« ronger », définition dans le dictionnaire Littré

ronger

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ronger

(ron-jé. Le g prend un e devant a et o : rongeant, rongeons) v. a.
  • 1Couper avec les dents ou avec le bec à plusieurs reprises. Un chien qui ronge un os. Les vers rongent le bois. Un furieux oiseau de proie Sans cesse lui ronge le foie, Scarron, Virg. VI. N'étant pas de ces rats qui les livres rongeants, Se font savants jusques aux dents, La Fontaine, Fabl. VIII, 9. Cette guenon avait rongé une petite partie de sa queue, Buffon, Quadrup. t. XII, p. 92.

    Ronger ses ongles, se dit du geste que l'on fait, pendant que l'on médite, que l'on réfléchit. Attendez un peu que j'y songe, Pendant que mes ongles je ronge, Scarron, Poés. div. Œuv. t. VII, p. 23, dans POUGENS.

    Fig. Se ronger les poings de quelque chose, en concevoir une vive irritation, un vif regret. Sa femme s'en ronge les poings de fureur, Diderot, Lett. à Mlle Voland, 1er oct. 1769.

    Par exagération. Ronger sa litière, en être réduit à manger ce qui ne vaut guère mieux qu'une litière. …j'étais résolu, faisant autant que trois, De boire et de manger comme aux veilles des Rois ; Mais, à si beau dessein défaillant la matière, Je fus enfin contraint de ronger ma litière, Régnier, Sat. X.

    Fig. Donner un os à ronger à quelqu'un, lui donner quelque emploi qui l'aide à vivre, ou lui faire quelque légère grâce pour se délivrer de ses importunités.

    Par allusion à cette locution. Je crains bien que notre mariage ne se rompe… et, si l'on veut donner à ronger l'espérance d'un duc qui ne viendra point, Mlle d'Alerac a bien l'air d'en être la victime, Sévigné, 1er oct. 1684.

    On lui a donné un os à ronger, on lui a suscité quelque affaire qui l'occupe fort et qui l'empêche de nuire à autrui.

    Ce cheval ronge son frein, il le mord, il le mâche.

    Fig. Ronger son frein, dissimuler son dépit. Jeanne, rongeant son frein, de mine s'apaisa, Régnier, Sat. X. Elle ronge son frein, Trouve le jour obscur, quoiqu'il soit fort serein, Boursault, Fabl. d'Ésope, II, 3. Je ronge mon frein et mon âme bien tristement loin de mon cher ange, Voltaire, Lett. d'Argental, 7 mars 1777.

  • 2 Par extension, consumer, corroder, entamer. L'eau-forte ronge les métaux. Un ulcère lui a rongé le nez. La goutte le ronge. Les restes de l'ancien pays que l'océan a rongé et couvert peu à peu, Buffon, Hist. nat. Pr. th. terr. Œuv. t. II, p. 117. La salive est connue depuis longtemps comme rongeant ou oxydant assez promptement le fer et le cuivre, Fourcroy, Conn. chim. t. IX, p. 365.

    Absolument. L'Arve, à force de ronger, s'est creusé un lit qui côtoie les jardins, Saussure, Voy. Alpes, t. I, p. 16, dans POUGENS.

  • 3 Fig. Consumer le bien d'autrui Cet avoué ronge ceux qui ont affaire à lui. Si je connaissais sa maîtresse, j'irais lui conseiller de le piller, de le manger, de le ronger, de l'abîmer, Lesage, Turcaret, IV, 12.
  • 4 Fig. Exercer sur l'âme une action comparée à un rongement. Cet animal [le lièvre] est triste, et la crainte le ronge, La Fontaine, Fabl. II, 14. Un songe, me devrais-je inquiéter d'un songe ? Entretient dans mon cœur un chagrin qui le ronge, Racine, Ath. II, 5. Les noirs soucis qui rongeaient son cœur, Fénelon, Tél. VII. Là, Télémaque aperçut des visages pâles, hideux et consternés ; c'est une tristesse noire qui ronge ces criminels, Fénelon, ib. XVIII. Un horrible soupçon me tourmente et me ronge, Delavigne, Vêpr. sicil. IV, 1.

    Se ronger le cœur, se laisser aller à des inquiétudes, à des chagrins qui tourmentent. Je me ronge le cœur, je n'ai point de repos, Régnier, Élég. II. Je ne crois pas qu'il puisse être content d'une personne qui ne lui donne pas tous les jours sujet de songer creux et de se ronger le cœur, Fontenelle, Lett. gal. II, 15.

  • 5 V. n. Détruire les couleurs.
  • 6 Terme de vénerie. On dit que le cerf ronge quand il rumine.
  • 7Se ronger, v. réfl. Exercer sur soi un rongement. Et de quelque souci qu'en veillant je me ronge, Malherbe, V, 21. Son orgueil [d'une âme mélancolique] fait son supplice ; elle se ronge, dans la solitude, du dépit secret d'être méprisée et oubliée, Voltaire, Dict. phil. Homme.

    Être rongé. Sentir son âme, usée en impuissant effort, Se ronger lentement sous la rouille du sort, Lamartine, Méd. II, 15.

HISTORIQUE

XIIe s. Mais par tel serement quida Deu enginnier [il crut tromper Dieu] ; Mais dedenz cel an porent sa char li ver rungier, Th. le mart. 32.

XIIIe s. Sovent li menbre [souvient] des jelines, [poules], Dont il selt rungier les eschines, Ren. 15193. [Je] Puis chascun jur runger les os, Dunt je me fas e cras e gros, Marie de France, Fable 34. Li tans ki runge ceste vie, Gui de Cambrai, Barl. et Jos. p. 18. Et quant il i a grant quantité de forage devant eux [les bœufs], il mangent lour [leur] saülée, et puis seient et ronngent, Bibl. des chartes, 4e série, t. II, p. 368.

XIVe s. Si comme aucuns qui rugent as dens leur ungles, Oresme, Eth. 203. Et passe l'espreuve [la sonde] duc à l'os [jusqu'à l'os], et le treuve aspre aussi comme se il fust rungié, H. de Mondeville, f° 90.

XVe s. Puisqu'il me faut ainsi ronger mon frain, Deschamps, Poésies mss. f° 179.

XVIe s. Triste et rongé du soing qui plus me nuict, Du Bellay, J. IV, 86, verso.

ÉTYMOLOGIE

Berry, roûger ; poitev. rouger ; picard, rogner. Ronger veut dire ruminer, et, étant composé comme songer de somniari, représente rumniare, altération de ruminare, ou la forme latine peu usitée rumigare (voy. RUMINER). De ruminer à ronger, le passage est facile ; car le bœuf ronge ce qu'il rumine.