« périr », définition dans le dictionnaire Littré

périr

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

périr

(pé-rir) v. n.
  • 1Prendre fin. Elle [Mme de Soubise] avait une de ses dents du devant de la bouche un peu endommagée ; ma foi, elle a péri, Sévigné, 21 oct. 1676. Lui [Dieu], aux yeux de qui rien ne se perd… verra-t-il périr sans ressource ce qu'il a fait capable de le connaître et de l'aimer ? Bossuet, Duch. d'Orl. Les corps peuvent donc changer, mais ils ne peuvent pas périr, Malebranche, Rech. vér. IV, 2. Il est trop clair par l'expérience, que Dieu a fait des machines pour être détruites ; nous sommes l'ouvrage de sa sagesse, et nous périssons ; pourquoi n'en serait-il pas de même du monde ? Malebranche, Phil. Newt. I, 6.

    Fig. J'ai de l'ambition, mais plus noble et plus belle : Cette grandeur périt, j'en veux une immortelle, Corneille, Poly. IV, 3. Le psalmiste a dit qu'à la mort périront toutes nos pensées, Bossuet, Duch. d'Orl.

  • 2Être détruit, en parlant d'un pays, d'un royaume, d'un prince, etc. Que s'il se trouve quelque province ou quelque ville qui ne veuille point prendre part à cette fête solennelle, nous voulons qu'elle périsse par le fer et par le feu, Sacy, Bible, Esther, XVI, 24. Mithridate n'aurait point péri, si, dans les prospérités, le roi voluptueux et barbare n'avait pas détruit ce que, dans la mauvaise fortune, avait fait le grand prince, Montesquieu, Esp. XXI, 12.
  • 3En parlant des personnes, mourir, avec l'idée que la fin est prématurée ou violente. Il est beau de périr pour éviter un crime, Corneille, Attila, IV, 6. Vous périssez d'un mal que vous dissimulez, Racine, Phèdre, I, 1. Souvenez-vous que celui qui commande doit être le modèle de tous les autres… ne craignez donc aucun danger, ô Télémaque, et périssez dans les combats plutôt que de faire douter de votre courage, Fénelon, Tél. XI. Il y périt [dans le Languedoc, lors de la révocation de l'édit de Nantes] près de cent mille hommes, dont dix mille moururent par la corde, par la roue ou par le feu, sous l'administration de l'intendant Lamoignon-Bâville, Voltaire, Mél. hist. Observ. sur les mém. de Noailles. C'est après l'hiver et au commencement de la nouvelle saison que les hommes, comme les plantes, périssent en plus grand nombre, Buffon, Prob. de la vie, Œuv. t. x, p. 514. Il est prouvé par des registres d'une autorité certaine que, depuis 1714 jusqu'en 1776, il a péri [à Batavia], dans l'hôpital seulement, 87000 matelots ou soldats, Raynal, Hist. phil. II, 19.

    Par exagération. Périr d'ennui, en être excédé, y succomber.

    À périr, de la façon la plus ennuyeuse du monde. Notre maître est sombre à périr, Beaumarchais, Mère coupable, III, 1. Je vous ai beaucoup d'obligation de me retirer de cette Allemagne où je m'ennuyais à périr, Staël, Corinne, I, 3.

  • 4 Terme de dévotion. Se damner, mourir de la mort spirituelle Il entra dans le monde avec tout ce qu'il faut pour y plaire et pour y périr, Massillon, Or. fun. Conti. Tant de victimes infortunées renoncent à la pudeur pour servir à vos plaisirs, et viennent sur des théâtres criminels chanter des passions pour flatter les vôtres, périr pour vous plaire, Massillon, Pet. carême, Vices et vert. des grands.
  • 5 Terme de marine. Se dit d'un navire qui est détruit et démoli dans un naufrage, ou qui a sombré en mer et dont la perte est complète. Un navire périt corps et biens lorsque, de son équipage, de son chargement, de ses agrès, rien n'échappe.
  • 6Tomber en ruine, en décadence, en parlant des choses. Les maisons inhabitées périssent plus promptement que les autres.

    Fig. La liberté périt par la licence. Cette branche de commerce a péri. Votre bon droit ne peut jamais périr, Sévigné, 30 juin 1681. Tout l'État périssant n'a pu t'encourager ! Racine, Alex. III, 2. Tout pouvoir, en un mot, périt par l'indulgence, Voltaire, Alz. I, 1.

    Être effacé, anéanti. Je conserve le sang qu'elle veut voir périr, Corneille, Cinna, III, 1. Je [Épaminondas] ne compte point mourir sans enfants ; Leuctres et Mantinée sont pour moi deux filles illustres qui ne laisseront point périr mon nom, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. v, p. 445, dans POUGENS. [ô Dieu] J'ai vu tomber ton temple et périr ta mémoire, Voltaire, Zaïre, II, 3. Le nom de mon époux… a donc péri pour vous ! Voltaire, Mérope, I, 2. L'esprit qui l'anima ne périra jamais, Voltaire, Orphel. IV, 4.

  • 7Il se dit en un sens vague de ce qui cesse d'avoir son effet, de valoir. Le jour que je vis périr dans ce nuage épais le soleil qui avait brillé tout le jour, Sévigné, 18 janv. 1690. Je vois le bon usage que vous faites de ce conte… il est vrai qu'il périt entièrement entre mes mains ; vous l'avez ressuscité, ma chère belle, et vous l'avez fort bien appliqué, Sévigné, 30 mars 1689. Ce qui n'est que noble et fier, ce qui ne demande qu'une voix sonore et assurée périt absolument dans sa bouche [de Lekain], Voltaire, Lett. d'Argental, 2 avr. 1755.

    Être inutilement dépensé. Sauvez quelque chose de l'excessive dépense …ayez une vue générale de ne rien laisser périr, et de ne vous relâcher sur rien, Sévigné, 6 avril 1672.

  • 8 En termes de jurisprudence. Synonyme de périmer. Il a laissé périr son appel.
  • 9 Par imprécation. Périsse mon amour, périsse mon espoir, Plutôt que de ma main parte un crime si noir ! Corneille, Cinna, III, 3. Périsse le Troyen auteur de nos alarmes ! Racine, Iphig. II, 3. Périssent enfin ces jalousies fatales qui rendent les hommes ennemis des hommes ! que le sang humain, ce sang qui souille toujours la terre, soit épargné ! Montesquieu, Disc. récept. Acad. fr.
  • 10Périr, construit d'ordinaire avec l'auxiliaire avoir, se construit aussi avec être. Et ce cheval ailé fût péri mille fois, Avant que de voler sous un indigne poids, Corneille, Androm. III, 4. Ainsi est péri devant nos yeux cet homme si aimable et si illustre [le cardinal de Retz], Sévigné, 25 août 1679. L'héritage promis à Jésus-Christ était péri et ses promesses anéanties, Bossuet, Var. 15. Que si l'État [juif] à la fin était péri sous ces rois qui avaient abandonné Dieu, Bossuet, 5e avert. 48. Ne cherchez plus, ni votre père qui doit être péri dans les flots… ni votre mère…, Fénelon, Tél. XX. Mes espérances sont péries, moi-même je me sens périr, Fénelon, t. XXI, p. 304. Des organes qui sont péris faute de pouvoir se conserver, Rousseau, Ém. IV. Si, au moment de la vente, la chose vendue était périe en totalité, la vente serait nulle, Code Nap. art. 1601.

    Avec l'auxiliaire être, périr exprime plus particulièrement l'état ; mais cette nuance n'est pas toujours observée.

HISTORIQUE

XIIe s. Li peccheür periront, Liber psalm. p. 48. Beaus services ne sera jà peris à fin amant qui en bon lieu l'emploie, Couci, p. 124. D'un seul mesfait ne deit nuls huem [nul homme] dous feiz [deux fois] perir ; Quant li clers pert sun ordre, nel puet hum plus hunir, Th. le mart. 28.

XIIIe s. Ha, seigneur, pour Dieu, ne perissons mie la grant honeur que nostre sire nous a faite, Villehardouin, LXXXIX. Un an enter e plus [il] langui ; Trestuz le tenent à peri, Lai del desiré. [Les avares]… les povres dehors regardent De froit trembler, de fain perir, la Rose, 5142. Cil qui en est ferus [de l'épée spirituelle] est peris en l'ame espirituelment, Beaumanoir, XLVI, 11. Se je proeve l'une de ces choses, le [la] querele est perie au demandeur, Beaumanoir, LXI, 18. Sire, ces seigneurs qui ci sont, arcevesques, evesques, m'ont dit que je vous deisse que la crestienté se perit entre vos mains, Joinville, 200. À l'aler que nous feismes outre mer, une nef en semblable fait avoit esté perie, Joinville, 192.

XIVe s. C'est li hons qui nul bien ne fait, Ne em parolle ne en fait ; Mais tous boins fruis en li perist, Jean de Condé, t. II, p. 88.

XVIe s. Saint Paul nous advertit d'estre pelerins au monde, à ce que l'heritage des cieux ne nous perisse [ne se perde pas pour nous], Calvin, Inst. 541. Ne laissons perir l'occasion : empoignons la vistement, Lanoue, 39. Toute humanité estant perie en eux, il ne font pas moins de ravage dans leur propre pays, Lanoue, 13. Cespetites chenilles noires, appellées babotes, perissent la luzerne, la faisant dessecher, De Serres, 273.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. perir ; espagn. perecer ; ital. perire ; du lat. perire, de per, et ire, aller.