« discrétion », définition dans le dictionnaire Littré

discrétion

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

discrétion

(di-skré-sion ; en vers, de quatre syllabes) s. f.
  • 1Qualité par laquelle on discerne, on juge. L'âge de discrétion, l'âge de raison. Un innocent qui n'a pas encore l'âge de discrétion, Voltaire, Phil. III, 118.
  • 2 Par extension, réserve, retenue prudente dans les paroles ou dans les actes. Agir avec discrétion. Son zèle est sans discrétion. User d'une chose, d'une permission avec discrétion. Il y a parmi les morts une honnêteté, une discrétion la plus grande du monde ; jamais on n'en voit se plaindre du médecin qui l'a tué, Molière, Méd. m. lui, III, 1. Les convives [dans l'Eldorado] étaient pour la plupart des marchands et des voituriers, tous d'une politesse extrême, qui firent quelques questions à Cocambo, avec la discrétion la plus circonspecte, Voltaire, Candide, 17. Rien n'y passait les bornes de la discrétion, Rousseau, Confess. II. Les Anglais sont les hommes du monde qui ont le plus de discrétion et de ménagement dans tout ce qui tient aux affections véritables, Staël, Corinne, VI, 4.

    S'en mettre, s'en remettre à la discrétion de quelqu'un, c'est-à-dire s'en rapporter à son jugement dans une affaire. Pourtant, pour cette grande et fameuse action, Vous en mîtes le prix à sa discrétion, Rotrou, Vencesl. I, 1. Je t'apprendrai, dit en soi-même le Phrygien, à spécifier ce que tu souhaites, sans t'en remettre à la discrétion d'un esclave, La Fontaine, Vie d'Ésope.

    Par extension, se mettre à la discrétion de quelqu'un, se livrer entièrement à sa volonté. Un homme dangereux et hardi pourrait livrer mon caractère et l'innocence de mes mœurs à la discrétion de son audace, Spectat. franç. 1723, dans DESFONTAINES.

    Être à la discrétion de quelqu'un, dépendre de sa volonté. Le salut de l'Hespérie sera à votre discrétion, Fénelon, Tél. X.

    Il se dit en parlant d'une femme qui s'est rendue aux désirs. Votre personne sera à ma discrétion, Molière, le Mar. f. 4. Le vainqueur l'eut à sa discrétion, La Fontaine, Mandr.

    Je laisse cela à votre discrétion, vous arrangerez cela comme vous le jugerez bon. Le bénéfice est de tant ; vous me ferez ma part ; je laisse cela à votre discrétion.

    À discrétion, loc. adv. À volonté. Pour le pain vous en aurez à discrétion. Boire à discrétion. Ce point B est pris à discrétion dans l'ellipse, Descartes, Diopt. 8. Elle [la belette] sortait de maladie ; Là vivant à discrétion, La galante fit chère lie, La Fontaine, Fabl. III, 17. Dans une île presque déserte dont le terrain était à discrétion, elle ne choisit point les cantons les plus fertiles, Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virg.

    Vivre à discrétion, se dit de gens, et surtout de gens de guerre, qui se font donner par les habitants d'un lieu tout ce qu'ils veulent. Les troupes allemandes vécurent neuf mois à discrétion dans Rome, Voltaire, Mœurs, 24. Si vous n'êtes chez mon capitaine demain matin à quatre heures, vous aurez ici, à cinq, trente soldats logés à discrétion, Brueys, Grondeur, III, 13.

    Se rendre à discrétion, se mettre à la merci du vainqueur. Lorsqu'on désire, on se rend à discrétion à celui de qui l'on espère, La Bruyère, XI.

  • 3Discrétion des prix, taux modéré.
  • 4Ce qu'on gage ou ce qu'on joue sans le déterminer précisément et qu'on laisse à la volonté de celui qui perdra. Gagner une discrétion. Si je n'eusse point gagé de vous donner votre portrait pour une discrétion, je n'eusse jamais cru qu'une personne de ma qualité et de mon humeur eût pu avoir de la répugnance à payer ses dettes, Mémoires de Mlle de Montpensier, p. 319.
  • 5Qualité par laquelle on sait garder un secret. Il est plein de discrétion. Une discrétion éprouvée. Il le conte au docteur ; discrétion française Est chose outre nature et d'un trop grand effort, La Fontaine, Roi Candaule. Mais quoi ? vous ne pouvez rien taire ; un peu de discrétion est bien rare aujourd'hui ; les gens crèveraient plutôt que de ne point jaser, Courier, 2e lettre particulière.

REMARQUE

On ne dit pas : cette ville s'est rendue à la discrétion du général ; il s'est rendu à votre discrétion ; mais cette ville s'est rendue à discrétion au général ; il s'est rendu à vous à discrétion. On le disait autrefois ; mais se rendre à discrétion forme aujourd'hui une locution dans laquelle il n'est permis de rien intercaler.

SYNONYME

DISCRÉTION, RÉSERVE. Dans discrétion, il y a, étymologiquement, discerner ; la discrétion est donc une réserve qui discerne, qui est éclairée ; au lieu que réserve n'implique que le sentiment qui fait qu'on ne s'avance pas et qu'on a de la retenue ; l'idée de discernement n'y est pas incluse.

HISTORIQUE

XIIe s. Si mostrat il par sormonte de discretion, par com grant songe [soin] on doit enquerre les pechiez, Job, 511. Li clers est corunez ; Deus deit en lui seeir ; Aprendre deit tuz dis ; mult li covient saveir ; Discretiun e sens deit en tuz liuz aveir, Th. le mart. 30. Quand [ils] orent lor aage, sen [sens] et discrecion…, Sax. III.

XIIIe s. Cil qui sunt fol de nature, si fol qu'il n'ont en eus nule discretion, par quoi il se puissent ne sacent maintenir, ne doivent pas tenir tere, Beaumanoir, LVI, 9.

XIVe s. Et pour ce en tel cas est mestier de la sentence et discretion du juge, Oresme, Eth. 166. Il donne à chascun sans discrettion, Oresme, ib. 108. Ce doit estre laissié en la discrecion, prudence et jugement des sages en chascun cas particulier, Oresme, ib. 50.

XVe s. Très chers et puissants seigneurs, à vos très nobles discretions plaise vous savoir que nous avons reçues très aimables lettres, Froissart, II, II, 170. … ami n'y a [dans la cour], n'amie, Congnoissance, diligence, raison, Maniere, senz, honeur, discretion, Deschamps, Intér. des cours. Si pourroit par adventure sembler que forte chose soit que un homme, sans avoir grandement estudié, puisse avoir si bel et si orné langaige ; mais ce ne doibt sembler merveille à nul qui a discretion, Bouciq. IV, ch. 10.

XVIe s. En somme, il pretend à ce seul but, d'oster discretion du bien et du mal, à ce qu'on ne fasse plus conscience de rien, quand on attribuera le tout à Dieu, Calvin, 301. Nous voyons, en icelluy, discretion des odeurs manifeste, Rabelais, Pant. III, 32. L'empereur leur ha denoncé que il n'entend point que ses gens vivent à discretion, c'est à dire sans payer ; mais à discretion du pape, qui est ce que plus griefve le pape, Rabelais, Épî. Se rendre à la discretion de l'ennemy, Montaigne, I, 26. On corrompt l'office du commander, quand on y obeit par discretion [volonté], non par subjection, Montaigne, I, 60. On y mange toute sorte d'herbes, sans aultre discretion que de refuser celles qui semblent avoir mauvaise senteur, Montaigne, I, 114. Les vieils doibvent vivre à leur discretion, sans obligation à nul certain office, Montaigne, I, 280. Un personnage hazardeux oultre mesure, et hardy sans discretion ès perils de la guerre, Amyot, Pélop. 1. Les Gaulois se soubmirent entierement eulx et leurs biens à la discretion des Romains, Amyot, Marcel. 9. Sans discretions de treves ni de paix [sans y avoir égard], Carloix, IV, 29. Il avoit fait faire en ses pays, discretion de seize mil hommes, pour venir au secours dudit seigneur, Du Bellay, M. 432. On donne les offices et promotions, et non prudence et discretion, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 360.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. discretio ; espagn. discrecion ; ital. discrezione ; du latin discretionem, de discretum, supin de discernere (voy. DISCERNER).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

DISCRÉTION.
4Ajoutez : Des paris gagnés ou perdus qui, le plus souvent, prennent la forme compromettante et le titre étrange de discrétions, Feuillet. de l'Indépendance belge, du 24 oct. 1868.