« joie », définition dans le dictionnaire Littré

joie

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

joie

(joî ; d'après Bèze, au XVIe siècle on prononçait joi-ye ; d'autres prononçaient, ce qu'il blâme, jo-ye) s. f.
  • 1Plaisir de l'âme. Ceux dont il a gagné la croyance et l'appui Prendront-ils même joie à n'obéir qu'à lui ? Corneille, Sert. I, 1. À ces mots le corbeau ne se sent pas de joie, La Fontaine, Fabl. I, 2. Je sortais et j'ai joie à vous voir de retour, Molière, Tart. I, 5. Trouvant sa plus grande joie dans le Dieu qui le charme, il [l'homme] s'y porte [vers le bien] infailliblement de lui-même par un mouvement tout libre, tout volontaire, tout amoureux, Pascal, Prov. XVIII. Une chose qui comble de joie Mme de Rohan, Sévigné, 9. Le beau temps ne vous est de rien ; vous y êtes trop accoutumée ; pour nous, nous voyons si peu le soleil, qu'il nous fait une joie particulière, Sévigné, 10 nov. 1675. Je suis touchée d'une véritable joie que vous ayez au moins tiré de vos malheurs… la connaissance de ce que vous êtes, Sévigné, Lett. à Bussy, 22 juill. 1685. Tout brille de joie dans cette province de l'arrivée du chevalier de Tourville à Brest, Sévigné, 6 août 1689. La perte d'Annibal eût fait la joie des seigneurs [à Carthage], Bossuet, Hist. III, 6. Si elle eut de la joie de régner sur une grande nation, c'est parce qu'elle pouvait contenter le désir immense qui sans cesse la sollicitait à faire du bien, Bossuet, Reine d'Anglet. Le cardinal [Mazarin] fait la paix avec avantage ; au plus haut point de sa gloire, sa joie est troublée par la triste apparition de la mort, Bossuet, le Tellier. Les cœurs sont saisis d'une joie soudaine par la grâce inespérée d'un beau jour d'hiver, Bossuet, Mar.-Thér. Cette joie sensible qu'elle avait à croire lui fut continuée quelque temps, Bossuet, Anne de Gonz. Il met en joie le ciel et la terre, Bossuet, Lett. abb. 102. Cette joie intérieure et spirituelle dont Dieu remplit une âme qui le cherche en vérité, et qui ne cherche que lui, Bourdaloue, 3e dim. après Pâq. Dominic. t. II, p. 119. Il trépigne de joie, il pleure de tendresse, Boileau, Art p. I. Elle [l'élégie] peint des amants la joie et la tristesse, Boileau, ib. II. Et ma joie à vos yeux n'ose-t-elle éclater ? Racine, Iph. II, 2. Un je ne sais quel trouble empoisonne ma joie, Racine, Esth. II, 1. Ah ! qu'un seul des soupirs que mon cœur vous envoie, S'il s'échappait vers elle, y porterait de joie ! Racine, Andr. I, 4. Quelle joie D'enlever à l'Épire une si belle proie ! Racine, ib. II, 3. Il s'élève en la mienne [âme] une secrète joie, Racine, ib. I, 1. Une riante troupe Semble boire avec lui la joie à pleine coupe, Racine, Esth. II, 9. Le ciel s'est fait sans doute une joie inhumaine à rassembler sur moi tous les traits de sa haine, Racine, Iph. II, 1. Je veux que tous les cœurs soient heureux de ma joie, Voltaire, Zaïre, III, 1. Une joie féroce succède tout à coup au noir chagrin qui dévorait ces brigands, Raynal, Hist. phil. x, 10. Tu te fais une joie orgueilleuse et cruelle, D'attacher sur mon front une honte éternelle, Delavigne, Vêpr. sic. III, 2.

    Que le ciel vous tienne en joie, ancien souhait de politesse. Le ciel vous tienne tous en joie, Molière, Tart. V, 4.

    On a dit de même : Que la joie soit avec vous. Il salua Tobie, et lui dit : que la joie soit toujours avec vous, Sacy, Bible, Tobie, V, 11.

    Cris de joie, cris que l'on pousse dans un transport de joie. Fasse le juste ciel, propice à mes désirs, Que ces longs cris de joie étouffent vos soupirs ! Corneille, Pomp V, 5.

    Avoir la joie d'une chose, en jouir. L'un se baissait déjà pour amasser la proie ; L'autre le pousse et dit : il est bon de savoir Qui de nous en aura la joie, La Fontaine, Fabl. IX, 9.

    Être à la joie de son cœur, être dans la joie de son cœur, être transporté de joie. Me voici à la joie de mon cœur, toute seule dans ma chambre à vous écrire paisiblement, Sévigné, 13 mars 1671. M. Despréaux est à la joie de son cœur, depuis qu'il a vu…, Racine, Lettre XXXII, à son fils.

    Faire la joie, être la joie de quelqu'un, être pour lui un grand sujet de joie, faire son bonheur. Ô mon fils ! ô ma joie ! ô l'honneur de mes jours, Corneille, Hor. IV, 2. En attendant qu'elle [une princesse] fasse la félicité d'un grand prince et la joie de toute la France, Bossuet, Reine d'Anglet.

    Se donner au cœur joie, ou à cœur joie de quelque chose, en jouir pleinement, abondamment, s'en rassasier.

    On dit dans le même sens : s'en donner à cœur joie.

    Feu de joie, voy. FEU, n° 10.

    Fig. Il [un prince] fut défait entièrement [par le czar Pierre] ; et la relation porte qu'on fit de son pays un feu de joie, Voltaire, Russ. II, 16.

  • 2 Au plur. Plaisirs, jouissances. Les joies du paradis. Nos jours, filés de toutes soies, Ont des ennuis comme des joies, Malherbe, VI, 24. C'est vous qui faites ici toutes mes joies, Voiture, Lettre 30. Les joies temporelles couvrent les maux éternels qu'elles causent, Pascal, Lett. à Mlle de Roannez, 2. Dans la solitude de Sainte-Fare… dans cette sainte montagne où les joies de la terre étaient inconnues, Bossuet, Anne de Gonz. Oubliant le caractère de désolation qui fait le soutien comme la gloire de son état [veuvage], elle s'abandonne aux joies du monde, Bossuet, ib. Des douceurs préférables à toutes les joies et à tous les plaisirs des sens, Bourdaloue, Serm. 17e dim. après la Pentec. Domin. t. IV, p. 75. Vous disiez… au milieu de vos joies insensées… qu'il faut laisser parler le monde, Massillon, Carême, Resp. hum. Il vaudrait toujours mieux s'affliger avec le peuple de Dieu, que participer aux joies fades et puériles des enfants du siècle, Massillon, Carême, Dégoûts. On rappelle avec complaisance les joies des premières années, Massillon, Carême, Délai de la conv. Cette paix, ces plaisirs, ces innocentes joies Que Dieu garde aux tribus qui marchent dans ses voies, Delavigne, Paria, II, 5. Souvent dans ses desseins Dieu suit d'étranges voies, Lui qui livre Satan aux infernales joies, Et Marie aux saintes douleurs, Hugo, Odes, I, 2.

    Les quinze Joies du mariage, titre d'un ouvrage satirique du XVe siècle, où sont dénombrés les inconvénients du mariage.

  • 3Gaieté, humeur gaie. La joie bruyante des convives. À Piéton, près de ce corps redoutable que trois puissances réunies avaient assemblé, c'était dans nos troupes de continuels divertissements ; toute l'armée était en joie, et jamais elle ne sentit qu'elle fût plus faible que celle des ennemis, Bossuet, Louis de Bourbon. Aux accès insolents d'une bouffonne joie La sagesse, l'esprit, l'honneur furent en proie, Boileau, Art p. III. La princesse aimait à donner chez elle des fêtes, des divertissements, des spectacles, mais elle voulait qu'il y entrât de l'idée, de l'invention, et que la joie eût de l'esprit, Fontenelle, Malézieu.

    Vive la joie ! cri de gens qui s'amusent et qui veulent continuer à s'amuser.

    Aimer la joie, aimer les plaisirs. Mon père a un peu trop aimé la joie, ce qui n'enrichit pas une famille, Marivaux, Marianne, 6e part.

    Une fille de joie, une prostituée. Ni qu'en ma chambre une fille de joie Passe la nuit, La Fontaine, Court.

  • 4 Terme d'alchimie. Joie des philosophes, la pierre arrivée au blanc parfait.

REMARQUE

On dit : j'ai de la joie à vous voir, parce que à est régi par j'ai ; mais : j'ai la joie de vous voir, je n'ai pas eu la joie de vous voir, parce que de est régi par joie.

HISTORIQUE

XIe s. Il l'abat mort, paien en ont grant joie, Ch. de Rol. CXXI.

XIIe s. Il n'i fit joie ne cheveluz ne chauz [chauve], Ronc. 149. À joie [ils] s'en departent vers France cele part, Saxons, XXIX.

XIIIe s. Et sa mere en commence de la joie à pleurer, Berte, III. Ris et soulas et joie m'ont bien clamée quitte, ib. XXXVII. Mais Diex qui est donnerres de joie souveraine, ib. L. Si n'avoit el [Largesse] joie de rien Cum quant el pooit dire, tien, la Rose, 1137. Et quant j'oi une piesce [quelque temps] demouré à loinville, et je oy fetes mes besoignes, je me muz vers le roy, leque ! je trouvai à Soissons, et me fist si grant joie, que touz ceulz qui là estoient s'en merveillerent, Joinville, 289.

XVe s. Mon seul amv, mon bien, ma joye, Celui que sur tous amer veulx, Je vous pry que soyez joyeux En esperant que brief vous voye, Orléans, Bal. 36.

XVIe s. Ceste nouvelle joye survenue par dessus l'aise de la victoire, Amyot, Mar. 38. Le peuple tout incontinent en voulut faire des feux de joye, Amyot, Phoc. 23. Joye au cœur fait beau teint, Leroux de Lincy, Prov. t. II, 323. On meurt bien de joie, Leroux de Lincy, ib. p. 361. Pour une joie mille douleurs, Leroux de Lincy, ib. p. 31.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. gaug, gauch, guaug, gaut, s. m., et joi, s. m., et joia, s. f. ; cat. gotg, s. m. ; anc. espagn. gaudio ; espagn. mod. gozo et aussi joya ; ital. gaudio et gioia ; du latin gaudium. Les formes féminines viennent du pluriel gaudia, selon l'usage de l'ancienne langue qui des pluriels neutres latins a tiré des noms féminins, comme merveille, Bible, etc.