« condamner », définition dans le dictionnaire Littré

condamner

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

condamner

(kon-da-né) v. a.
  • 1 Terme de jurisprudence. Prononcer un jugement contre quelqu'un. Condamner quelqu'un à la mort, à l'exil, aux dépens, à l'amende. Dieu condamne et punit ceux qui l'offensent, La Bruyère, XVI. … Un peuple infortuné Qu'à périr avec moi vous avez condamné, Racine, Esth. III, 4. L'un défenseur zélé des bigots mis en jeu Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu, Boileau, Épît. VII.

    En style judiciaire, on dit condamner en, quand il s'agit d'une somme d'argent. La cour l'a condamné en mille francs d'amende. C'est un archaïsme.

    On a dit condamner de, en place de condamner à, qui est seul usité présentement. Quelqu'un vient d'être condamné en justice de payer pour un autre, La Bruyère, Théophr. 12.

  • 2 Par extension, il se dit des choses qui portent condamnation. Voilà les preuves qui l'ont condamné.
  • 3Condamner un livre, en parlant des tribunaux ecclésiastiques ou civils, en interdire la lecture et en ordonner la saisie ou la destruction.
  • 4 Fig. Réduire, astreindre, vouer. Ses fonctions le condamnent à une extrême assiduité. Il est condamné par ses infirmités à quitter le service militaire. Un rigoureux devoir me condamne au silence, Racine, Mithr. II, 6. Quel champ couvert de morts me condamne au silence ? Racine, Iphig. IV, 4. Apprendre à quel mépris Titus l'a condamnée, Racine, Bérén. III, 2. Est-ce qu'à faire peur on veut vous condamner ? Boileau, Sat. X.
  • 5 Par analogie, blâmer, désapprouver, réfuter. Polydamas a condamné les entreprises d'Adraste, il en a prévu les suites funestes, Fénelon, Tél. XX. Vous-même condamnant vos injustes desseins, Tantôt à vous parer vous excitiez mes mains, Racine, Phèd. I, 3. Je condamnai mes pleurs, et jusques aujourd'hui Je l'ai pressé de feindre et j'ai parlé pour lui, Racine, Baj. I, 4. Des témoins de sa mort viennent à tous moments Condamner votre doute et vos retardements, Racine, Mithr. I, 3. Je condamnai les dieux ; et, sans plus rien ouïr, Fis vœu sur leurs autels de leur désobéir, Racine, Iphig. I, 1. Je ne vois que malheurs qui condamnent les dieux, Racine, Andr. III, 1.

    Condamner de…, taxer, accuser. Les ornements ne la font point condamner de trop d'artifice, Corneille, Ex. de Cinna. Il n'oserait condamner d'aucun péché un homme qui …, Pascal, Prov. 7. Et c'est trop condamner ma bouche d'imposture, Molière, Tart. IV, 3. Ne me condamnez point d'un deuil hors de saison [ne m'accusez pas d'avoir un deuil hors de saison], Molière, Sgan. 16. Le peu de théologiens qui s'opposent à ce concours sont condamnés de témérité par tous les autres, Bossuet, Libre arb. 8.

  • 6Condamner un malade, prononcer qu'il ne réchappera pas de la maladie dont il est atteint. Ils attendent que les médecins les aient condamnés, Bossuet, II, Pénit. 3. Est-il quelque espérance [pour le duc de Berry blessé] ? Hélas ! un lugubre silence A condamné son triste époux [de la duchesse], Hugo, Odes, I, 7.

    Terme de marine. Condamner un navire, le rayer, comme trop vieux, de la liste des navires qui peuvent faire un service actif ; décider qu'il ne prendra plus la mer, qu'il servira de ponton, ou qu'il sera démoli.

  • 7Condamner une porte, une fenêtre, la clore de manière qu'elle ne puisse être ouverte. On condamna la cave, on ferma la cuisine, Boileau, Sat X. Quand par votre ordre exprès elle a vu travailler Ce maudit serrurier venu pour nous griller, Qu'elle a vu ces barreaux et ces grilles paraître Dont ce noir forgeron condamnait sa fenêtre…, Regnard, Folies amour II, 6.
  • 8Se condamner, v. réfl. Être condamné. Car, selon l'intérêt, le crédit ou l'appui, Le crime se condamne ou s'absout aujourd'hui, Régnier, Sat. III.

    Donner des preuves contre soi. Il se condamne par son propre récit.

    Se condamner l'un l'autre. Au dernier jour, tous vos auteurs s'élèveront en jugement les uns contre les autres, pour se condamner réciproquement dans leurs effroyables excès contre la loi de Jésus-Christ, Pascal, Prov. 13.

    S'astreindre, s'obliger. Il se condamnait, en rendant les sceaux, à rentrer dans la vie privée, Bossuet, le Tellier. Quelle serait la puissance des rois s'ils se condamnaient à en jouir tout seuls ? Massillon, Pet. Car. Humanité.

HISTORIQUE

XIIe s. [Ils] Cuveiterunt en l'aneme [âme] del juste, e sanc nunnuisant [innocent] condemnerunt, Liber psalm. p. 138.

XIIIe s. Li apostoles assanla [assembla] un grant concille pour condempner l'empereour, Chr. de Rains, 127. Et maistres Pierre de la Vigne revint de Lions, et conta à l'empereour coment il estoit condempnés de tiere, ib. Tuit cil qui moerent avant qu'il soient condampné de vilain cas de crieme, Beaumanoir, VII, 8.

XIVe s. Aucuns dotteurs font ici ceste question assavoir mon se le juge doit condempner celui que il scet certainement estre innocent, Oresme, Eth. 162. Il condempne un larron à mort non pas comme prestre mais comme juge, Oresme, ib. 164.

XVe s. Le pape et les prelats contournerent du tout la roine d'Angleterre et condamnerent en son tort, et mirent le roi d'Angleterre et son conseil à son droit, Froissart, I, I, 11. Mais encore ne volt il mie [Piètre du Bois] le pont condamner [fermer] de tous points, Froissart, II, II, 176. Et ainsi se condempna le roy en ceste amende, congnoissant qu'il avoit trop parlé, Commines, IV, 10.

XVIe s. Gardons-nous d'imposer le nom de justice aux œuvres qui sont condamnées de pollution par la bouche de Dieu, Calvin, Instit. 609. Estre condemné à mort, Montaigne, I, 54. Ceux qui condemnent les punitions capitales aux heretiques [ceux qui blâment ces condamnations], Montaigne, I, 55. Prins et condemné à la mort, Montaigne, I, 65. J'ay tousjours accusé d'impertinence ceulx qui condamnent ces esbattemens, Montaigne, I, 198. Condamner ces choses impossibles, c'est se faire fort de…, Montaigne, I, 202. Les condamnez qui attendoient l'execution…, Montaigne, II, 39. Ceux qui condamnent les autres par orgueil, il avient après que Dieu les condamne par justice, Lanoue, 72. Ne retirant point du tout nostre dilection de leurs personnes, encore que leurs erreurs et meschancetez soient condamnées de nous, Lanoue, 76. On en condamne aussi quelques uns d'aller aux guerres de Barbarie, Lanoue, 256. Quant à moy je ne veulx point ainsi rejetter ny condemner une histoire si renommée, Amyot, Solon, 56. Il condemna les Corinthiens en une amende de vingt talents envers eulx, Amyot, Thém. 45. On feit condemner et murer la porte de l'estuve, Amyot, Cimon, 5. En quoy il ne merite point d'estre blasmé ny condemné d'ingratitude, ains…, Amyot, Pomp. 29. Le roi fit condamner de pierres et autres meubles la porte ordinaire, D'Aubigné, Hist. III, 151. Tel a bonne cause qui est condempné, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Provenç. condampnar ; espagn. condemnar ; ital. condennare, condamnare ; du latin condemnare, de cum, et damnare (voy. DAMNER).