« couleur », définition dans le dictionnaire Littré

couleur

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

couleur

(kou-leur) s. f.
  • 1Sensation que produit sur l'organe de la vue la lumière diversement réfléchie par les corps. Les couleurs, ainsi que l'a démontré Newton, sont le produit de la décomposition de la lumière. Les couleurs ne sont pas dans les corps colorés, mais dans la lumière ; pour qu'on voie un objet, il faut qu'il soit éclairé, Rousseau, Ess. Orig. des langues, ch. 16.

    Couleurs primitives, les sept couleurs qui se montrent dans la décomposition de la lumière. Couleurs naturelles des corps, celles qui proviennent de la nature des rayons réfléchis ou réfractés par ces corps (ceux qui absorbent tous les rayons du spectre, moins le rayon rouge, qu'ils réfléchissent ou qu'ils laissent passer à travers leur substance, étant d'une couleur rouge, et ainsi de toutes les autres couleurs). Couleurs complémentaires, celles qui reproduisent la couleur blanche en se combinant à une autre couleur ; c'est ainsi que six couleurs du spectre solaire réunies sont toujours complémentaires de la septième couleur avec laquelle elles donnent naissance à la couleur blanche ; dans le système du contraste des couleurs, le mot complémentaire a une autre signification, il sert à indiquer la couleur qui est susceptible d'exhausser le ton d'une autre couleur.

    Juger, parler d'une chose comme un aveugle des couleurs, en parler sans la moindre connaissance.

    Couleur se prend au masculin dans les expressions comme celles-ci : Le couleur de rose, d'or, d'eau, de chair, de citron, etc. Le plumage tire sur le couleur de rose vers la racine, La Fontaine, Psyché, liv. I, p. 13. Leur laine était d'un couleur de feu si vif qu'il éblouissait la vue, La Fontaine, ib. II, p. 179. Je vous trouve les lèvres d'un couleur de feu surprenant, Molière, Impromptu, 3. Après un substantif ces locutions s'emploient comme un adjectif invariable : un ruban couleur de feu ; des souliers couleur de rose.

    Terme de métallurgie. Couleur d'eau, brillant violet du fer bien poli, qui a passé au feu. Fer de couleur, fer qui devient cassant à la couleur rouge cerise. Couleurs de recuit, couleurs qui indiquent le degré de carburation de l'acier.

  • 2Substance ou matière colorante dont on se sert en teinture, peinture, etc. Broyer, étendre des couleurs. Peindre à pleine couleur, peindre avec un pinceau très chargé de couleur. Couleurs amies, celles qui s'assortissent agréablement.

    Terme de peinture. Couleurs légères, celles qui sont comprises sous le blanc, c'est-à-dire sous la dénomination de couleurs blanches. L'outremer est compté parmi les couleurs légères. Couleurs pesantes, celles qui sont comprises sous le noir. Le brun-rouge, la terre d'ombre, le bistre, etc. sont des couleurs pesantes. Couleurs changeantes, celles qui dépendent de la situation des objets à l'égard de la lumière, comme celle des taffetas changeants, de la gorge des pigeons, etc. Couleurs noyées, celles qui s'affaiblissent insensiblement, comme sont celles qui forment les nuances. Couleurs rompues, couleurs trop vives que les peintres affaiblissent par le mélange d'autres plus sombres. Couleur générale, le résultat de l'ensemble des divers objets colorés qui sont dans un tableau.

    Couleur locale, la couleur propre à chaque objet indépendamment de la distribution de la lumière, et, par extension, couleur locale, art de représenter, soit en peinture, soit dans une composition littéraire, soit même dans une composition musicale, certains détails qu'on croit avoir caractérisé un pays, un temps, etc. Le procédé de la couleur locale a été particulièrement mis en usage par l'école romantique.

    Terme de peintre en bâtiment. Couleurs simples, celles qui viennent des végétaux et qui ne peuvent pas souffrir le feu.

    Mettre en couleur, peindre un carreau, un parquet, etc.

    Terme de teinturier. Couleurs matrices, cinq couleurs dont les autres dérivent.

  • 3En parlant des vêtements, toute autre couleur que le blanc et le noir. Elle avait une robe de couleur. Les gens de guerre portent des habits de couleur, les gens d'église en portent de noirs.

    Terme de liturgie. Se dit des ornements de l'Église suivant les fêtes qu'elle célèbre.

    Couleurs de blason ; on en distingue cinq : gueules ou le rouge ; azur ou le bleu ; sinople ou le vert ; sable ou le noir, et le pourpre qui est mélangé de gueules et d'azur. Ces couleurs sont dites émaux.

    Anciennement, livrées. Gens de couleurs, les pages, laquais, cochers et suisses. Cet homme a porté les couleurs, il a été laquais. Comment ! un aumônier portant vos couleurs ? Hamilton, Gramm. 7. Faire par les couleurs distinguer ses valets, Boileau, Sat. V. Tel aujourd'hui triomphe au plus haut de sa roue, Qu'on verrait, de couleurs bizarrement orné, Conduire le carrosse où l'on le voit traîné, Boileau, Sat. I.

    Porter les couleurs d'une dame, porter des couleurs semblables à celles qu'elle affectionne le plus. Je dois vaincre, j'ai de ma belle Et les chiffres et la couleur, Béranger, Charles VII. Aux couleurs, au carrosse il ne doute de rien ; Tout était à Lucrèce…, Corneille, Ment. III, 11. Les couleurs et les chiffres de Mme de Valentinois paraissaient partout, La Fayette, Princ. de Clèves, Œuvres, t. II, p. 1, dans POUGENS. Remettez-moi le soin de finir vos malheurs, J'irai dans les combats vaincre sous vos couleurs, Delavigne, Vêpres sicil. II, 3.

    Fig. Le mal n'a point d'excuse, il n'est espoir, surprise, Intérêt, amitié, faveur, crainte, malheurs, Dont le pouvoir nous autorise à rien faire ou penser qui porte ses couleurs, Corneille, Imit. I, 15.

  • 4Drapeau. Après un assaut acharné, les couleurs françaises flottèrent sur les remparts. Les couleurs nationales. Les trois couleurs, le drapeau ou la cocarde tricolore. … Qui pouvait répondre Que le ciel… N'eût point vu sur la tour de Londre Flotter en fin les trois couleurs ! Béranger, Cocarde. Quand secouerai-je la poussière Qui ternit ses nobles couleurs ? Béranger, Vieux drapeau.

    Terme de marine. Couleurs, s. f. plur. Pavillon, drapeau national.

  • 5 Fig. Caractère propre à telle ou telle opinion. Ses opinions ont complétement changé de couleur. La couleur de ce journal est encore indécise. Prendre couleur, se décider pour un parti politique. M. Judas … soutient avec chaleur Qu'il n'a joué qu'un seul rôle Et n'a pris qu'une couleur, Béranger, Judas.
  • 6Au jeu de cartes, le rouge et le noir, et chacune des quatre marques : pique, trèfle, cœur et carreau. De quelle couleur tourne-t-il ? Je n'ai point de cette couleur.

    Au lansquenet, prendre couleur, entrer au jeu et couper.

    Nommer la couleur, se dit, à l'hombre, pour signifier : faire la triomphe en indiquant la couleur.

    Jeu des trois couleurs, sorte de jeu de hasard que l'on joue avec un plateau et trois dés, portant chacun trois couleurs différentes.

  • 7Le teint, la couleur du visage. Déjà l'étonnement lui fait la couleur blême, Malherbe, I, 12. J'ai couru sur le lieu sans force et sans couleur, Corneille, Cid, II, 9. Est-ce vous, Ladislas, Dont la couleur éteinte et la vue égarée…, Rotrou, Vencesl. IV, 4. Je vous vois sans épée, interdit, sans couleur, Racine, Phèd. II, 6. Néron l'a vu mourir sans changer de couleur, Racine, Brit. V, 7. Vous changez de couleur [vous pâlissez], princesse ! Racine, Ath. V, 4. Son visage changeait à tout moment de couleur, Fénelon, Tél. V. Quelle étrange pâleur De son teint tout à coup efface la couleur ? Racine, Esth. II, 7. Longtemps sans mouvement, sans couleur et sans vie, Voltaire, Orphel. II, 7.

    Être haut en couleur, avoir la figure très colorée. La femme d'Harlay était extrêmement grosse et très haute en couleur, Saint-Simon, 37, 51. M. le duc d'Orléans était de taille médiocre au plus, fort plein sans être gros, l'air et le port aisé et fort noble, le visage large et agréable, fort haut en couleur, le poil noir et la perruque de même, Saint-Simon, 390, 2. Cunégonde était haute en couleur, fraîche, grasse, Voltaire, Cand. 1.

    Reprendre couleur, perdre sa pâleur, revenir à la vie ; et fig. rentrer en faveur, reparaître dans le monde.

    Un homme, une femme de couleur, un mulâtre, une mulâtre. Les gens de couleur.

    Terme de médecine. Les pâles couleurs, la chlorose. Les filles malades des pâles couleurs se croyaient possédées, Voltaire, Phil. V, 358.

  • 8 Terme de rôtisseur et de boulanger. Qualité colorée qu'on donne à la viande et au pain, par le moyen du feu. Ce rôti, ce pain a pris couleur.

    Fig. L'affaire prend couleur, tourne à bien, commence à bien aller. L'affaire du quiétisme, qui dormait un peu à la congrégation du saint-office, reprit couleur, et couleur qui commença à devenir fort louche pour M. de Cambrai, Saint-Simon, 56, 189.

  • 9Coloris, en parlant d'un tableau. Ce tableau est d'une bonne couleur.

    Terme de gravure. Cette estampe est d'une belle couleur, on y reconnaît la couleur du tableau.

    Fig. C'est à monseigneur à mettre la dernière couleur, Sévigné, 408.

  • 10Éclat, brillant du style. Son style a une couleur brillante. Ce morceau manque de couleur.

    Expressions considérées en tant qu'elles peignent. Mais je ne trouve pas de couleurs assez noires Pour en représenter les tragiques histoires, Corneille, Cinna, I, 3. Toutes les langues ont les couleurs entières de l'expression et n'ont pas les mêmes nuances, Marmontel, Élém. litt. Œuvres, t. X, p. 270, dans POUGENS.

    Terme de musique. Couleurs des sons, se dit quelquefois pour timbre.

  • 11Certain caractère des choses. Aux yeux du mélancolique, tout revêt de sombres couleurs. Voir tout couleur de rose, voir tout en beau. Ainsi nous séduisant d'une fausse couleur, Régnier, Sat. XI. Il m'a rendu ma gloire et préservé mon front Des infâmes couleurs d'un si mortel affront, Corneille, Théodore, IV, 6. Voilà de quelle couleur sont les réflexions d'une personne de mon âge, Sévigné, 182.

    Familièrement. J'ai fort causé avec Corbinelli, il est charmé du cardinal ; il n'a jamais vu une âme de cette couleur ; celles des anciens Romains en avaient quelque chose, Sévigné, 337.

    Je ne sais de quelle couleur est son argent, c'est-à-dire il ne m'a pas payé ce qu'il me devait, il ne m'a pas fait les gratifications qu'il était convenable qu'il me fît.

    On dit dans ce même sens : depuis huit jours je ne connais pas la couleur de ses paroles, il ne m'a parlé depuis huit jours.

  • 12Apparence, prétexte, raison palliée. Sous couleur d'aller voir une femme malade, Régnier, Sat. X. Ce traître… Entra dedans mon cœur sous couleur d'amitié, Régnier, Dial. Pour appuyer cette conjecture, on ne manque ni de preuves ni de couleurs, Patru, Plaid. II, dans RICHELET. Vous cherchez, Ptolémée, avecque trop de ruses, De mauvaises couleurs et de froides excuses, Corneille, Pomp. III, 2. Et tout ce qui pourra, sous quelque autre couleur, Autoriser ta haine et flatter ta douleur, Corneille, Héracl. I, 2. Mais si tu veux trahir, trouve du moins, ingrat, De plus belles couleurs dans les raisons d'État, Corneille, Perthar. I, 4. Sous couleur de punir un injuste attentat, Corneille, Cid, IV, 5. Sous une autre couleur lui faire ses adieux, Corneille, Sertor. I, 2. Sous couleur de lui servir d'appui, Le met hors du royaume et me répond de lui, Corneille, Perthar. V, 1. Et trouve occasion dessous cette couleur De venger le mépris qu'on fait de sa valeur, Corneille, D. San. II, 1. Vous ne manquerez jamais d'esprit pour donner de belles couleurs aux fautes que vous pourrez faire, Molière, Comtesse, 1. Sous couleur de changer de l'or que l'on doutait, Molière, l'Étour. II, 7. Leurs injustices [des Romains] étaient d'autant plus dangereuses, qu'ils savaient mieux les couvrir du prétexte spécieux de l'équité, et qu'ils mettaient sous le joug insensiblement les rois et les nations sous couleur de les protéger et de les défendre, Bossuet, Hist. univ. III, 6. S'ils s'en plaignent, c'est avec quelque couleur de justice, Bossuet, Serm. Sept. Des gens qui sachent donner au mensonge de belles couleurs, Bossuet, 1er avert. De quelque couleur qu'il se déguise, Bossuet, III, Pent. 2. On donne de mauvaises couleurs à leurs actions, Bossuet, Pensées, 29. Sous couleur de piété, on ne s'aperçoit pas qu'on veut dominer, Bourdaloue, Avent, Sur l'évang. 418. J'inventai des couleurs, j'armai la calomnie, Racine, Esth. II, 1. Ne prétendrais-tu point, par tes fausses couleurs, Déguiser un amour qui te retient ailleurs ? Racine, Baj. V, 4.

    Populairement, mauvaise raison, mensonge. Quelle couleur ! J'ai deviné la couleur.

  • 13Couleur, nom qu'on donnait, alors que les tulipes faisaient fureur, à celle qui n'était que d'une couleur.

SYNONYME

COULEUR, COLORIS. Proprement, couleur désigne une couleur particulière ; et coloris est l'effet qui résulte de l'ensemble et de l'assortiment des couleurs. Coloris ne peut pas se prendre pour couleur ; mais couleur peut se prendre pour coloris, couleur étant le terme générique et répondant à la sensation pure. Coloris est proprement un terme de peinture ; il se dit, au propre, de l'effet produit par la couleur dans un tableau, et, par extension, de la couleur du visage, de celle de quelques fruits et de celle du style.

HISTORIQUE

XIe s. Li reis Marsiles ad la culur muée, Ch. de Rol. XXXIII.

XIIe s. [Ils font] Engin de mainte color [espèce], Pour tourner joie en tristor, Couci, I. Bele Erembors à la fenestre, au jor, Sur ses genous tient paile de color, Romancero, p. 49.

XIIIe s. La colors n'estoit pas en semblance de choe [chouette], Berte, XXXIII. Quant li rois l'entendi, color [il] prit à muer, ib. CXII. Li bateurs d'estain puet taindre son estain de toutes manieres de couleurs, Liv. des mét. 76. Il iert biaus, et ele bele ; Bien resembloit rose novele De sa color…, la Rose, 843. Se leur messe [des ordres mendiants] vaut quatre, il ont bone couleur De dire que leur messe soit de greignor valeur, J. de Meung, Test. 996.

XIVe s. Ce que il dit eust aucune couleur, mais comme pourroit il coulourer son dit ? Oresme, Eth. 296.

XVe s. … Bon serviteur Sans couleur Vous a esté vrayement, Orléans, Requête à Cupidon. Lors quant de nous approucher je le vy, Couleur changay…, Orléans, 1. Combien que nous avons couleur de penser que le mareschal, comme dict est, en soit cause, Bouciq. Hist. III, ch. 5. Et fust ceste guerre depuis appellée le bien publique, pource qu'elle s'entreprenoit soubz couleur de dire que c'estoit pour le bien publique du royaulme, Commines, I, 2. La plus part [des églises] furent pillées soubz umbre et couleur de prendre des prisonniers, Commines, II, 13. Ce qu'ilz font et la couleur qu'ils veulent prendre en leurs lectres n'est que pour parvenir à leurs fins, Lettre de Charles VIII, Bulletin du comité de la langue, t. III, p. 587.

XVIe s. Ils desgorgent toutes les vilenies qu'ils peuvent contre nous, pensans avoir belle couleur de nous blasmer, en ce que…, Calvin, Instit. 145. Des peuples surprins soubs couleur d'amitié et de bonne foi, Montaigne, III, 6. Soubs couleur de quelque meurtre, il lui feit trencher…, Montaigne, I, 38. J'en ay veu engloutir du sable pour acquerir les pasles couleurs, Montaigne, I, 308. À quoy faire la provision des couleurs à qui ne sçait ce qu'il a à peindre ? Montaigne, II, 9. Cela donna occasion à Mago de souspeçonner quelque trahison, avec ce qu'il ne demandoit que quelque couleur pour s'en aller, Amyot, Timol. 30. Soubs couleur de faire ses preparatifs, et dilayant toujours, Amyot, Pélop. 53. De meschantes robbes rappiecées de drap de couleur, Amyot, Agésil. 49. Caesar changea sur l'heure de plusieurs couleurs, monstrant evidemment à la face qu'il sentoit toutes sortes de mouvemens en son cueur, Amyot, Cicéron, 50. Maintenant il nous faut traiter des palles couleurs, Paré, XVIII, 70. Or convient il de parler des exornations ou figures que l'on dict couleurs de rhetorique, Fabri, Art de rhétor. f° 84, dans LACURNE.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. quelou ; provenç. et espagn. color ; portug. cor ; ital. colore ; du latin colorem.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

COULEUR. Ajoutez :
14 Terme de turf. Les couleurs, couleur de l'ensemble du costume porté par le jockey d'une écurie. Chaque écurie de course a ses couleurs particulières.
15 Terme de mine. La couleur, la teinte des résidus de lavage qui indique qu'un minerai contient de l'or. Ces essais, opérés grossièrement dans une calebasse, donnèrent la couleur, c'est-à-dire que le résidu des lavages contenait quelques parcelles d'or, Journ. offic. 28 fév. 1875, p. 1532, 2e col.