« engloutir », définition dans le dictionnaire Littré

engloutir

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engloutir

(an-glou-tir) v. a.
  • 1Avaler avec avidité. Il engloutit les morceaux sans les mâcher. Dieu fit en même temps qu'il se trouva là un grand poisson qui engloutit Jonas ; il demeura trois jours et trois nuits dans le ventre de ce poisson, Sacy, Bible, Jonas, II, 1.
  • 2 Fig. Absorber, s'emparer, saisir pour soi. Il vient, la bouche béante, engloutir tous mes trésors, Vaugelas, Q. C. v, 1. Ce grand empire qui a englouti tous les empires de l'univers, Bossuet, Hist. III, 6. Sans cesse vous brûlez de voir tous vos parents Engloutir à la cour charges, dignités, rangs, Boileau, Sat. x. S'il engloutit à jamais l'héritage Dont la nature avait fait mon partage, Voltaire, Enf. prod. IV, 3. Elle était née dans le voisinage d'une grosse abbaye de cent mille livres de rente ; son mari me demanda un jour pourquoi ces messieurs, qui étaient en petit nombre, avaient englouti tant de parts de quarante écus, Voltaire, l'H. aux 40 écus ; Devenu père. Avant que les Romains eussent englouti toutes les républiques, il n'y avait presque point de rois nulle part, Montesquieu, Esp. XI, 8. Son luxe insatiable [de Rome] engloutit les états ; L'univers est sa proie et ne lui suffit pas, Saurin, Spart. v, 5.
  • 3Absorber comme dans un gouffre. Qui n'eût cru que cette tempête allait engloutir tout le Rouergue ? Patru, Plaid. 7, dans RICHELET. … La mer l'engloutit avec tout son fardeau, Corneille, M. de Pomp. v, 3. Les flots ont englouti cet époux infidèle, Racine, Phèd. II, 1. Que l'enfer engloutisse et vous et ma patrie, Voltaire, Tancr. v, 6. Confiance, amitié, vertus, plaisirs, folâtres jeux, la terre a tout englouti, Rousseau, Hél. VI, 13.

    Fig. Les Génois furent engloutis dans le précipice que leur perfidie et leur avidité leur avaient creusé, Raynal, Hist. phil. I, 11. Oui, dans ces noirs cachots, dans ces muets abîmes, Où Venise engloutit le coupable et ses crimes…, Ducis, Othello, v, 4. Que restera-t-il d'elle [la vulgaire jeunesse] ? À peine un souvenir ; Le tombeau qui l'attend l'engloutit tout entière, Lamartine, Médit. I, 3. Éternité, néant, passé, sombres abîmes, Que faites-vous des jours que vous engloutissez ? Lamartine, ib. I, 13.

  • 4Dissiper, dévorer. Il a englouti en peu de temps cette riche succession.
  • 5S'engloutir, v. réfl. Se perdre dans un gouffre. Herculanum s'engloutit sous des flots de lave. Cette foule de régions, d'États dont les conquêtes des Assyriens, des Mèdes, des Perses, en s'engloutissant successivement les unes les autres, avaient formé ce grand corps [l'empire d'Alexandre], Turgot, 2e disc. en Sorbonne. Partageant le destin du corps qui la recèle, Dans la nuit du tombeau l'âme s'engloutit-elle ? Lamartine, Médit. I, 5.

REMARQUE

Molière a dit engloutir le cœur, pour soulever le cœur : Pouah ! vous m'engloutissez le cœur, G. Dandin, III, 11. C'est un archaïsme ; engloutir a eu le sens de avoir le hoquet ; voy. l'historique.

HISTORIQUE

XIe s. Si li requerent conseil d'icele cose Qu'il unt oït, ki mult les desconfortet ; Ne guardent l'ure [l'heure] que terre nes anglutet, St Alexis, LXI.

XIIe s. À moult grans trais le fort vin englotir, Bat. d'Aleschans, v. 4551.

XIIIe s. Issi toz vivenz les engloutira enfers en l'ire dame Dieu, Psautier, f° 69. Hé, Diex ! que feras-tu de cest chetis dolent, De qui l'ame en ira en enfer le boillant, Et li maufez [les diables] l'iront à leur piez defoulant ; Ahi ! terre, quar oevre [ouvre-toi], si me va engloutant, Rutebeuf, II, 95. Car il ne cuident pas morir, Ne dedenz la terre porrir ; Mès si feront, Que jà garde ne s'i prendront, Que tel morsel engloutiront [ils avaleront tel morceau], Qui leur nuira, Que la lasse d'ame en ira En enfer, Rutebeuf, II, 2. … Un serpent si merveilleux Qui veut tout le monde engloutir, Unicorne et serpent.

XVe s. Ils sont venus engloutir cestui très noble et très chrestien royaume, Chastelain, Chron. Proesme.

XVIe s. Terre engloutist mes gens mors miserables, L'air corrompu me vomist ses poisons, Marot, J. V, 37. Qui n'a veu [un joueur] mascher et engloutir [avaler] les chartes [cartes], pour avoir où se venger de la perte de son argent ? Montaigne, I, 22. Engloutir [avoir le hoquet], Nicot Et Rob. Estienne.

ÉTYMOLOGIE

En 1, et le radical de glouton (voy. ce mot) ; provenç. englotir ; anc. espagn. englutir ; ital. inghiottire. L'ancienne conjugaison d'engloutir était comme celle de partir : englute, au subjonctif, engloutant, au participe présent ; c'est-à-dire que la finale ir représente la finale latine ire et non iscere.