« soupirer », définition dans le dictionnaire Littré

soupirer

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

soupirer

(sou-pi-ré) v. n.
  • 1Pousser des soupirs. Soupirer du fond du cœur. On dit que Mme Guénégaud vous disait : soupirez, soupirez, madame [de Grignan quittant sa mère] ; j'ai accoutumé Moulins aux soupirs qu'on apporte de Paris, Sévigné, 17 mai 1676. Je t'entends soupirer, et je suis sûr que tu soupirais aussi dans ta gloire ; pour moi, je ne soupirais point dans mon tonneau, et je n'ai que faire de soupirer ici-bas ; car je n'ai laissé en mourant aucun bien digne d'être regretté, Fénelon, Dial. des morts anc. (Diogène, Denys l'ancien). Ce pauvre roi [d'Espagne] qui apprenait la prise de Mons par Louis XIV, et, ignorant que cette ville était à lui, disait en soupirant : voilà une grande perte pour le roi d'Angleterre ! D'Alembert, Éloges, l'Abbé de Chois. note 2.

    Fig. et poét. Les siècles, évoqués par ces sons religieux [le bruit des orgues], font sortir leurs antiques voix du sein des pierres, et soupirent dans la vaste basilique, Chateaubriand, Gén. III, I, 8.

  • 2 Fig. Éprouver de la douleur, du regret. Pour quelle cause soupirez-vous donc, âme sainte, âme gémissante, et quel est le sujet de vos plaintes ? Bossuet, Panég. Ste Thér. 2. [Cet empereur] Qui soupirait le soir, si sa main fortunée N'avait par ses bienfaits signalé la journée, Boileau, Épît. I.

    Soupirer que, avoir le regret que. Nous sommes ravis de le voir, et nous soupirons que vous n'ayez point le même plaisir, Sévigné, 492.

  • 3Être amoureux, soupirer d'amour. Qui ne sait combien de mortelles Les [les dieux] ont fait soupirer pour elles ? Malherbe, v, 20. Je soupirais pour vous en combattant pour elle [Albe] ; Et, s'il fallait encor que l'on en vînt aux coups, Je combattrais pour elle en soupirant pour vous, Corneille, Hor. I, 4. Princesse, qui voyez soupirer dans vos fers Un roi qui de son nom remplit tout l'univers, Racine, Poés. div. Ode à la Reine.
  • 4Désirer ardemment. Et les dames avecque vœux Soupiraient après son visage, Malherbe, IV, 5. [Honneurs, plaisirs] Ainsi n'espérez pas qu'après vous je soupire ; Vous étalez en vain vos charmes impuissants, Corneille, Poly. IV, 2. C'est après cette bienheureuse patrie [le ciel] que soupiraient Abraham, Isaac et Jacob, Bossuet, Hist. II, 6. Ils étaient par là semblables à ces Israélites qui avaient soupiré après les oignons d'Égypte, Bourdaloue, Instruct. pour la seconde fête de Pâques, Exhort. t. II, p. 263. Vous voyez un malheureux qui ne soupire qu'après le bonheur de retourner parmi les siens, et de retrouver son père, Fénelon, Tél. III.

    Soupirer pour, même sens. Le soldat tout ainsi pour la guerre soupire, Régnier, Sat. IX. Le jeune homme, inquiet, ardent, plein de courage, à peine se sentit des bouillons d'un tel âge Qu'il soupira pour ce plaisir [la chasse], La Fontaine, Fabl. VIII, 16. La presse n'est pas grande à soupirer pour elle [la charge de Ch. de Sévigné], quoiqu'elle soit propre à faire soupirer, Sévigné, 12 avr. 1680. Mon cœur ne soupirait que pour la renommée, Racine, Alex. III, 6.

    On dit aussi soupirer à, soupirer vers. Que la terre ne nous tienne plus… et jouissons, par un vol généreux, de la bienheureuse liberté à laquelle nos âmes soupirent, Bossuet, Sermons, Ascension, 3. Si elle cesse de soupirer un moment vers sa patrie, elle cesse d'appartenir au siècle à venir, Massillon, Carême, Prospér. temp.

    Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

  • 5 V. a. Dans le style poétique et élevé. Dire, chanter avec tendresse et mélancolie. Quand le sang, bouillant en mes veines, Me donnait de jeunes désirs, Tantôt vous soupiriez mes peines, Tantôt vous chantiez mes plaisirs, Malherbe, III, 3. Vers les dangereuses langueurs Vous avez une douce pente ; Vous soupirerez des malheurs Dont vous paraissez ignorante, Deshoulières, Poés. t. II, p. 23. Ce n'était pas jadis sur ce ton ridicule Qu'amour dictait les vers que soupirait Tibulle, Boileau, Art p. II. Toi… qui, d'un même joug souffrant l'oppression, M'aidais à soupirer les malheurs de Sion, Racine, Esth. I, 1. L'on sent qu'il n'y a qu'un chrétien qui ait pu soupirer les angéliques amours de Paul et de Virginie, Chateaubriand, Génie, II, III, 7. Ah ! si jamais ton luth [de Byron], amolli par tes pleurs, Soupirait sous tes doigts l'hymne de tes douleurs, Lamartine, Méd. I, 2. Qui de nous, Lamartine, et de notre jeunesse Ne sait par cœur ce chant, des amants adoré, Qu'un soir, au bord d'un lac, tu nous as soupiré ? Musset, à Lamartine.

PROVERBES

Cœur qui soupire n'a pas ce qu'il désire.

Cœur content soupire souvent.

HISTORIQUE

XIe s. Ne poet muer [qu'il] nen plurt e ne suspirt, Ch. de Rol. CLXXIII.

XIIe s. [Je] N'eüsse pas souspiré en pardon [pure perte], Couci, VI. Tu dis que li regnez encontre ço cria ; E la mere le rei le desamonesta, Saint iglise de tant com pout en suspira, Th. le mart. 88. E li prince e li veillart [vieillards] suspirerent, Machab. I, 1.

XIIIe s. Por li [ma dame] m'en vais souspirant en Syrie, Quesnes, Romanc. p. 93. Quant li rois l'oï ensi parler, si pensa un poi, et souspira, Chr. de Rains, 206. À chief de piece [à la fin] revendras En ta memoire, et tressaudras Au revenir en effraor, Ausinc cum hons qui a paor, Et souspirras de cuer parfont, la Rose, 2305. Quant li amans plaint et sospire, Et est en duel et en martire, ib. 2661.

XVIe s. Et les forts vents qui parmi l'air souspirent, Marot, IV, 311. Les nouvelles qui viennent de si lointain pays, avant qu'elles soient rendues sur le lieu, où elles soupirent [s'éventent] comme le safran, Despériers, Contes, I. Comme une belle et jeune fiancée, De qui l'amour resveille la pensée, Souspire en vain son amy nuit et jour, Ronsard, 696. …Mais soupirerent un chant De leurs gorges non pareilles, Ronsard, Odes, v. 3.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. sospirar ; espagn. suspirar ; ital. sospirare ; du lat. suspirare, de susum, en haut, et spirare, souffler.