« vaincre », définition dans le dictionnaire Littré

vaincre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

vaincre

(vin-kr'), je vaincs, tu vaincs, il vainc, nous vainquons, vous vainquez, ils vainquent ; je vainquais, nous vainquions ; je vaincrai ; je vaincrais ; je vainquis, nous vainquîmes ; vaincs, vainquons, vainquez ; que je vainque, que nous vainquions ; que je vainquisse ; vainquant, vaincu v. a.
  • 1Remporter à la guerre un grand avantage sur les ennemis. S'il [César] les vainc [ses ennemis], s'il parvient où son désir aspire, Corneille, Pomp. II, 4. Ceux que ni les armes n'avaient pu vaincre ni les conseils ramener, sont revenus tout à coup d'eux-mêmes, Bossuet, Reine d'Anglet. Malgré le mauvais succès de ses armes infortunées, si on a pu le vaincre [Charles Ier], on n'a pu le forcer, Bossuet, ib. Il tenait pour maxime qu'un habile capitaine peut bien être vaincu, mais qu'il ne lui est pas permis d'être surpris, Bossuet, Louis de Bourbon. Annibal l'a prédit, croyons-en ce grand homme : Jamais on ne vaincra les Romains que dans Rome, Racine, Mithr. III, 1. Allons au Capitole remercier les dieux de ce qu'en un jour semblable à celui-ci, je [Scipion] vainquis Annibal et les Carthaginois, Fénelon, Dial. des morts anc. Dial. 35. [Peuples] qui n'ont rien à perdre si vous les vainquez, et tout à gagner s'il vous vainquent, Rollin, Hist. nat. Œuv. t. II, p. 127, dans POUGENS. C'était le mot du sire de Coucy au roi Charles V, que les Anglais ne sont jamais si faibles ni si aisés à vaincre que chez eux ; c'est ce qu'on disait des Romains : c'est ce qu'éprouvèrent les Carthaginois, Montesquieu, Esp. IX, 7.

    Absolument. À vaincre sans péril on triomphe sans gloire, Corneille, Cid, II, 2. Tu sais vaincre, disait un brave Africain au plus rusé capitaine qui fut jamais, tu ne sais pas user de ta victoire, Bossuet, Reine d'Anglet. Il chasse l'ennemi, il vainc sur mer, il vainc sur terre, La Bruyère, XII.

    Fig. Je suis vaincu du temps, je cède à ses outrages, Malherbe, II, 12.

  • 2Avoir l'avantage sur ses concurrents. Vaincre à la course. Vaincre dans la dispute. Toute l'assemblée avoua que j'avais vaincu [dans une interprétation] le sage Lesbien ; et les vieillards déclarèrent que j'avais rencontré le vrai sens de Minos, Fénelon, Tél. v. Vers la soixantième olympiade, 540 ans avant Jésus-Christ, Pindare fut vaincu cinq fois par Corinne, Condillac, Hist. anc. IV, 5.
  • 3Surpasser, quand il s'agit d'une sorte d'émulation entre les personnes. …Me vaincre en générosité, Corneille, Pomp. IV, 4. Il [Omphis] fit de magnifiques présents à Alexandre, qui ne se laissa pas vaincre en générosité, Rollin, Hist. anc. Œuv. t. VI, p. 496, dans POUGENS.
  • 4Surmonter, venir à bout de. Il a vaincu tous les obstacles. Voilà les ennemis [la révolte, l'hérésie] que la reine a eu à combattre, et que ni sa prudence ni sa douceur ni sa fermeté n'ont pu vaincre, Bossuet, Reine d'Anglet. Un moment a vaincu mon audace imprudente, Racine, Phèdre, II, 2. Vous aimez ; on ne peut vaincre sa destinée, Racine, ib. IV, 6.

    Absolument. On ne vainc qu'en combattant, Rotrou, St Gen. v, 1. Il ne conviendrait pas que ces messieurs vainquissent par une femme, Maintenon, Lett. au duc de Noailles, t. v, p. 249, dans POUGENS.

    En amour. Près du sexe tu vins, tu vis et tu vainquis ; Que ton sort est heureux ! allons, saute, marquis ! Regnard, le Joueur, IV, 10.

  • 5Il se dit des sentiments, des passions dont on triomphe. Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère, Corneille, Cinna, v, 3. Elle gémissait dans son incrédulité qu'elle n'avait pas la force de vaincre, Bossuet, Anne de Gonz. Et qu'un héros vainqueur de tant de nations Saurait bien tôt ou tard vaincre ses passions, Racine, Bérén. II, 2.
  • 6Se laisser vaincre, se laisser toucher, fléchir. Se laisser vaincre à la pitié. Ce cœur se laisse vaincre aux vœux que j'ai formés, Corneille, Tois. d'or, Prol. sc. 1. Sensible jusqu'à la fin à la tendresse des siens, il [Condé mourant] ne s'y laissa jamais vaincre, et au contraire il craignait toujours de trop donner à la nature, Bossuet, Louis de Bourbon.
  • 7Vaincre un cheval, le dompter.
  • 8Se vaincre, v. réfl. Maîtriser ses passions, ses sentiments. Domitian : Qui se vainc une fois peut se vaincre toujours… - Tite : Qui se vainc une fois sait bien ce qu'il en coûte, Corneille, Tite et Bérén. II, 2. Faisons-nous violence, et vainquons-nous d'abord ; Tout deviendra facile après ce grand effort, Corneille, Imit. I, 11. Il mettait la grandeur non à s'élever, mais à se vaincre, à ne faire rien de bas, Fénelon, Tél. XII.

REMARQUE

De l'amour aisément on ne vainc pas les charmes : je n'insiste pas sur ce mot vainc, qui ne doit jamais entrer dans les vers, ni même dans la prose ; on doit éviter tous les mots dont le son est désagréable, et qui ne sont qu'un reste de l'ancienne barbarie, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Ariane, IV, 4. Le fait est que vainc est peu usité ; mais Voltaire est tellement aveuglé par la prévention et par son idée d'une prétendue barbarie, qu'il déclare désagréable un son contre lequel il n'a aucune objection dans vin, vain, vingt, vint.

HISTORIQUE

Xe s. Voldrent la veintre li deo inimi [les ennemis de Dieu], Eulalie.

XIe s. Li reis Marsile est de guere vencud, Ch. de Rol. XVI. Mais ço ne set li quels veint, ne quels nun, ib. CLXXXII. À icest colp est li esturs vencut, ib. CCLXXXVIII. Quant Tierris ad vencue sa bataille, ib. CCLXXXIV.

XIIe s. Si vainquerons, que Jhesus nous aïe, Ronc. p. 136. Pour voir [vrai] vous di que rois Charles vaincra, ib. p. 138. Vainque pitiez, douce dame, et Amors, Couci, VII. S'amours ne vaint raison, j'i doi faillir, ib. VIII. Quant veit li reis Henris que veincre nel purra [Thomas de Canterbury], Ne que les clercs forfaiz desfaire ne lerra, Mult durement vers lui en ire s'enflambla, Th. le mart. 28.

XIIIe s. Par l'aide de Dieu, si avint que les vainquirent li Franc et desconfirent, Villehardouin, CXXXII. Bien m'avez reschaufée et moult bien repeüe ; Grant mestier [besoin] en avoie, toute estoie vaincue, Berte, LII. Ainsinc sunt ars avant venues, Car tutes choses sunt veincues Par travail, par povreté dure, la Rose, 20376. Et par ce dit on : convenence loi vaint, exceptées les convenances qui sont fetes par malveses causes, Beaumanoir, XXXIV, 2.

XIVe s. Concupiscences teles que plusieurs ne les pourroient vainquir, Oresme, Eth. 218. Mal vaint qui se repent de sa victoire, Ménagier, I, 9.

XVIe s. Le vaincre par force est moins glorieux que par…, Montaigne, I, 24. Le vray vaincre a pour son roolle l'estour, non pas le salut, Montaigne, I, 244. Le françoys ne se vainc que par le françoys mesme, Sat. Mén. p. 212. À la fin vaincu de la honte et du deshonneur que ce luy estoit, Amyot, Cat. d'Utiq. 45. Caesar ne faisoit pas grande chose, ains estoit Antonius qui vainquoit tousjours, Amyot, Anton. 25.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. vencer, venser ; espagn. vencer ; ital. vincere ; du lat. vincere, que les étymologistes rattachent à vincire, lier, vinculuni, lien : vaincre, ce serait enchaîner.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

VAINCRE. - REM. Ajoutez :

2. Corneille a employé tu vaincs : Plus tu vaincs la nature et l'oses maltraiter, Plus cette grâce abonde…, Corneille, Imit. III, 5877. À l'occasion il convient de suivre son exemple.