien, Si tu ne marches d'autre pas, Nat. à l'Alch. 31. Las ! ne suis le premier de France Qui sotement s'est abusé, Orléans, Rond. 34. Ausquels fut dit pour le dict seigneur, qu'ils s'abusoient et que le dict seigneur aimeroit mieux mourir que d'estre contre le roi, J. de Troyes, 1475. Et avec telles mensonges se abusent bien aucuneffois les maistres, Commines, II, 2. On abusoit le roi quand on lui conseilloit entreprendre ceste guerre, Commines, III, 2.

XVIe s. Ils sçavent l'arithmetique si parfaitement que jamais ne s'abusent à conter, Lanoue, 183. Cet enfant nous abuse, car les estables ne sont jamais on hault de la maison, Rabelais, Garg. I, 12. Laissons les abuser de leur loisir, Montaigne, I, 187. Il me venoit compassion du pauvre peuple abusé de ces folies, Montaigne, I, 200. On ne peult abuser que des choses qui sont bonnes, Montaigne, II, 60. Elle n'y trouva les efforts repondants à sa taille, beauté et jeunesse par où elle avoit été prinse et abusée, Montaigne, III, 371. Il usa d'une ruse par la quelle il abusa l'une et l'autre partie pour le bien de la chose publique, Amyot, Solon, 21. Solon pour vrai est un fol abusé, Qui de son gré lui-même a refusé Un si grand heur que lui offroient les dieux, Amyot, ib. 22. Stesimbrotus s'abuse grandement pour n'avoir pas bien pris garde à la suitte des temps, Amyot, Thém. 3. Son filz abusoit un peu trop de l'affection que lui portoit sa mere, et de lui aussi semblablement par le moyen d'elle, Amyot, Thém. 36. Abusant la jeunesse de vaine espérance, Amyot, Fab. 51. Les Lacedemoniens abuserent d'Alcibiades plus tost qu'ils n'en userent, Amyot, Alc. et Cor. 4. Il abusa de son eloquence à calomnier et faussement charger et accuser ceux qui valoient mieux que lui, Amyot, Pélop. 44. Celui qui ne vise à la voie Par où il va, faut et s'abuse, Marot, III, 59.

ÉTYMOLOGIE

Abus ; provenç. et espagn. abusar ; ital. abusare.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ABUSER. V. n. Ajoutez :

5Il se dit aussi des actes contre nature. Cet homme, condamné pour attentat aux mœurs, avait abusé d'un enfant confié à ses soins.