« dommage », définition dans le dictionnaire Littré

dommage

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

dommage

(do-ma-j') s. m.
  • 1Préjudice ou dégât causé à quelqu'un, à quelque chose. Réparer un dommage. Les dommages faits par la grêle sont grands. Et ce n'est qu'à dessein de pourvoir aux dommages Que du Vésuve ardent ont causés les ravages, Corneille, Tite et Bér. IV, 1. En considérant le dommage que l'État en recevrait, Pascal, Prov. 13. Bon gentilhomme et qui, dans son courroux, N'avait encor tonné que sur les choux, Plus ne savait apporter de dommage, La Fontaine, Papef. Tous délais y font du dommage, La Fontaine, Nic.

    Perte. Ils mirent en commun le gain et le dommage, La Fontaine, Fab. I, 6.

  • 2 Fig. À son dommage, c'est-à-dire en souffrant un mal, un tort, une perte. Ces arrogants, à leur dommage, Apprendront un autre langage, Malherbe, VI, 8. Croire en voyant son visage Que le ciel l'ait formé si beau pour mon dommage, Régnier, Élég. I.
  • 3C'est dommage, c'est bien dommage, c'est grand dommage, quel dommage ! manières d'exprimer ce que certaines choses ont de fâcheux, de regrettable. C'est dommage que ce livre-là ait été condamné à Rome, Pascal, Prov. 4. Rien ne resta qu'une ferme au pauvre homme, Et peu d'amis, même amis Dieu sait comme ; Le plus zélé de tous se contenta, Comme chacun, de dire : c'est dommage, La Fontaine, Fauc. C'eût été dommage qu'elle n'eut pas réussi, Hamilton, Gramm. 11. Menager mourut d'apoplexie à Paris, fort riche, sans avoir été marié ; ce fut dommage, pour sa probité, sa modestie, sa capacité, Saint-Simon, 357, 214. Du Héron, dont ce fut grand dommage, fut tué avec 50 officiers et 400 ou 500 hommes, Saint-Simon, 120, 64. C'est bien dommage qu'elle soit devenue si laide, Voltaire, Candide, 27.

    Ironiquement, c'est dommage, c'est vraiment dommage. Il ne m'accuse pas, c'est dommage.

    Dans un autre sens ironique et par une sorte de défi. C'est dommage qu'il ne s'attaque pas à moi, je l'en ferais repentir.

    C'est grand dommage que… il est fort à regretter que… Et tous deux ajoutèrent : c'eût été grand dommage qu'il eût été pendu, Voltaire, Zadig, 7.

    L'Académie, dans ses remarques sur Vaugelas, ne voulait pas qu'on dît : c'est un grand dommage ; mais cela est trop rigoureux. C'était un grand dommage que des hommes si religieux ne fussent pas plus éclairés et ne plaçassent pas mieux leur culte, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. VIII, p. 399, dans LACURNE.

  • 4 Terme de jurisprudence. Dommages et intérêts, ou dommages-intérêts, somme allouée à quelqu'un pour l'indemniser d'un préjudice. Demander des dommages-intérêts. On pouvait après la condamnation payer les dommages et intérêts, Montesquieu, Espr. VI, 19.

    En dommage, c'est-à-dire en causant du dégât. Ce bétail a été trouvé en dommage.

REMARQUE

1. Après c'est dommage que… on met le subjonctif ; cependant la Fontaine a mis l'indicatif : C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré Au conseil de celui que prêche ton curé, La Fontaine, Fabl. IX, 4. Cette licence, qui ne choque ni règle, ni analogie, peut être imitée.

2. Il est dommage que… au lieu de c'est dommage que… a été condamné par Ménage ; cependant ce tour est correct, et, quoique un peu archaïque, pourrait être employé en bonne place.

HISTORIQUE

XIe s. Cil à qui il avrad le damage fait, Lois de Guill. 5. Fust i li reis, n'i eüssions damage, Ch. de Rol. LXXXV. Mout grant domage lui est apareüt, ib. CL. De ceus de France, il fait mult grant damage, ib. CCXLIX.

XIIe s. Grant daumage, Ronc. p. 14. À maint amant [ils] ont fait ire et damage, Couci, XI. Car je n'i voi mon prou ne mon domaige, Quesnes, Romancero, p. 85. Noveles… De duel et de demage et de confusion, Sax. XI. Bien a creü li rois conseil de son damage, ib. XXVI. … Ce seroit trop vilains gens, Qui feroit d'un domage deus, Chrestien de Troyes, dans HOLLAND, p. 269.

XIIIe s. Si lor avint uns grans domages…, Villehardouin, LX. Dont ce fu moult grant damage, quar moult estoient preudome et vaillant durement, Villehardouin, XXI. Et aussi n'entendons noz pas que le baillix doie estre trop soufrans en cose qui porte damace ne despit à son seigneur ne à soi, Beaumanoir, 19. Por ce met on serjans à ses bestes garder que elles ne voisent en damace, ne en forfet, Beaumanoir, XXIX, 4. Garder de damache, Beaumanoir, 70. Grant doumage nous firent au partir, de ce que ils bouterent le feu en la fonde [bazar], là où toutes les marchandises estoient et tout l'avoir de poiz [objets qui se vendent au poids], Joinville, 216. Souspirant pour l'umain lignage, Et penssis [pensif] au cruel domage Qui de jor en jor i avient, Rutebeuf, 100.

XIVe s. Sauf alant, sauf venant, et cessant voz domaige, Girart de Ross. V. 1234.

XVe s. Les soudoyers de Cambrisis eurent congé et accord d'entrer en Hainaut, et d'y faire aucune envaye ou chevauchée au dommage du pays, Froissart, I, I, 100. Et y furent morts messire Jean de Berlette et plusieurs autres, dont ce fut dommage, Froissart, II, II, 225. Avoit donné sa fille en mariage au fils du seigneur de Croy, long temps avoit, et disoit y avoir dommage, Commines, I, 2. D'autres, au contraire, qui veoient brusler et destruyre tout le pays, voulurent paix au dommage de ce que ce fust, Commines, II, 3.

XVIe s. Et à nostre esvident dommage, Montaigne, I, 99. C'est dommage que les gents d'entendement ayment tant la briefveté, Montaigne, I, 169. Les hommes bien souvent portent plus patiemment un dommage qu'ilz ne font une injure, Amyot, Timol. 43. Et luy escrivirent les ephores qu'il eust à marcher incontinent au dommage des Thebains, Amyot, Agésil. 47. Après dommaige chascun est saige, Génin, Récréat. t. II, p. 234. Dommage suit la fausse honte, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 289.

ÉTYMOLOGIE

Berry, demage, d'mage ; bourguig. dommeige ; picard, damage ; anc. espagn. domage. Le provençal damnatge, dampnatge, et l'italien dannaggio viennent d'une forme latine fictive damnaticum, dérivée de damnum, lequel a donné dam (voy. ce mot) ; cela n'est pas douteux. Mais le français offre plus de difficultés ; les formes anciennes sont damage, domage, daumage, demage, damace, damache, doumage. La forme domage est aussi ancienne que la forme damage ; or on sait très bien que l'o latin se change très facilement en a (dame, de domina, etc.) ; mais il arrive très rarement qu'au contraire l'a latin se change en o ; c'est là une première difficulté. On remarquera en outre que l'altération de l'o en e (demage) n'est pas rare ; mais que dans des mots de ce genre l'a s'atténue rarement en e. De plus la finale aticum donne régulièrement age ; mais elle ne donne ni ace ni ache ; or ces deux formes se trouvent dans le XIIIe siècle ; c'est là une seconde difficulté. Enfin une troisième difficulté, c'est que, s'il venait de damnum, on devrait, comme en provençal, trouver quelquefois le mot écrit damnage ; or, l'historique n'en contient aucun exemple. Toutes ces raisons portent à croire qu'on ne peut faire droit à toutes les formes françaises qu'en supposant un thème domacium, domaticum. Mais d'où vient un tel thème ? du latin domare, tourné au sens de causer un tort ? du germanique : anglo-saxon, dom ; anglais, doom, condamnation, ruine, perte ? Cette dernière conjecture paraît avoir quelque probabilité, non sans admettre une influence du provençal damnatge, par assimilation. L'ancien espagnol domage ne se range pas non plus sous damnum.