« ennui », définition dans le dictionnaire Littré

ennui

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

ennui

(an-nui, an prononcé comme dans antérieur) s. m.
  • 1Tourment de l'âme causé par la mort de personnes aimées, par leur absence, par la perte d'espérances, par des malheurs quelconques. Le roi même arrivant partage leur ennui, Corneille, Œdipe, II, 3. Si malgré ces raisons votre ennui persévère, Mon cher Lélie, au moins faites qu'il se modère, Molière, l'Étour. II, 4. Adieu ; je sens mon cœur qui se gonfle d'ennui, Molière, ib. C'est de tous les ennuis l'ennui le plus sensible, Th. Corneille, Ariane, III, 2. Et ce sera de quoi mieux combler son ennui, Th. Corneille, ib. IV, 3. Ce n'est qu'avec le temps qu'un grand ennui se passe, Quinault, Mère coq. II, 6. Un fou rempli d'erreurs, que le trouble accompagne… En vain monte à cheval pour tromper son ennui ; Le chagrin monte en croupe et galope avec lui, Boileau, Épît. v. Sa mort avancera la fin de mes ennuis, Racine, Andr. I, 4. Pour comble d'ennui, Mon cœur, mon lâche cœur s'intéresse pour lui, Racine, ib. v, 1. Pour accabler César d'un éternel ennui, Racine, Brit. v, 8. Rien ne peut-il charmer l'ennui qui vous dévore ? Racine, Bérén. II, 4. Si d'une mère en pleurs vous plaignez les ennuis, Racine, Iphig. IV, 4. Ah ! que dis-tu ? pourquoi rappeler mes ennuis ? Voltaire, Zaïre, I, 1. Mais des ennuis d'Hamlet que faut-il que je pense ? Qui peut de ses transports aigrir la violence ? Ducis, Hamlet, II, 3. La vie est-elle toute aux ennuis condamnée ? L'hiver ne glace point tous les mois de l'année, Chénier, Élég. 27.

    Contrariété. Cette affaire lui a donné beaucoup d'ennui. Être accablé d'ennuis.

  • 2Sorte de vide qui se fait sentir à l'âme privée d'action ou d'intérêt aux choses. Donner, causer, avoir, éprouver de l'ennui. Un ennui mortel. Charmer les ennuis de l'absence. Quand on se verrait même assez à l'abri de toutes parts [des misères], l'ennui, de son autorité privée, ne laisserait pas de sortir du cœur où il a des racines naturelles, et de remplir l'esprit de son venin, Pascal, Pensées, t. I, p. 266, édit. Lahure. Dans l'Orient désert quel devint mon ennui ! Racine, Bérén. I, 4. L'ennui est entré dans le monde par la paresse, La Bruyère, XI. Pour la délicatesse et l'affectation d'ennui, il faut la réprimer en montrant que le bon goût consiste à s'accommoder des choses selon qu'elles sont utiles, Fénelon, Éduc. filles, 10. Le plaisir nous fait oublier que nous existons, l'ennui nous le fait sentir, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuvres, t. IV, p. 246, dans POUGENS. L'ennui, ce triste tyran de toutes les âmes qui pensent, contre lequel la sagesse peut moins que la folie, Buffon, Nature des anim. Je ne sais si ma tête est jeune, mais mon corps est bien vieux ; si je ne m'amusais pas à faire des testaments, je serais bientôt mort d'ennui, Voltaire, Lett. d'Argental, 12 mars 1769. Il part, vole, arrive, l'ennui Le reçoit à la grille et se traîne avec lui, Delille, Hom. des champs, I. Rosine : L'ennui me tue. - Figaro : Je le crois ; il n'engraisse que les sots, Beaumarchais, Barb. de Sév. I, 2. C'était un rassemblement de commérages, une collection d'ennuis tout à la fois divers et monotones, Staël, Corinne, XIV, 1. Vive Homère ! que Dieu nous garde Et des Fingals et des Oscars, Et du sublime ennui d'un barde Qui chante au milieu des brouillards ! Lebrun, Stances sur Ossian. Sur un trône l'ennui se carre, Fier d'être encensé par des sots, Béranger, Prince de Navarre.

    Dégoût de tout. Tomber dans un ennui profond. L'ennui de la vie.

    Mélancolie vague. L'ennui de Réné [le héros d'un roman de Chateaubriand]. Du romantisme jeune appui, Descends de tes nuages ; Tes torrents, tes orages Ceignent ton front d'un pâle ennui, Béranger, Troubadours. Lorsque le grand Byron allait quitter Ravenne Et chercher sur les mers quelque plage lointaine Où finir en héros son immortel ennui, Musset, Poésies nouv. Lett. à Lamartine.

REMARQUE

Dans le style relevé, ennui est un mot d'une grande force et qui s'applique à toutes sortes de souffrances de l'âme : les ennuis du trône ; des ennuis cuisants. Dans le langage ordinaire, il perd beaucoup de sa force et se borne à désigner ce qui fait paraître le temps long.

HISTORIQUE

XIIe s. Sumeilla la meie aneme [âme] pur ennui, Liber psalm. p. 184. Amors m'a fait oublier L'ennui qui long tens m'a mort, Couci, IV. Se li ennuis de la gent malparliere Ne me feïst douloir, ib. XXVIII. Mais de chevage prendre est moult grant li anois ; à tort et à pechié somes clamé François, Sax. XVIII. Li prelaz d'Eurewie, cil de Londres, ço qui [je pense], Conseil lui unt duné privéement andui [tous deux], Que, veant si grant gent, ne li fesist anui, Th. le mart. 43.

XIIIe s. D'ennui et de paour sui au cuer mout destroite, Berte, XXIX. Ours ne lion n'est, ne beste sauvage Qui, tel foiz est, ne fraigne son vouloir De faire mal et ennui et domage, Eustache le Peintre, dans Couci. Car endroit moi ai-je fiance, Que songe soit senefiance Des biens à gens et des anuis, la Rose, 17. Et par ce que ce seroit anuis de dire et de specifier les cas de crieme, il seront dit el capitre des meffés, Beaumanoir, XI, 31. Il dient, por fere anoi à cex contre qui il ont à pledier, qu'il atendent leur conseil, Beaumanoir, XI, 67.

XIVe s. Qui ennuy fait ennuy requiert, Et ferus doit estre qui fiert, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 390. Nous en dirons aucunes causes et non pas toutes, pour ce qu'il n'eust enuie de ceulx qui ceste histoire liroient, Chr. de St-Denis, t. II, f° 63, dans LACURNE.

XVe s. Quand Messire Jean de Hollande fut informé de cette aventure, si cuida bien forcener d'annoi, Froissart, II, II, 236. [Le roi Robert d'Escosse] assembla son conseil, et leur remonstra comment les Anglois, du temps passé, leur avoient fait plusieurs ennuis, Froissart, II, II, 13. Cinq sous font autant, Quant on est content Et qu'on jette les ennuis Derriere l'huis, Que d'escus les sacs tous pleins, Basselin, XXXIX.

XVIe s. Petit ennuy un grand ennuy appaise ; Bref, sans ennui, trop fade seroit l'aise, Marot, I, 383. Telle ennuy cesseroit, Marot, I, 382. Qui pourroit raconter l'ennuy que je receu, Quand de sur mon giron tout froid je l'apperceu, Ronsard, 791. Si je m'endors quand mes ennuis me tiennent, Je suis perdu des songes qui me viennent, Amyot, Du vice et de la vertu, 3. Ennuy en an le jour prolonge, Génin, Récréat. t. II, p. 238. Ennuy nuit et jour nuit, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 296.

ÉTYMOLOGIE

Berry, enneu ; provenç. enueg, enuet, enuey, enueit, enuit, enuoi, enoi, enut, et au féminin, enueja, enueia ; catal. enutg ; espagn. et portug. enojo ; ital. noja ; anc. ital. nojo. Mot important, mais d'origine douteuse. On le tire ordinairement du latin noxa ou noxia, tort, préjudice ; mais la forme des mots se prête peu à cette étymologie, puisque noxa ou noxia auraient donné nose ou noise. Fauriel propose le basque enoch ; mais rien ne garantit que enoch ne soit pas venu de l'espagnol dans le basque. Pour ces raisons, Diez, se joignant à Cabrera, propose le latin odium : est mihi in odio, cela m'ennuie ; d'où un substantif inodium, qui permet la dérivation de toutes les formes romanes, l'italien noja ayant perdu l'i ou l'e par une aphérèse qui n'est pas rare dans cette langue. Ce qui donne beaucoup de force à cette étymologie, c'est que inodio se trouve effectivement dans l'ancien parler vénitien, dont Diez rapporte ces exemples-ci : plu te sont a inodio, en italien più ti sono a noja, en français plus te sont à anoi ; a to inodio, italien a tua noja, français al tuen anoi. On remarquera à côté de la forme masculine, plus usitée, la forme féminine de ce mot en français, en provençal et en italien.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ENNUI. - ÉTYM. Ajoutez : à l'appui de l'étymologie in odio, remarquez qu'on dit en provençal moderne : mé vénes en odi, tu m'ennuies.