« jouir », définition dans le dictionnaire Littré

jouir

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

jouir

(jou-ir) v. n.
  • 1Tirer plaisir, agrément. profit de quelque chose (sens le plus voisin du sens étymologique). Vous jouirez fort peu d'une telle insolence, Corneille, Médée, II, 7. … Ce malheureux attendait, Pour jouir de son bien, une seconde vie, La Fontaine, Fabl. IV, 20. L'heureux vieillard jouit jusqu'à la fin des tendresses de sa famille, Bossuet, le Tellier. La véritable victoire, celle qui met sous nos pieds le monde entier, c'est notre foi ; jouissez, prince, de cette victoire, jouissez-en éternellement par l'immortelle vertu de ce sacrifice [celui de Jésus-Christ], Bossuet, Louis de Bourbon. Jouissant, en sujet fidèle, des prospérités de l'État et de la gloire de son maître, Bossuet, le Tellier. La liberté qu'on se donne de penser tout ce qu'on veut fait qu'on croit respirer un air nouveau ; on s'imagine jouir de soi-même et de ses désirs, Bossuet, Anne de Gonz. Hâtons-nous aujourd'hui de jouir de la vie ; Qui sait si nous serons demain ? Racine, Ath. II, 9. Roxane… Nous engagea tous deux par sa facilité à la laisser jouir de sa crédulité, Racine, Baj. I, 4. Le coup de foudre qui allait éclater se cachait encore sous l'éclat trompeur de la nuée ; Dieu nous laissait encore jouir de notre erreur, Massillon, Or. fun. Dauphin. On s'enferme dans une maison sainte, plutôt pour jouir quelques moments plus à loisir de la paresse, que pour fuir les plaisirs, Massillon, Carême, Vérit. culte. Après avoir calculé pour le sage, calculons pour l'homme bien moins rare qui jouit de ses erreurs souvent plus que de sa raison, Buffon, Homme, arith. morale. Pendant que Davoust jouissait peut-être du dangereux plaisir d'avoir humilié son ennemi [Berthier], Ségur, Hist. de Nap. III, 2. Aimons donc, aimons donc ! de l'heure fugitive, Hâtons-nous, jouissons ! L'homme n'a point de port, le temps n'a point de rive, Il coule et nous passons, Lamartine, Médit. I, 13.

    Absolument. Savoir profiter de ce qu'on a, vie, temps, fortune. Il est riche, mais il ne sait pas jouir. L'homme, sourd à ma voix comme à celle du sage, Ne dira-t-il jamais : c'est assez, jouissons ? La Fontaine, Fabl. VIII, 27. Cependant jouissons ; l'âge nous y convie ; Avant de la quitter, il faut user la vie ; Le moment d'être sage est voisin du tombeau, Chénier, Élégie XX.

    Jouir de l'embarras de quelqu'un, jouir de son affliction, de sa détresse, etc. éprouver du plaisir à le voir ou à le savoir embarrassé, affligé, malheureux, etc. Du malheur qui me presse Tu ne jouiras pas, infidèle princesse, Racine, Mithr. IV, 7. Jouissez de sa perte injuste ou légitime, Racine, Phèdre, V, 7. Laissez-moi le plaisir de confondre l'ingrat ; Je veux voir son désordre, et jouir de sa honte, Racine, Baj. IV, 6.

  • 2 Absolument. Éprouver un plaisir sensuel. Le gastronome jouit en mangeant de bons morceaux.

    Populairement. Ça ne fait pas jouir, se dit de quelque douleur physique, par exemple l'arrachement d'une dent.

  • 3 Par extension, avoir la possession, l'usage de toute chose qui procure bien-être, avantage, agrément. Jouir d'une grande réputation. Jouir de l'estime publique. Leur roi n'a pu jouir de ton cœur adouci, Corneille, Mort de P. V, 4. Les honneurs dont a joui Marie-Thérèse, Fléchier, Mar.-Thér. Il allait jouir d'un noble repos dans sa retraite de Bâville, Fléchier, Lamoignon. Vous jouirez bientôt de son aimable vue, Racine, Baj. V, 6. Du fruit de tant de soins à peine jouissant En avez-vous six mois paru reconnaissant, Racine, Brit. IV, 2. Chacun peut désormais jouir de mon aspect, Voltaire, Zaïre, I, 3.

    Cet homme ne jouit pas de sa raison, c'est-à-dire son intelligence est troublée, il est fou, il est en enfance.

    On dit quelque fois jouir, en parlant des animaux. Les animaux qui jouissent de la faculté de voir dans l'obscurité.

  • 4 Particulièrement. Avoir la possession de quelque bien, de quelque avantage, et en profiter. Jouir d'une terre, d'un emploi. Jouir des droits civils, politiques. Il est majeur, il jouit de son bien. On ne m'a rien dit ni rien fait de leur part [les magistrats hollandais sollicités par Jurieu] ; j'ai joui de tous mes droits, et fait toutes mes fonctions comme auparavant, Bayle, Lett. à Minutoli, 27 août 1691. Il m'avoua, pour me consoler, qu'il jouissait de quatre cent mille livres de rente, Voltaire, l'Homme aux quarante écus, désastre. L'usufruit est le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance, Cod. Nap. 578. La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements, ib. 544.

    Absolument. Jouir de bonne foi. Vous m'avez vendu votre terre, faites-moi jouir. Il jouissait paisiblement.

    Au sens juridique, percevoir les fruits que produit une chose. L'usufruitier a le droit de jouir de toute espèce de fruits, soit naturels, soit industriels, soit civils, que peut produire l'objet dont il a l'usufruit, Cod. Nap. 582.

  • 5 Fig. Avec un nom de chose pour sujet, il se dit des avantages attachés à cette chose. La réputation méritée dont jouit cet ouvrage. Cette entreprise jouit d'une grande faveur dans le public. Cette contrée jouit d'un printemps perpétuel. D'où l'on voit que ç'a été dans l'année 36588 de la formation des planètes, c'est-à-dire il y a 38244 ans, que ce satellite [de Jupiter] jouissait de la même température dont jouit aujourd'hui la terre, Buffon, Théor. terre, part. hyp. Œuv. t. IX, p. 174.
  • 6Jouir de quelqu'un, avoir la liberté, le temps de conférer avec lui, de l'entretenir, d'en tirer quelque service, quelque plaisir. Nous jouirons de lui pendant son séjour à la campagne.

    Familièrement. On ne peut jouir de cet enfant, c'est-à-dire il est turbulent, capricieux, volontaire, on ne peut en venir à bout.

  • 7En langage libre, jouir d'une femme, avoir commerce avec elle. J'aimerais autant croire Dion Cassius, qui assure que les graves sénateurs de Rome proposèrent un décret, par lequel César, âgé de cinquante-sept ans, aurait le droit de jouir de toutes les femmes qu'il voudrait, Voltaire, Mœurs, introduction.
  • 8 Terme de chasse. Les chiens courants jouissent lorsque après avoir chassé, ils prennent l'animal et font curée. Pour avoir de bons chiens, il faut les faire jouir souvent.

    PROVERBE

    Qui de loin se pourvoit, de près jouit.

REMARQUE

Jouir, impliquant une satisfaction, ne se dit pas des choses mauvaises. Ainsi c'est parler ridiculement que de dire : Il jouit d'une mauvaise santé, d'une mauvaise réputation. Toutefois, quand la chose mauvaise dont il s'agit, malheur, peine, souffrance, peut être, par une hardiesse de l'écrivain, considérée comme quelque chose dont l'âme se satisfasse, alors jouir est très bien employé : Il ne croit rien avoir s'il n'a tout ; son âme est toujours avide et altérée, et il ne jouit de rien que des malheurs, Massillon, cité dans GIRAULT-DUVIVIER. Je t'ai perdu ; près de ta cendre Je viens jouir de ma douleur, Saint-Lambert, Épitaphe d'Helvétius.

HISTORIQUE

XIIe s. Li quelz doit mieux, par droit, d'amors joïr… ? Couci, X. Li rois les voit, s'est encontre saillis ; Assés les a acolés et joïs, Bernier baisa et puis le sor Geri, Raoul de C. 256.

XIIIe s. Vieschi [voici] li roi Ricart qui est entrés en ma terre, et bien sai qu'il est outrecuidiés ; et, s'il pooit tant faire qu'il peust de moi goïr, bien sai de voir [de vrai] ne porteroie la vie, Chr. de Rains, p. 75. Chil [celui] qui doit goïr se vie [sa vie durant] des fruis par reson du testament…, Beaumanoir, XII, 12. Jà ne la querroient oïr [la vérité], Trop en porroient mal joïr, Se je disoie d'eus parole Qui ne lor fust plesante et mole, la Rose, 11000. Joie d'amours fait tant gai Le cuer [le cœur], que c'est faerie [féerie], Que nulz qui got set celer, Bibl. des ch. 4e série, t. V, p. 26.

XVe s. Si jouirent chevaliers et escuyers paisiblement de leurs prisonniers, Froissart, II, II, 19.

XVIe s. Il n'y eust rien qui leur semblast si plaisant à regarder, ne si doulx à jouir que sa compaignie et sa personne propre, Amyot, P. Aem. 37. La santé que j'ay jouie jusques à present très vigoureuse, Montaigne, I, 78. Il se trouva court à jouir d'elle, Montaigne, I, 76. L'amitié est jouie à mesure qu'elle est desirée, Montaigne, I, 209. Jouir du privilege de…, Montaigne, I, 234. La solitude se puelt jouir au milieu des courts, Montaigne, I, 276. Les vrays biens desquels on jouit à mesure qu'on les entend, Montaigne, I, 287. C'est le jouir, non le posseder, qui nous rend heureux, Montaigne, I, 329. Je le voyois [Montaigne] habiller le mot de jouir du tout à l'usage de Gascongne, et non de nostre langue françoise : la santé que je jouy jusques à present, Pasquier, Lettres, t. II, p. 380.

ÉTYMOLOGIE

Génev. gaudir de quelqu'un, en venir à bout ; norm. cette poutre est lourde, mais j'en jouirai bien, je viendrai à bout de la porter ; provenç. gaudir, jauzir, gauzir ; cat. gausir, jausir ; anc. ital. gaudire ; ital. mod. gaudere ; du lat. gaudere.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

JOUIR. - REM. Ajoutez :

2. Malherbe a employé jouir activement : A quoi doit-il penser qu'à vivre, Vous jouir et se réjouir ? Lexique, éd. L. Lalanne. Cela est tout à fait hors d'usage.