« écarter », définition dans le dictionnaire Littré

écarter

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

écarter

(é-kar-té) v. a.
  • 1 Terme de jeu. Mettre à part, rejeter des cartes dont on ne veut pas se servir. Notre homme écarte et ses as et ses rois, La Fontaine, Coupe. J'en avais écarté la dame avec le roi, Molière, Fâcheux, II, 2.

    Absolument. Bien écarter. Mal écarter. Les joueurs n'ont pas mal écarté, et la rentrée a fait gagner la partie, Voltaire, Lett. Prusse, 60.

  • 2 Par extension, séparer. Écarter les jambes, les bras. Il écarta tout doucement le feuillage et aperçut la jeune fille. Écarter un rideau. D'un souffle l'aquilon écarte les nuages, Racine, Esth. III, 3. N*** arrive avec grand bruit, il écarte le monde, se fait faire place…, La Bruyère, VIII.
  • 3Éloigner. On l'écarta du lit de sa mère mourante. On écarta tous les témoins. La fureur des eaux Presque aux yeux de l'Épire écarta nos vaisseaux, Racine, Andr. I, 1. Et ma jeunesse même écarte loin de moi Tous ceux qui dans le cœur me réservent leur foi, Racine, Brit. I, 4. Mais ce lien du sang qui nous joignait tous deux, Écartait Claudius d'un lit incestueux, Racine, ib. IV, 2. Ici tout vous retient, et moi tout m'en écarte, Racine, Mithr. III, 1. Laissez-moi de l'autel écarter une mère, Racine, Iphig. I, 5. Sa douleur profonde M'ordonne toutefois d'écarter tout le monde, Racine, Phèd. I, 2. Malgré ce même exil qui va les écarter, Racine, ib. IV, 6. Les sénateurs et les prêtres allèrent se jeter à ses pieds pour le conjurer d'avoir pitié de la ville et d'obtenir une capitulation de Sylla ; il les écarta à coups de traits, et les chassa de sa présence, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. X, p. 147, dans POUGENS. Écartons-les [les ennemis] de nos frontières ; qu'ils soient obligés par la terreur de nos armes de nous demander la paix, Vertot, Rév. rom. V, p. 36. Euryclès, écoutez : écartez la victime, Voltaire, Mérope, III, 4.

    Fig. J'écarte de vos jours un péril manifeste, Racine, Baj. II, 1. Ces lois qui de la terre écartant les misères…, Voltaire, Zaïre, I, 1. La nouvelle York [New-York] fut administrée par les lieutenants du prince avec assez d'adresse pour écarter de leur personne l'indignation des colons, Raynal, Hist. phil. XVII, 25. Elle pouvait écarter la réflexion, et non se soustraire à la souffrance, Genlis, Mlle de Clermont, p. 171, dans POUGENS.

    Écarter quelqu'un, le mettre à l'écart, l'éloigner des postes qu'il pourrait occuper.

  • 4Faire faire un écart, un détour, détourner. Écarter quelqu'un de la bonne voie.
  • 5Anciennement, divertir, s'approprier, en parlant d'argent. …Il avoit connaissance de certains arrêts qui condamnaient à mort les comptables qui écartaient les deniers du roi, l'Art de plumer la poule sans crier, Xe avanture, p. 112, 113, dans FRANC. MICHEL, argot.
  • 6Écarter le plomb, se dit d'un fusil qui n'est pas juste, qui ne lance pas son plomb bien serré.

    Absolument. Ce fusil écarte.

    Populairement. Écarter la dragée, cracher, en parlant, au visage de ceux avec qui on est. Ensuite une vieille carogne, qui écartait la dragée, prit la parole, Rec. de pièces com. dans LEROUX, Dict. comique.

  • 7S'écarter, v. réfl. Être mis dans l'écart. Les as s'écartent quelquefois.

    Présenter un écartement. Ses doigts s'écartèrent, et la pomme tomba. La foule s'écarte pour lui laisser passage.

    S'éloigner. S'écarter du bon chemin. La poussière qu'on jette sur une pirouette pendant qu'elle tourne s'en écarte aussitôt, Descartes, Monde, X. Et plus de votre cœur il [Dieu] paraît s'écarter, Plus par vos actions songez à l'arrêter, Boileau, Épît. XI. Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi ; Je m'écarte, je vais détrôner le sofi ; On m'élit roi, mon peuple m'aime, La Fontaine, Fabl. VII, 10. Selon qu'il vous menace ou bien qu'il vous caresse, La cour autour de vous ou s'écarte ou s'empresse, Racine, Brit. IV, 1. Mais ne t'écarte point, prends un guide fidèle, Racine, Iphig. I, 1. Loin de l'aspect des rois qu'il s'écarte, qu'il fuie, Racine, Esth. III, 1. Ceux qui veillaient sur vous se sont tous écartés, Voltaire, Soph. II, 1. La chèvre aime à s'écarter dans les solitudes, à grimper sur les lieux escarpés…, Buffon, Chèvre.

    Écartez-vous, éloignez-vous. Ne vous écartez pas, ne vous éloignez pas. Ne vous écartez pas, vous n'aurez pas la peine de revenir de loin ; et vous aussi, Nanette ; j'ai à vous parler à toutes deux, Dancourt, Prix de l'arquebuse, sc. 2. J'entends du bruit, la fête vient à nous ; écartez-vous un moment et revenez, Lamotte, Minutolo, sc. 14. Qu'aucun d'eux ne s'écarte, Voltaire, Orphel. II, 7.

    Fig. Il s'écarta des enseignements qu'il avait reçus. Je suivrai la raison dont vous vous écartez, Du Ryer, Scévole, V, 5. Les examinateurs s'étant voulu écarter un peu de cette méthode, Pascal, Prov. 3. Jamais de la nature il ne faut s'écarter, Boileau, Art p. III. On n'y arrive [à la raison] que par un chemin, et on s'en écarte par mille, La Bruyère, XI.

HISTORIQUE

XVIe s. Mener vie solitaire ès lieux escartez de la compagnie des hommes, Amyot, Num. 6. Les sergents faisans escarter la presse meirent la main sur luy pour l'emmener, Amyot, Publ. 11. Les Thoscans s'effroyerent tellement, que la pluspart se desroba du camp et s'escarta çà et là, Amyot, ib. 16. Des façons escartées [en dehors de l'usage] et particulieres, Montaigne, I, 120. La baleine le suit sans cesse ; et si de fortune elle l'escarte [le perd], elle va errant çà et là, Montaigne, II, 194. Les mers, les isles escartées [lointaines], Montaigne, II, 282. J'ai plus de soing de la santé quand elle me rit, que quand je l'ay escartée, Montaigne, IV, 67. S'il est trouvé que quelqu'un ait escarté ou caché les siennes [armes], il sera pendu et estranglé, Carloix, VIII, 11. Assemblez ils [les loups] vont assaillir quelques haras de chevaux, et, s'ils peuvent, les font esquarter, afin de se saisir de quelqu'un des poullains pour l'estrangler et manger, Fouilloux, Véner. 111, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Génev. s'escarter ; ital. scartare, faire un écart aux cartes ; angl. dis-card, écarter aux cartes ; de es- préfixe, et carte. C'est de l'écart aux cartes que tous les sens d'écarter sont provenus. Il y a dû avoir grande tendance à confondre escarter et esquarter (dont on a du moins esquarteler) ; aussi trouve-t-on l'orthographe esquarter.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉCARTER. Ajoutez :
8S'écarter, prendre un caractère de digression. [à propos de la cour passionnée que faisait à Mademoiselle de Blois le prince de Conti] Cette fin s'écarte un peu dans le roman ; mais en vérité il n'y en eut jamais de si joli, Sévigné, 27 déc. 1679.

ÉTYMOLOGIE

Ajoutez : La physionomie du verbe écarter est changée par la rencontre de textes historiques qu'il faut d'abord citer : XIIIe s. Li Bedouins et li Sarasins qui aloient espians entour l'ost, quant il trouvoient qui avoient escarté l'ost, il leur couroient sus, et li nostres à eus, Lettre de Jean Pierre Sarrasin, p. 262. À escarter il faut, bien que le sens ne soit pas très clair, joindre sans doute escard : XIIe s. Par force et par vif estoveir M'estot à mun uncle aler ; Nul autre escard n'i sai trover, Benoit de Sainte-Maure, Chr. de Norm. V. 9281. Quoi qu'il en soit d'escard, escarter reste, et il est du XIIIe siècle. Cela change toute l'économie de l'article écarter. Dans l'historique, tel qu'il se comportait lors de la rédaction du Dictionnaire, il n'y a pas d'exemple plus ancien que ceux du XVIe siècle. Force fut de se laisser guider par l'italien scartare, et de ne voir dans écarter que l'écart aux cartes. Mais, maintenant qu'il y a un exemple du XIIIe siècle, c'est-à-dire antérieur à l'introduction des cartes, il faut renoncer à une étymologie exclusive. L'article écarter soumis à une révision, se décompose en deux verbes tout à fait distincts : l'un vient de carte (ital. scartare, angl. to discard) et comprend tout ce qui est relatif au jeu de cartes ; l'autre vient de quart (ital. squartare, mettre en pièces), et comprend tous les sens qui n'appartiennent pas à carte. Escarter (l'orthographe esquarter se trouve aussi) veut dire mettre au quart, quart pris au sens que quartier a quelquefois (à quartier, à part). Escarter l'ost, dans J. P. Sarrasin, c'est mettre l'ost au quart, à quartier, comme éloigner la ville (pour : s'éloigner de la ville), c'est la mettre au loin.