« corrompre », définition dans le dictionnaire Littré

corrompre

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corrompre

(ko-ron-pre), je corromps, tu corromps, il corrompt, nous corrompons, ils corrompent ; je corrompais ; je corrompis ; je corromprai ; je corromprais ; corromps, corrompons ; que je corrompe, que nous corrompions ; que je corrompisse ; corrompant ; corrompu v. a.
  • 1Rompre l'ensemble, et, par suite, gâter, détruire. Arsanes mit le feu partout et corrompit tout ce qui pouvait servir à l'usage des hommes, Vaugelas, Q. C. 168.

    Fig. Adieu donc ! Fi du plaisir Que la crainte peut corrompre, La Fontaine, Fabl. I, 9. Vous corrompez tout par d'injustes usages, Massillon, Car. Voc. Comme toute chair a corrompu sa voie, Massillon, ib. Motifs. Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée Roule, au sein furieux d'Amphitrite étonnée, Un cristal toujours pur et des flots toujours clairs, Que ne corrompt jamais l'amertume des mers, Voltaire, Henr. IX. Vous avez corrompu tous les dons précieux Que pour un autre usage ont mis en vous les dieux, Voltaire, Catil. I, 1. L'effroi qui me saisit, corrompant mon espoir…, Voltaire, Triumv. IV, 6. Vous comprenez assez quelle amertume affreuse Corrompait de mes jours la durée odieuse, Voltaire, Zaïre, I, 2. Les novateurs dont les interprétations corrompaient la simplicité de la foi, Chateaubriand, Génie, I, I, 1. Je puis t'abandonner ; oui, je mourrai content, J'ai corrompu ta joie, Delavigne, Vêpres, sicil. IV, 5.

    Altérer la forme, la figure, l'état de certaines choses. Corrompre la forme d'un chapeau. Ce sens a vieilli.

    Terme de corroyeur. Faire venir le grain à un cuir de vache. Corrompre la vache.

    Terme de métallurgie. Corrompre le fer, en pétrir toutes les parties par le feu ou par le marteau.

    Terme de cirier. Corrompre la cire, lui ôter la ductilité.

    Terme de cartonnier. Corrompre les coupeaux ou cartons, les recourber de manière que la partie concave soit du côté de la peinture des cartes à jouer.

    Populairement. Corrompre l'eau, la corriger en y ajoutant un peu de vin, de vinaigre, de sucre, etc.

  • 2Gâter par décomposition putride. La décomposition de substances organiques avait corrompu les eaux. La terre que nous habitons n'est devenue salubre que par les travaux de l'homme ; dans son origine, elle était couverte de forêts et de marécages qui corrompaient l'air ; c'est l'état actuel de Madagascar, Raynal, Hist. phil. IV, 4.
  • 3Dépraver. Corrompre les mœurs. La flatterie le corrompit. Deux cœurs nés généreux qu'un traître a corrompus, Voltaire, Fanat. III, 11. Cambyse, fils de Cyrus, fut celui qui corrompit les mœurs des Perses, Bossuet, Hist. III, 5.
  • 4Altérer, modifier en mal, en parlant de la langue, du goût, du style. La lecture des mauvais auteurs corrompt le goût. Corrompre une langue. L'invasion des barbares corrompit le latin. Dans les arts d'imagination, tout ce qui n'est pas neuf ou brillant est inutile ; et la multiplication des ouvrages médiocres corrompt le goût au lieu de le former, Condorcet, Haller.

    Corrompre un texte. La négligence des copistes a corrompu bien des passages dans les auteurs anciens. Il a omis ces paroles par un dessein outrageux, pour corrompre la pensée de ce père, Pascal, Prov. Réfut. de la rép. à la 12e lett. Il découvre l'orgueil caché et l'hypocrisie des Pharisiens et des docteurs de la loi qui la corrompaient par leurs interprétations, Bossuet, Hist. II, 6.

  • 5 Fig. Gagner quelqu'un par dons ou promesses. Il essaya de corrompre ses juges. On corrompit les témoins. C'est à qui se sent faible à corrompre son juge, Quinault, la Comédie sans comédie, II, 5. Il avait corrompu par argent la garnison, Fénelon, Tél. XX. On l'accusait aussi d'avoir corrompu à force de présents la prêtresse de Delphes, qui avait ordonné, de la part du Dieu, de le rappeler de l'exil, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. III, p. 591, dans POUGENS. Des moines, parcourant l'Helvétie alarmée, Divisent les tribus et corrompent l'armée, Massillon, Helvétiens, V.

    Séduire, en parlant d'une femme. En poursuivant les fuyards, il fut tué par un des siens dont il avait corrompu la femme, Bossuet, Hist. I, 10. Crispe, fils de Constantin, mais d'un autre mariage, accusé par cette marâtre [la seconde femme de l'empereur Constantin] de l'avoir voulu corrompre, trouva son père inflexible, Bossuet, ib. I, 11.

    Absolument. Les vices n'y sont point un sujet de ridicule ; corrompre ou être corrompu ne s'appelle point un usage ou une manière de vivre, Montesquieu, Esp. XVIII, 25. Ce Philippe qui, mieux qu'homme du monde, savait diviser pour réduire et corrompre pour asservir, Marmontel, Élém. litt. Œuvres, t. VIII, p. 86, dans POUGENS.

  • 6Se corrompre, v. réfl. Se putréfier. La viande se corrompt rapidement dans les jours chauds et orageux. Je vois qu'un corps tel que l'eau est divisible, muable, sujet à se corrompre, à se geler, Boulainvilliers, Réfutation de Spinosa, p. 41.

    Se dépraver, s'altérer. Les mœurs se corrompent. La langue grecque se corrompit peu à peu. Cette sagesse insensée, ingénieuse à se tourmenter, habile à se tromper elle-même, qui se corrompt dans le présent, qui s'égare dans l'avenir, Bossuet, Duch. d'Orl. C'est une chose étonnante comment les langues se forment, s'augmentent, se perfectionnent, et comment, après un certain cours d'années, elles dégénèrent et se corrompent, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. XI, 2e part. p. 602, dans POUGENS.

HISTORIQUE

XIIe s. Deus, quel duel [deuil] des prelaz que lur mestier ne funt ! Mucie est la lumiere qui esclaire le munt [monde], Il sunt li pullent cors que l'esperit corrunt, Th. le mart. 69.

XIIIe s. Qui gist en mortel pechié est corrumpuz, Psautier, f° 21. Li lius [lieu] estoit tout corrompus, et moult i ot mors de gens, Chr. de Rains, 177. Nostre coustume a corrumpu ceste loi et suefre que testamens se prueve par deus loiax tesmoins, Beaumanoir, XII, 40. Et par ce est le [la] droite mesure du souverain corrompue en plusors liex, si comme il est dit dessus, Beaumanoir, XXVI, 12. Et por ce loonz [conseillons] noz à toute maniere de juges qu'il se gardent de prendre dons par les quix il soient corrompu, Beaumanoir, XL, 33. Donques li baillis doit estre soufrans et escoutans, en tele maniere qu'il laist à cex qui sont devant li en jugement, dire toute lor volenté et tout ce qu'il lor plera, partie contre autre, et sans corrumpre lor paroles, Beaumanoir, XII, 19.

XIVe s. Ceulx qui ont l'apetit corrompu et la volenté pour malvois vices se delettent en choses qui ne sont pas bonnes à l'ame, Oresme, Eth. 19. J'ai pour l'amour de toi grant paine recheüe, Et en terre et en mer ; mais Diex m'a secorue ; De nul homme de char n'ai esté corrompue, Baud. de Seb. III, 132. Icellui suppliant a congneu que ses diz tesmoings il avoit induis et corroz, et leur avoit promis de donner le vin, mais qu'ilz deposassent à son entension, Du Cange, corrumpere.

XVe s. Et pour ce que je n'y veux mettre ni oster [à la matière de ses chroniques], oublier ni corrompre, ni abreger, Froissart, I, I, 1.

XVIe s. De peur que les grains ne se corrompent et pourrissent, Montaigne, II, 186. S'ils faisoient quelque appointement avec serment solennel, il duroit jusques à ce que l'une des parties se trouvast la plus forte, pour le corrompre et violer, et vaincre par malice, Lanoue, 55. Une oligarchie corrompue comme aussi fut celle d'Athenes, Lanoue, 65. Il estimoit estre convenable de deposer la substance du feu en garde de personnes non corrompues ny polluées, Amyot, Numa, 17. Ses ambassadeurs corrompirent deux des meilleures et plus anciennes maisons de la ville, Amyot, Publ. 5. Se laisser corrompre par argent, Amyot, Alc. et Cor. comp. 8. Boire de l'eau puante et corrompue, Amyot, Anton. 21. On luy fit entendre que la tourmente estoit sur la montagne, ce nonobstant on ne luy sceut dissuader de passer ce jour là, pensant corrompre [rompre, vaincre] le temps, contre l'opinion de tous, Du Bellay, M. 521. Hormis qu'il se trouvoit fort las et corrompu [courbatu], à cause du tourment qu'il avoit souffert, Paré, XIX, 32.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. corrompre ; catal. corromprer ; espagn. corromper ; ital. corrompere ; du latin corrumpere, de cum, et rumpere, rompre. L'ancien français, à côté du participe corrompu, avait aussi corrot ou corrout, dont le simple se trouve : un nombre rout ou roupt, un nombre fractionnaire. Corrompu est un participe fait sur le verbe français ; corrot provient directement du participe latin corrúptus, avec l'accent sur ru.