« goûter », définition dans le dictionnaire Littré

goûter

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

goûter [1]

(goû-té) v. a.
  • 1Sentir par le sens du goût ce qui est savoureux. Il goûte ce qu'il mange.

    Absolument. Il avale sans goûter.

    Se dit aussi des choses dont on ne juge que par l'odorat. Goûtez ce tabac.

  • 2Vérifier la saveur d'une chose, en mettant dans la bouche une petite quantité de cette chose. Le cuisinier n'a pas goûté cette sauce.
  • 3 Fig. Approuver, trouver bon et agréable. J'écoute la raison, j'en goûte les avis, Corneille, Pulch. II, 1. L'époux goûta quelque peu ces raisons, La Fontaine, Rémois. L'âne, qui goûtait fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois…, La Fontaine, Fabl. III, 1. Ils tâchaient de faire goûter leur gouvernement aux peuples, Bossuet, Hist. III, 6. Sa doctrine ne pouvait être goûtée dans un lieu où l'on ne suit que les règles d'une politique mondaine, Bourdaloue, Myst. Pass. de J. C. t. I, p. 178. Le chevalier de Folard espérait faire goûter à ce prince [Charles XII] les nouvelles idées qu'il avait sur la guerre, Voltaire, Charles XII, 8. La comédie est belle et le charme est divin ; Pour moi, j'y goûte fort, car j'aime la nature, Ces héros villageois beaux esprits sous la bure, Gilbert, Le 18e s. Le roi avait de la répugnance à se détacher de Calonne ; il goûtait son travail, Marmontel, Mém. XI. M. Rifador ne paraît pas goûter extrêmement que votre famille vous donne une fête, Picard, Alc. de Molor. III, 3.

    Terme de manége. Goûter la bride, se dit du cheval qui s'accoutume aux effets du mors.

  • 4Faire cas de, avoir du goût pour, en parlant des personnes. Je n'ai pas douté que ce prédicateur ne fût goûté, Bossuet, Lett. abb. 120. C'est un avantage rare à un savant d'être goûté par un prince, et, pour tout dire aussi, c'est un avantage rare à un prince de goûter un savant, Fontenelle, La Hire. Plus M. Fagon vit Mme de Maintenon de près, plus il admira sa vertu et goûta son esprit, Mme de Caylus, Souven. p. 76, dans POUGENS. Louis XIV goûta le caractère de l'abbé Fleury, Mairan, Élog. du card. Fleury. Votre frère entre nous goûte fort cette veuve, Boissy, Deh. tromp. I, 1.

    Terme de dévotion. Goûter Dieu, servir Dieu avec amour. Ils [les actes réduits en formule] ont leur utilité dans ceux qui commencent à goûter Dieu, Bossuet, Ét. d'orais. v, 23.

  • 5Sentir avec plaisir, jouir de. N'épargnez point mon sang, goûtez sans résistance La douceur de ma perte et de votre vengeance, Corneille, Cid, III, 4. Lieux que j'aimais toujours, ne pourrai-je jamais, Loin du monde et du bruit, goûter l'ombre et le frais ? La Fontaine, Fabl. XI, 4. Ainsi est mort le P. Bourgoing ; et voilà qu'étant arrivé à la bienheureuse terre des vivants, il voit et il goûte en la source même combien le Seigneur est doux, Bossuet, Bourgoing. Goûter innocemment le peu de biens que la nature nous donne, Bossuet, Duch. d'Orl. Par moi Jérusalem goûte un calme profond, Racine, Athal. II, 5. … Ces femmes hardies Qui, goûtant dans le crime une tranquille paix…, Racine, Phèd. III, 3. Je goûtais en tremblant ce funeste plaisir, Racine, ib. IV, 6. Il ne put goûter le fruit de sa victoire, Fénelon, Tél. XX. Enfin ma gloire est pure, et je la puis goûter, Voltaire, Sémiram. III, 3. J'ai goûté la vengeance de consoler le roi de Prusse, et cela me suffit, Voltaire, Lett. d'Argental, 10 déc. 1757. Je sais qu'il ne faut pas trop goûter la félicité en présence des malheureux, Voltaire, Dial. 3e. S'il est une petite ville au monde où l'on goûte la douceur de la vie dans un commerce agréable et sûr, c'est Chambéri, Rousseau, Confess. V. Il faut l'amour ou la religion pour goûter la nature, Staël, Corinne, XVIII, 2.

    Par antiphrase. Je veux qu'un noir chagrin à pas lents me consume, Qu'il me fasse à longs traits goûter son amertume, Corneille, Suréna, I, 3. Dieu lui fit goûter [à Moïse] les opprobres de Jésus-Christ ; il les goûta encore davantage dans sa fuite précipitée et dans son exil de quarante ans, Bossuet, Hist. II, 3.

  • 6 V. n. Boire ou manger quelque peu d'une chose dont on n'a pas encore bu ou mangé. Quand voulez-vous goûter à notre vin ? Cette volaille est excellente ; goûtez-y.

    Il se dit aussi des choses dont on ne juge que par l'odorat. J'ai goûté à votre tabac.

    Fig. Essayer, tâter, faire l'épreuve de. Tibère lui dit : Et toi, Galba, tu goûteras un jour de l'empire, Perrot D'Ablancourt, Tacite, Annales, VI, 11. Tout ce que peuvent faire ces misérables amoureux des grandeurs humaines, c'est de goûter tellement de la vie qu'ils ne songent point à la mort, Bossuet, Gornay. Vous aimez la joie, le repos, le plaisir ; croyez-moi, j'ai goûté de tous, il n'y a de joie, de repos, de plaisir qu'à servir Dieu, Maintenon, Avis à la duch. de Bourg. Lett. t. III, p. 202, dans POUGENS. Il n'eut pas plus tôt entendu les discours de ce philosophe, et goûté de cette philosophie qui mène à la vertu, qu'il sentit son âme enflammée d'amour pour elle, Rollin, Traité des Ét. liv. v, 3e part. ch. 2.

    Dans le style biblique, goûter de la mort, mourir. Élie et Énoch sont deux personnages bien importants dans l'antiquité ; ils sont tous deux les seuls qui n'aient point goûté de la mort, et qui aient été transportés hors du monde, Voltaire, Dict. phil. Élie et Énoch.

  • 7Se goûter, v. réfl. Avoir du goût l'un pour l'autre. Les hommes ne se goûtent qu'à peine les uns les autres, n'ont qu'une faible pente à s'approuver réciproquement, La Bruyère, XII. Dès nos premières entrevues, nous voir, nous goûter, nous chérir, désirer de nous voir encore, en fut l'effet simultané, Marmontel, Mém. X.

    Se goûter soi-même, avoir du goût pour soi-même, se laisser aller à l'amour-propre. Combien Calvin se goûtait-il lui-même quand il élève si haut sa frugalité, ses continuels travaux ! Bossuet, Var. IX.

    Être goûté. Le vin se goûte mieux quand on mange.

HISTORIQUE

XIIe s. Peneans sui [je suis pénitent], n'est pas raisons Que gost [que je goûte] de vin ne de poisson, Grég. le Grand, p. 89. Hé Dex ! ce dist li rois, qui gostas à la cene…, Sax. XX.

XIIIe s. Que tout cil ki mort gousteront En la fin resçusiteront, Et si oront le jugement, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 51.

XVIe s. [Ulysse] s'il eust gousté à la couppe circeïenne, De sa doulce terre ancienne Il n'eust regousté les plaisirs, Du Bellay, J. III, 9, recto. On me faisoit gouster la science par une volonté non forcée et de mon propre desir, Montaigne, I, 195. Temoings tant de nations qui n'ont encore gousté aulcun usage des vestements, Montaigne, II, 162. Quand il eut demouré quelque temps auprès de luy, il commencea à cognoistre et gouster la bonté de son naturel, Amyot, Lyc. 16. Un roy de Pont, pour gouster de ce brouet noir, achepta expressement un cuisinier lacedaemonien, Amyot, ib. 21. Ilz ne s'estuvoient ny ne soignoient jamais, sinon à certains jours de l'année, que l'on leur faisoit un petit gouster de cette doulceur, Amyot, ib. 34.

ÉTYMOLOGIE

Norm. gouté, et aussi goutu, savoureux : voilà un fruit bien goûté ; provenç. et portug. gostar ; espagn. gustar ; ital. gustare ; du latin gustare (voy. GOÛT).