« cruauté », définition dans le dictionnaire Littré

cruauté

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

cruauté

(kru-ô-té) s. f.
  • 1Penchant à infliger des souffrances et la mort. Exercer sa cruauté contre des innocents. Quels foudres lancez-vous quand vous vous irritez, Si même vos faveurs ont tant de cruautés ? Corneille, Hor. III, 1. Il y a de la cruauté à tuer un homme, Pascal, Prov. 7. Insensé qui ne voit pas que sa cruauté, à laquelle il se confie, le fera périr, Fénelon, Tél. III. Les remparts abattus, les palais mis en cendre Sont de ta cruauté les plus doux monuments, Rousseau J.-B. Odes, IV, 8. La loi séparait sans cesse la monarchie ; la crainte, l'ambition et la cruauté voulaient la réunir, Montesquieu, Esp. XVIII, 29. Le tyran le plus dur, l'esclave le plus bas, Si dans une même âme ils confondaient leur être, En lâche cruauté ne l'effaceraient pas, Masson, Helvét. II.
  • 2Action cruelle. Les cruautés de Néron. Il exerce des cruautés inouïes, Bossuet, Hist. II, 5. Père dénaturé, malheureux politique, Esclave ambitieux d'une peur chimérique, Polyeucte est donc mort, et par vos cruautés Vous pensez conserver vos tristes dignités, Corneille, Poly. V, 6. J'en ai fait un martyr, sa mort me fait chrétien ; J'ai fait tout son bonheur, il veut faire le mien ; C'est ainsi qu'un chrétien se venge et se courrouce ; Heureuse cruauté dont la suite est si douce ! Corneille, ib. L'excès de la douleur m'a fait commettre contre Lichas une cruauté que je me reproche, Fénelon, Tél. X.
  • 3Chose fâcheuse ; acte rigoureux. Quelle cruauté de se voir trahi par ses amis ! Vous refusez de me voir, quelle cruauté ! Je ne me ferais pas de cruautés comme cette fois [je ne m'infligerais pas une peine si grande], Sévigné, 287.

    Les cruautés du sort. Que nos plaisirs passés augmentent nos supplices ! Qu'il est dur d'éprouver après tant de délices Les cruautés du sort ! La Fontaine, Psyché, II, p. 133. Partout environnés des cruautés du sort, Des fureurs des méchants, des piéges de la mort, Voltaire, Dés. de Lisbonne. Je plain Gusman, son sort a trop de cruauté, Voltaire, Alz. V, 2.

  • 4La cruauté, les cruautés d'une maîtresse, son indifférence ou ses rigueurs. Que je bénis, seigneur, l'heureuse cruauté Qui vous rend… - Tu l'as vu comme elle m'a traité, Racine, Andr. II, 5.

HISTORIQUE

XIIe s. Par vos grant cruautez, Ronc. p. 14. Membrer vous doit que laide cruauté Fait qui ocist son lige homme demaine, Couci, XI.

XIIIe s. Or oés se ceste gens devoient terre tenir, qui si grant cruauté faisoient li uns envers les autres, Villehardouin, CXV. [Ils] Lui ont mis cele corde ; ce fut grant cruauté, Berte, X. Il meïsmes n'a pas vergoigne De recongnoistre, ains le tesmoigne, Et sa crualté pas ne cele, Quant perilleus miroir l'apele, la Rose, 20615. Ne nul testamens ne doit mie estre fes selonc crualté, mais selonc misericorde, Beaumanoir, XII, 55.

XIVe s. Crudelité ou ire, Oresme, Eth. 204.

XVe s. Sire de Laval, respondit le duc, laissez moy faire ma voulenté ; car Clisson m'a tant de fois courroucé, que maintenant il est heure que je luy monstre ; et partez vous d'icy ; je ne vous demande rien ; laissez moy faire ma cruauté ; car je vueil qu'il meure, Froissart, liv. IIII, p. 198, dans LACURNE. Et encores par tel folie As-tu hui fais regrès et plains ; Tu es un jeune homme tous plains De cruautés [de souffrances], Froissart, Poésies mss. p. 12, dans LACURNE. Et prendrons tribus et apatissemens sur nos adversaires le plus que pourrons ; et sur ceulx de nostre parti ferons aucune cruaulté [imposition] la moindre et la plus douce que faire se pourra, le Jouvencel, f° 31, dans LACURNE. Quant la dame se fust aucun peu advisée et qu'elle eut fort regardé le fondement du temple et la cruauté [aspect horrible] des lances qui y apparoient, Perceforest, t. IV, f° 73.

XVIe s. C'est comme une Heleine, pour laquelle les ennemis de la verité aujourd'hui bataillent en si grande crudelité, en si grande fureur, en si grande rage, Calvin, Instit. 1161. Comment se vient-il à enflamber de une telle cruauté ? Calvin, ib. 1199. Parquoi, si vous aimez mavie, en sauvant votre conscience de crudelité, vous me la sauverez, Marguerite de Navarre, Nouv. XXII. Que nul ne faict cruauté en la rendant, que les premieres s'appellent cruautés, les secondes justice, D'Aubigné, Hist. I, 155. Je ne leu jamais tant de rigueur (je ne dirai cruauté) comme celle qui fut exercée contre cette dame [Marie Stuart], ny de constance comme celle qui se trouva en elle, Pasquier, Rech. liv. VI, p. 512, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. cruzeltat, crueltat ; catal. crudeltat ; espagn. crueldad ; portug. crueldade ; ital. crudeltà ; du latin crudelitatem, de crudelis (voy. CRUEL). Crudelité qu'on trouve dans quelques textes était refait sur le latin, qui, à l'origine, avait donné régulièrement cruelté, crualté, cruauté.