« ténèbres », définition dans le dictionnaire Littré

ténèbres

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ténèbres

(té-nè-br') s. f. pl.
  • 1Obscurité, absence de lumière. Ô combien d'actions, combien d'exploits célèbres Sont demeurés sans gloire au milieu des ténèbres ! Corneille, le Cid, IV, 3. Étendez votre main vers le ciel, et qu'il se forme sur la terre de l'Égypte des ténèbres si épaisses qu'elles soient palpables, Sacy, Bible, Exode, x, 21. Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux funèbres De ces murs désertés habitent les ténèbres, Boileau, Lutr. III. Le fils d'Ulysse, l'épée à la main, s'enfonce dans ces ténèbres horribles [de l'enfer], Fénelon, Tél. XVIII. Mon penchant naturel est d'avoir peur des ténèbres, Rousseau, Confess. X. Je ne sens rien là de ces ténèbres visibles avec lesquelles la lumière se mêle, et qu'elle rend presque lumineuses, Diderot, Salon de 1767, Œuv. t. XIV, p. 454, dans POUGENS.
  • 2Obscurcissement de la vue, qui se manifeste dans les défaillances. D'épaisses ténèbres lui couvrent les yeux ; les mains lâchent les rênes ; il tombe de son cheval, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VII, p. 424, dans POUGENS.

    Les ténèbres de la mort, l'obscurité qui s'empare du mourant. Aussitôt ses beaux yeux noirs s'éteignirent et furent couverts des ténèbres de la mort, Fénelon, Tél. XX.

  • 3 En termes de l'Écriture, la sombre malfaisance des démons. Les temps de trouble arrivaient ; c'était l'heure de la puissance des ténèbres ; les apôtres étaient déjà comme au milieu de ces troubles, Bossuet, Méd. sur l'Év. la Cène, 78e jour. Ces esprits lumineux [les anges tombés] devinrent esprits de ténèbres, Bossuet, Hist. II, 1. Qu'a fait le démon, ce prince des ténèbres, ennemi de Dieu et jaloux de sa gloire ? Bourdaloue, Myst. Pent. t. I, p. 444. Et l'enfer, couvrant tout de ses vapeurs funèbres, Sur les yeux les plus saints a jeté ses ténèbres, Racine, Esth. Prol.

    Fig. Œuvre de ténèbres, œuvre aussi méchante que les œuvres du diable, Cet ouvrage de ténèbres [Histoire du ministère du cardinal de Richelieu], plus flétri sans doute par le mépris public que par l'arrêt qui le condamne, Voltaire, Mensonges impr. test. Richel. IX. Cette production de ténèbres est l'ouvrage ou d'un diable en trois personnes ou d'une personne en trois diables, D'Alembert, Lett. à Voltaire, 10 oct. 1764.

    J. J. Rousseau a dit dans un sens analogue : L'immense édifice de ténèbres qu'ils ont élevé autour de lui, ne suffit pas pour les rassurer, 3e dial.

  • 4Dans le langage biblique, les ténèbres extérieures, la perdition, la damnation. Liez-lui les pieds et les mains, dit le roi [dans la parabole de l'Évangile], ôtez-lui la liberté dont il a fait un si mauvais usage, jetez-le dans les ténèbres extérieures, Bossuet, Méd. sur l'Évang. La dern. sem. du Sauveur, 34e jour. Ah ! si le serviteur inutile est jeté dans les ténèbres extérieures…, Massillon, Avent, Jugem. univ.
  • 5 Fig. Ce qui est comparé aux ténèbres. Prenez garde que Dieu ne vous laisse dans les ténèbres, Pascal, Prov. II. Jésus-Christ même se voyait contraint de chercher d'autres voiles et d'autres ténèbres que ces voiles et ces ténèbres mystiques dont il se couvre volontairement dans l'eucharistie, Bossuet, Reine d'Anglet. Ce fait nous montre de quelles ténèbres la prétendue sagesse des païens était accompagnée, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. III, p. 311, dans POUGENS. Comme le monde entier est dans l'erreur et dans les ténèbres sur les devoirs de la foi, Massillon, Carême, Inconstance. L'homme plein de ténèbres et de passions depuis le péché, Massillon, Carême, tiéd. 1. Des systèmes établis dans des temps de ténèbres doivent disparaître dans notre siècle, Voltaire, Lett. Prost de Royer, 1er oct. 1763. Il [Fréret] avait fait dans les langues orientales et dans les ténèbres de l'antiquité autant de progrès qu'on en peut faire, Voltaire, Mél. litt. Lett. au prince de ***, 7, Fréret. Ténèbres de l'entendement humain, quelle main téméraire osa toucher à votre voile ? Rousseau, Ém. III. Souvent aussi cette lumière de l'Église [Bossuet] porte la clarté dans les discussions de la plus haute métaphysique ou de la théologie la plus sublime ; rien ne lui est ténèbres, Chateaubriand, Génie, III, IV, 4.
  • 6Dans la liturgie catholique, matines qui se chantent l'après-dînée du mercredi, du jeudi et du vendredi de la semaine sainte (il s'écrit avec une majuscule). J'ai trouvé de la douceur dans la tristesse que j'ai eue ici ; une grande solitude, un grand silence, un office triste, des Ténèbres chantées avec dévotion…, Sévigné, 26 mars 1671. L'autre… Pense être au jeudi saint, croit que l'on dit Ténèbres, Boileau, Lutr. IV. Jeudi saint 19 avril 1685 : à Ténèbres la roi entendit pour la première fois Quare fremuerunt de Lulli, qui fut fort loué, Dangeau, I, 157.

HISTORIQUE

XIe s. Cuntre midi tenebres i a granz, Ch. de Rol. CIX.

XIIe s. De cez tenebres soi vit avironeit li prophetes, Job, p. 469.

XIIIe s. Saint Matheus dit : Se ta lumiere est tenebre, les tenebres de toi que seront ? Latini, Trésor, p. 339. Et par la joie convient lors Que li cuers oblit ses dolors Et les tenebres où il iere [était], la Rose, 2755.

XIVe s. J'estoie toute nue, vous m'avez fait vestir ; Je vivoie en tenebres, fait m'avez esclacir [sic, lisez : esclarir], Guesclin. 8856.

XVe s. Car, ce disoit Socrate, la pensée des mortels est enveloppée de très espaisses tenebres, Bouciq. IV, 3.

XVIe s. La tenebre obscure, Marot, J. v, 295. Toute l'eaue de la mer ne seroit suffisante à effacer ceste tache, ne toutes les tenebres du monde pour la cacher, Du Bellay, M. 227. Tout ainsi que la lumiere Les tenebres devant soy chasse, Tout ainsi doulx regart defface Les tenebres où le cueur gist, Palsgrave, p. 877.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. tenebras ; espagn. tinieblas ; ital. tenebra, tenebria ; du lat. tenebræ. L'ancienne langue avait formé un substantif tenebror, beaucoup plus usité que ténèbres. Tenebræ est rattaché par les étymologistes au sanscr. tamas, obscurité, avec m changé en n à cause du b suivant.