« miséricorde », définition dans le dictionnaire Littré

miséricorde

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miséricorde

(mi-zé-ri-kor-d') s. f.
  • 1Sentiment par lequel la misère d'autrui touche notre cœur. C'est un homme sans miséricorde. Celui qui dans le temps n'aura pas exercé la miséricorde, n'a point de miséricorde à espérer dans l'éternité, Bourdaloue, 8e dim. après la Pentec. Dominic. t. III, p. 110. Pour vous raconter les différentes actions de miséricorde qu'elle a faites, il faudrait vous décrire ici toutes les misères humaines, Fléchier, Aiguillon. Qu'enfin, à l'exemple du Dieu qu'elle servait, elle a été riche en miséricorde, Fléchier, Dauphine. Le concile porta la miséricorde jusqu'à statuer qu'il jouirait [le comte de Toulouse] d'une pension de 400 marcs, Voltaire, Mœurs, 62.
  • 2 Au plur. Actes de miséricorde. Voyons-la dans ces hôpitaux où elle pratiquait ces miséricordes publiques, Fléchier, Mar.-Thér.
  • 3La grâce, le pardon accordé à ceux qu'on pourrait punir. Caliste, priez nuit et jour, Vous n'aurez point miséricorde, Malherbe, V, 31. Cieux, louez le Seigneur, parce qu'il a fait miséricorde, Sacy, Bible, Isaïe, XLIV, 23. Pour obtenir miséricorde de leur rigueur, Pascal, Prov. X. Il [Dieu] fait miséricorde au petit nombre de ceux qu'il sauve par son Fils, Sévigné, 440. N'ai-je donc pas sujet de croire que Dieu lui a fait la miséricorde qu'elle fit aux autres ? Fléchier, Aiguillon.

    Préférant miséricorde à justice, formule usitée dans les lettres de rémission et dans celles d'abolition.

    Être à la miséricorde de quelqu'un, dépendre absolument de la pitié de quelqu'un.

    Se remettre, s'abandonner à la miséricorde de quelqu'un, se remettre, s'abandonner à sa merci, à sa discrétion.

    Sans miséricorde, sans faire grâce. Avancez, compagnons, la flèche sur la corde, Et tirez sans respect, ou sans miséricorde, Mairet, Solim. V, 8. On pendait sans miséricorde tous ceux qui parlaient de traiter avec le roi, Voltaire, Hist. parlem. ch. XXXII.

    Fig. Tous les parloirs [à l'abbaye de Chelles] sont fermés ; tous les jours maigres sont observés ; toutes les matines sont chantées sans miséricorde, Sévigné, 30 sept. 1676.

  • 4La miséricorde de Dieu, la miséricorde divine, bonté par laquelle Dieu fait grâce aux hommes, aux pécheurs. Comme les deux sources de nos péchés sont l'orgueil et la paresse, Dieu nous a découvert deux qualités en lui pour les guérir : sa miséricorde et sa justice, Pascal, Pens. XXIV, 32, édit. HAVET. Que restait-il à une âme… déchue de toutes les grâces ?… il restait la souveraine misère et la souveraine miséricorde, Bossuet, Anne de Gonz. Dieu n'a pas encore épuisé ses miséricordes, Bossuet, Hist. II, 7. Comment Dieu, qui t'avait élu, t'a-t-il oublié ? et que sont devenues ses anciennes miséricordes ? Bossuet, ib. 10. Ne dissimule pas mes défauts et ne m'attribue pas mes vertus ; loue seulement la miséricorde de Dieu qui a voulu m'humilier par les uns, et me sanctifier par les autres, Fléchier, Duc de Mont. S'il est vrai que les richesses entrent dans les desseins de la miséricorde de Dieu sur des âmes nobles et désintéressées, Fléchier, ib. Et sa miséricorde [de Dieu] à la fin s'est lassée, Racine, Athal. I, 1. Le créateur du monde, qui a formé l'homme dans sa naissance et qui a donné l'être à toutes choses, vous rendra un jour l'esprit et la vie par sa miséricorde, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VIII, p. 634, dans POUGENS. Que vos miséricordes sont infinies, Ô mon Dieu ! Massillon, Avent, Bonh. des justes.
  • 5Miséricorde ! par exclamation, marquant une extrême surprise, accompagnée d'une sorte de chagrin ou de regret. Miséricorde ! un portier chez moi ! Dancourt, Bourg. à la mode, IV, 6. Figaro : De retour à Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littéraires ; et le théâtre me parut un champ d'honneur. - Le comte : Ah miséricorde ! Beaumarchais, Barb. de Sév. I, 2.

    À l'aide, miséricorde ! cri poussé quand on est battu, outragé, et qu'on demande du secours.

    Crier miséricorde, crier en se plaignant des grandes douleurs qu'on souffre, ou d'une peine morale, d'une offense, etc. Ce serait à moi à crier miséricorde, si je n'avais du courage, Sévigné, 438. Le mari de votre nourrice vint avant-hier crier miséricorde au logis, que sa femme lui avait mandé… qu'on l'avait accusée d'avoir du mal, Sévigné, 21 août 1675.

    Fig. Une chose [le mariage de Lauzun avec Mademoiselle] qui fait crier miséricorde à tout le monde, Sévigné, 9. M. Fagon crie miséricorde contre moi de ce que j'écris trop, Maintenon, Lett. à Mme de Brinon, t. II, p. 234, dans POUGENS. Le duc de Villeroi crie miséricorde sur le froid, la pluie, la neige et le vent : et le roi n'en sent rien, Maintenon, Lett. au duc de Noailles, 8 mars 1711.

  • 6Nom d'un petit poignard que les anciens chevaliers portaient de l'autre côté de l'épée, et qui leur servait à tuer leur ennemi après l'avoir renversé, s'il ne criait pas miséricorde.
  • 7Support en forme de cul-de-lampe pratiqué dans une stalle d'église, au-dessous du siége, et qui se relève avec lui.
  • 8Récréation ou aliments supplémentaires que l'on accorde aux religieux en certains ordres.

    Se dit, chez les chartreux, d'un repas que ces religieux font une fois par semaine avec du pain et de l'huile.

    Mesure de vin plus grande que la mesure ordinaire, qu'on accordait aux religieux dans les grandes occasions.

    Salle où l'on reçoit les hôtes dans quelques communautés.

    Demander miséricorde, se dit de l'acte du prieur qui déclare qu'il désire être déchargé du soin de la communauté.

  • 9 Terme de liturgie. Nom du 2e dimanche après Pâques, dont l'introït commence par le mot misericordia.
  • 10Religieuses de Notre-Dame de la Miséricorde, ordre fondé en 1637 pour les filles de qualité peu fortunées.
  • 11 Terme de marine. Ancre de miséricorde, vieux nom de la maîtresse ancre.

    PROVERBE

    À tout péché miséricorde, c'est-à-dire il faut pardonner les fautes, quelque graves qu'elles puissent être.

HISTORIQUE

XIIe s. Est nuls remés [resté] del lignage Saül, ke je li face la misericorde nostre Seigneur ? Rois, p. 149.

XIIIe s. Misericorde est une vertus par cui li corages est esmeuz sor les mesaises et sor la poureté des tormentés, Latini, Trésor, p. 434. Quiconques portera coutel à pointe u courte espachele u misericorde ou tele arme meurtrissoire…, Tailliar, Recueil, p. 38. Il fet oevre de misericorde de rapeler tex [telles] manieres de banissemens, Beaumanoir, LXI, 24. Ne nus [nul] testamens ne doit mie estre fes selonc crualté, mais selonc misericorde, Beaumanoir, XII, 55. Si refaisomes ceste acorde ; De pecheor misericorde, Ren. 1814. Ne nous fions pas tant en sa misericorde [de Dieu], Que nous n'aions paour de sa juste discorde, J. de Meung, Test. 263.

XVe s. Philippe d'Artevelle ordonna que chacun se confessast et adressast à son loyal pouvoir ; et se missent en estat deu, ainsi que gens qui attendent la grace et la misericorde de Dieu, Froissart, II, II, 154.

XVIe s. Chef belliqueux plein de misericorde, Marot, J. V, 58. Il me respondit : Ha ! monsieur, à pecheur misericorde. Alors la rage me print plus que devant, et luy dis : Meschant, veux-tu que j'aye misericorde de toy, et tu n'as pas respecté ton roy ? Montluc, Mémoires, V.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. espagn. et ital. misericordia ; du lat. misericordia, qui vient de misereo, avoir pitié, et cor, cordis, cœur.