« épreuve », définition dans le dictionnaire Littré

épreuve

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

épreuve

(é-preu-v') s. f.
  • 1Action d'éprouver, opération à l'aide de laquelle on juge si une chose a la qualité que nous lui croyons. Faire l'épreuve d'une machine nouvelle.

    Fig. Faire l'épreuve d'une chose, en essayer. Assurer par là [par des dévotions à Marie] son salut avec tant de certitude que ceux qui en font l'épreuve n'y ont jamais été trompés, de quelque manière qu'ils aient vécu, quoique nous conseillions de ne laisser pas de bien vivre, Pascal, Prov. 9.

    Faire l'épreuve, signifie aussi recevoir témoignage de, marque de. Un si vaillant disciple aura bien le courage D'en mettre jusqu'au bout les leçons en usage ; L'Asie en fait l'épreuve, Corneille, Nicom. III, 2. La princesse palatine avait les vertus que le monde admire, inébranlable dans ses amitiés, et incapable de manquer aux devoirs humains ; la reine sa sœur en fit l'épreuve dans un temps où leurs cœurs étaient désunis, Bossuet, Anne de Gonz.

  • 2Il se dit au sens moral. La défiance… Ne peut venir d'ailleurs que du manque d'épreuve, Mairet, Sophon. III, 2. De son propre intérêt chacun se fait des lois ; Et l'épreuve m'apprend que du pur artifice Nature, son contraire, aujourd'hui fait l'office, Rotrou, Antig. II, 4. La vraie épreuve du courage N'est que dans le danger que l'on touche du doigt ; Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage, S'enfuit aussitôt qu'il le voit, La Fontaine, Fabl. VI, 2. Il veut faire une dangereuse épreuve de sa liberté, Bossuet, Hist. II, 1. J'ai fait de mon courage une épreuve dernière, Racine, Bérén. v. 7.

    Il se dit aussi en parlant des personnes. Tenter une épreuve sur quelqu'un. Quelquefois l'une des parties présente d'elle-même ses esclaves à cette cruelle épreuve [la question], et elle croit en avoir le droit parce qu'elle en a le pouvoir, Barthélemy, Anach. ch. 18.

    Mettre quelqu'un, quelque chose à l'épreuve, essayer si quelqu'un, quelque chose peut suffire, résister, fournir, etc. Je ne veux point mettre ma vertu à l'épreuve, Sévigné, 277. L'Église d'Espagne fut mise à une nouvelle épreuve, Bossuet, Hist. I, 11. Les dures épreuves où il met sa patience, Bossuet, Anne de Gonz. L'autorité met les talents à une rude épreuve, Fénelon, Tél. XI. Il voulut mettre la patience de Télémaque à une dernière épreuve, Fénelon, ib. XXIV.

    Familièrement. Mettre à l'épreuve la patience de quelqu'un, abuser de sa patience.

    À l'épreuve, après avoir essayé. S'étant choisis l'un et l'autre à l'épreuve, La Fontaine, Cal.

    Acheter quelque chose à l'épreuve, l'acheter à condition qu'on l'essayera avant que la vente soit définitive.

  • 3Être à l'épreuve de, pouvoir résister à. Une cuirasse est à l'épreuve du mousquet ; un manteau est à l'épreuve de la pluie.

    Fig. Mon cœur n'est point à l'épreuve des traits Ni de tant de vertus, ni de tant de bienfaits, Corneille, Pomp. IV, 3. Est-il une constance à l'épreuve du foudre Dont ce cruel arrêt met notre espoir en poudre ? Corneille, Rodog. II, 4. À l'épreuve d'un sceptre il n'est point d'amitié, Corneille, Héracl. I, 3. Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles, Ni les mains à celle de l'or, La Fontaine, Fabl. VIII, 7. Je ne suis pas encore à l'épreuve de tout ce que vous me mandez, Sévigné, 21. Mon discernement est à l'épreuve de toute dissimulation, Bossuet, Lett. abb. 231. Il n'y a presque plus d'amitié qui soit à l'épreuve de la franchise d'un ami, Fléchier, Duc de Mont. Elle ne fut pas à l'épreuve de cette raillerie, Hamilton, Gramm. 10.

    Absolument. Être à l'épreuve, opposer à tout une force invincible de résistance. … Lorsque la prudence à la valeur s'allie, Il n'est rien à l'épreuve, Corneille, Attila, I, 2. Si ma santé n'était pas à l'épreuve, elle serait fort ébranlée, Sévigné, 570.

    À toute épreuve, même sens. Je crois être à toute épreuve là-dessus, Bossuet, Lett. Corn. 47. La soumission doit être à toute épreuve, Bossuet, Avert. 5. On lui attribuait un courage à toute épreuve, Hamilton, Gramm. 6.

  • 4Dans les assemblées délibérantes, épreuve par assis et levé, mode de voter dans lequel ceux qui adoptent, puis ceux qui rejettent se lèvent ; le bureau juge où est la majorité.
  • 5Souffrances, malheurs, dangers, etc. qui éprouvent et qui exigent force et courage. J'ai peine à contempler son grand cœur dans ses dernières épreuves, Bossuet, Duch. d'Orl. Les épreuves par lesquelles ils devaient passer, Bossuet, Hist. II, 6. À quelle épreuve, ô ciel, réduis-tu Mithridate ? Racine, Mithr. IV, 4. On n'essuya jamais des épreuves plus dures, Voltaire, Tancr. v. 3.
  • 6Épreuve judiciaire, manière de décider de la vérité ou de la fausseté d'une accusation, ou même de toute chose en contestation, en usage dans la première partie du moyen âge. Épreuve du feu, de l'eau, de la croix (voy. CROIX, EAU, FEU).
  • 7 Terme d'imprimerie. Feuille d'impression sur laquelle on indique les corrections et les changements que le compositeur doit faire. Ces épreuves sont chargées de corrections. Ce personnage est un vieux licencié qui lit une épreuve d'un livre qu'il a sous la presse, Lesage, Diable boit. 10. Ma méthode étant de travailler toujours sur les épreuves des feuilles, attendu que l'esprit semble plus éclairé quand les yeux sont satisfaits, Voltaire, Lett. Duclos, 1er mai 1761. Je ne suis pas M. de Malesherbes : je n'ai pas, dans mon enthousiasme, corrigé secrètement les épreuves de l'Émile, Villemain, Littér. Tabl. du 18e siècle, 2e partie, 2e leçon.
  • 8 Terme de graveur. Première feuille d'essai d'une planche gravée. Cette épreuve est mal venue.

    Toute estampe tirée après que le travail est entièrement terminé. Épreuve avant la lettre, épreuve après la lettre (voy. LETTRE). Chaque épreuve d'une estampe a ses défauts particuliers qui lui servent de caractère, Rousseau, Héloïse, II, 3.

    Épreuve avec la remarque, celle qui a été tirée avant que l'artiste eût fait disparaître quelque accident, tel qu'une fausse taille.

    Épreuve grise, celle qui a été tirée sur une planche usée.

    Épreuve neigeuse, celle dans laquelle on voit çà et là quelques taches blanches.

  • 9Dans la photographie, épreuve négative, celle qui reproduit le modèle en couleurs inverses, en clair les obscurs, en obscur les clairs : si on veut obtenir une épreuve positive, on applique ce premier dessin négatif sur une autre feuille de papier jouissant de la même propriété, et on expose le tout à la lumière.

HISTORIQUE

XIIIe s. Et quant que l'en [on] a en ceste mortel vie, sueffre nostres sires à avoir por esprueve de l'autre recovrer, Merlin, f° 69, verso. Li rois Aedward le mors [morceau] benoit [bénit], E dist : duoint Deus l'espruf voirs soit [que l'épreuve soit vraie], Edouard le conf. v. 3219.

XIVe s. Les queles [bandes] doivent premierement estre separées du membre en metant une espreuve [sonde] ou semblable entre ce qui est sus la plaie et la plaie ; et o [avec] cele espreuve soit faite separation environ la plaie legierement, H. de Mondeville, f° 41, verso. Une espreuve que l'on met sur la table du roi, De Laborde, Émaux, p. 303.

XVe s. Las ! ils ne me cognoissent mie, Et n'ont pas faict de l'art espreuve, Comme Avicenne et Villeneuve, Nat. à l'alch. errant, 1006. Don à une povre fille, soupçonnée de la maladie de leppre, pour aller aux espreuves en la ville de Soissons, Bibl. des Chartes, 5e série, t. v, p. 139.

XVIe s. Nous en sommes à l'espreuve [nous l'esprouvons], Montaigne, I, 165. Semble elle pas avoir presté sa vie à ceste espreuve de sa patience ? Montaigne, III, 152. Ils ont eu bonne raison de rendre les harnois plus massifs et à meilleure espreuve qu'auparavant, Lanoue, 286. À l'espreuve du pistolet, D'Aubigné, Conf. préf. Quand ils avoyent cuit leur fournée et qu'ils venoyent à tirer mes espreuves, je n'en recevois que honte et perte, Palissy, 313. Pompeius n'estoit point present à ceste espreuve qui se feit de la volunté du senat, Amyot, Pomp. 83. On lui baille [à l'auteur] pour controleur un homme qui prend le tiltre de correcteur, auquel on presente la premiere espreuve… on a recours pour la seconde espreuve à l'autheur, Pasquier, Lettres, t. I, p. 662.

ÉTYMOLOGIE

Voy. ÉPROUVER ; Berry, éprouve ; prov. esproa. La voyelle ou s'est changée en la voyelle eu, comme dans esprouver qui se conjuguait, au présent, j'espreuve, comme trouver, je treuve.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉPREUVE. Ajoutez :
10Liqueur d'épreuve, nom donné à des préparations toxiques que les nègres de l'Afrique tropicale emploient pour connaître si un accusé est coupable ; s'il résiste à l'empoisonnement, il est absous. L'écorce de mancône fournit une de ces liqueurs d'épreuve.

Arbre d'épreuve, au Gabon (Afrique), la fève de Calabar, physostigma venenosum, Baillon, Dict. de bot. p. 247.

11 Terme de turf. Une des manches de la course en parties liées.

REMARQUE

1. On a dit : à toutes épreuves. Avec un esprit sublime, une doctrine universelle, une probité à toutes épreuves, La Bruyère, VIII.

2. En photographie, l'épreuve négative est proprement la première image dans laquelle toutes les positions sont inverses de la réalité.