« feindre », définition dans le dictionnaire Littré

feindre

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

feindre

(fin-dr'), je feins, tu feins, il feint, nous feignons, vous feignez, ils feignent ; je feignais, nous feignions ; je feignis ; je feindral ; feins, feignez ; que je feigne, que nous feignions ; que je feignisse ; feignant, feint v. a.
  • 1Faire, produire, prendre une apparence fausse pour tromper ou, simplement, pour faire croire quelque chose. Pour ne vous rien feindre, Je crois l'aimer assez pour ne pas la contraindre, Corneille, Suréna, II, 1. Et je feins hardiment d'avoir reçu de vous L'ordre qu'on me voit suivre et que je donne à tous, Corneille, Cid, IV, 3. Il feignait de m'aimer, je l'aimais en effet, Th. Corneille, Ariane, IV, 2. Feignez, si vous voulez, de ne me pas entendre, Molière, l'Ét. III, 3. Pourquoi feindre à nos yeux une fausse tristesse ? Racine, Iphig. IV, 4. Elle a feint de passer chez la triste Octavie, Racine, Brit. v, 8. Parce qu'elle feignait d'être bonne, elle croyait l'être en effet, Marivaux, Pays. parv. 3e part. Il [Charles XII] resta dix mois couché, feignant d'être malade, Voltaire, Charles XII, VII.

    La Fontaine a employé feindre sans la préposition de : Lui [renard] qui n'était novice au métier d'assiégeant, Eut recours à son sac de ruses scélérates, Feignit vouloir gravir, se guinda sur ses pattes, Fabl. XII, 18.

    Absolument. Il est honteux de feindre où l'on peut toutes choses, Corneille, Perthar. III, 4. C'est qu'ils ont l'art de feindre, et moi je ne l'ai pas, Molière, Mis. I, 2. Je ne sais ni tromper, ni feindre, ni mentir ; Et, quand je le pourrais, je n'y puis consentir, Boileau, Sat. I. Il feint, il me caresse et cache son dessein, Racine, Mithr. IV, 2. Feignons, et de son cœur, d'un vain espoir flatté, Par un mensonge adroit tirons la vérité, Racine, ib. III, 4. J'ai feint quelques instants pour ne feindre jamais, Dorat, Feinte par amour, III, 6. Un proverbe italien dit : Qui ne sait pas feindre, ne sait pas vivre, Staël, Corinne, VI, 3.

  • 2Supposer. Il est nécessaire de feindre qu'il [Dieu] soit trompeur, si nous voulons révoquer en doute les choses que nous concevons clairement, Descartes, Rép. II, 29.

    Controuver, imaginer. Le roi pour vous tromper feignait cet hyménée, Racine, Iphig. III, 5. Il ne vient qu'à la fin de la tragédie ; et c'est pour prononcer une loi telle que les anciens les feignaient dictées par les dieux, Voltaire, Guèbres, Disc. hist. et crit. On trouve dans le code théodosien un édit de Constantin où il déclare qu'il a fondé Constantinople par ordre de Dieu ; il feignait ainsi une révélation pour imposer silence aux murmures, Voltaire, Mœurs, 10.

    Feindre à quelqu'un, rapporter faussement. Pour perdre mon rival j'ai découvert sa trame, Euphorbe vous a feint que je m'étais noyé, Corneille, Cinna, V, 3. [Elle]… leur feint de ma part tant d'outrages reçus Que ces faibles esprits sont aisément déçus, Corneille, Médée, I, 1. Il lui feint qu'en un lieu que vous seul connaissez, Vous cachez des trésors par David amassés, Racine, Athal. I, 1.

    Se feindre quelque chose, feindre à soi quelque chose, supposer à soi quelque chose. Ne voilà pas, dis-je, cette volage qui se feint de nouveaux prétextes de haine et de jalousie, D'Urfé, Astrée, I, l. Mon esprit… Se feignant, pour passer le temps, Avoir cent mille écus comptants, Régnier, Ép. III.

  • 3Hésiter, faire difficulté. Il se construit avec la préposition à, quand il n'est pas accompagné d'une négation. Feindre à s'ouvrir à moi dont vous avez connu Dans tous vos intérêts l'esprit si retenu, Molière, Dép. amour. II, 1. Tu feignais à sortir de ton déguisement, Molière, l'Ét. v, 9. Vous ne devez point feindre à me le faire voir, Molière, Mis. v, 2. Nous feignions à vous aborder, de peur de vous interrompre, Molière, l'Av. I, 5.

    Il se construit avec la préposition de, quand il est accompagné d'une négation. Ainsi, monsieur, je ne feindrai point de vous dire que l'offense que nous cherchons à venger…, Molière, Fest. de P. III, 4. Nous ne feignons point de mettre tout en usage, Molière, Pourc. I, 3. Monsieur et madame, ne feignez point de me mettre au nombre de ceux que vous aimez et qui vous aiment ; toute ma vie vous persuadera que je mérite d'y être, Sévigné, Au comte de Guitaut, 23 nov. 1673. Au lieu d'expédier sur-le-champ des marchands et des ouvriers, il [l'orgueilleux] ne feint point de les renvoyer au lendemain matin, La Bruyère, Théoph. XXIV. Nesmond ne feignit pas de dire qu'il se croirait coupable de la prévarication la plus criminelle, s'il dissimulait que le pain de la parole manquait au peuple, Saint-Simon, 302, 205. Quelquefois il tombe dans des difficultés où il ne feint point d'avoir recours soit à la volonté de Dieu qui opère sans mécanisme, soit au dessein qu'il a eu de nous cacher le mécanisme, Fontenelle, Ruysch.

  • 4 Terme de manége. Feindre en marchant, se dit d'un cheval et aussi d'une personne qui boite légèrement ou d'une façon presque invisible à l'œil.
  • 5Se feindre, v. réfl. Se supposer. Se feindre coupable. Dorise se feint être un jeune gentilhomme contraint pour quelque occasion de se retirer de la cour, Corneille, Clit. préf.

    Absolument. Cacher ce qu'on sent, ce qu'on pense. Et puis je ne saurais me forcer ni me feindre, Régnier, Sat. III.

    Être feint. Et parce que cela ne se peut pas même feindre…, Descartes, Rép. II, 29.

REMARQUE

Voltaire condamne le régime indirect avec feindre ; mais les exemples de Corneille paraissent irréprochables.

SYNONYME

FEINDRE, DISSIMULER. Étymologiquement, feindre, c'est donner une forme comme l'artiste fait à la terre qu'il moule ; dissimuler, c'est rendre dissemblable. De là la distinction entre ces deux verbes : celui qui feint forme, présente, produit ce qui n'est pas ; celui qui dissimule cache ce qui est : on dissimule sa joie, sa haine ; on feint de la joie, de l'amitié.

HISTORIQUE

XIe s. Il se feint mort, si gist entre les altres, Ch. de Rol. CLXVI.

XIIe s. Car il n'a home de li servir se faigne, Roncis. p. 1. Jà fu tels jors que les dames amoient De leal cuer sans feindre et sans fausser, Quesnes, Romancero, p. 87. Quant veit li reis Henris qu'il nel purra aveir, Cuida qu'il se fainsist tut pur le deceveir, Th. le mart. 34.

XIIIe s. Cil qui cuide gaaigner gloire par fause demonstrance ou par paroles faintes, Latini, Trésor, p. 451. La quinte color [de rhétorique] est apelée fainture, porce que on faint une chose qui n'a pooir ne nature de parler, aussi comme se ele parlast, Latini, ib. p. 488. Ne te faindre pas d'estre ce que tu n'ies, Latini, ib. p 384. Mais si malade vous faigniés, Tant soupirés, tant vous plaigniés, la Rose, 9135.

XIVe s. C'est chose fainte et neant, Oresme, Eth. VI [10].

XVe s. Cils [les barons] qui nullement pour leur honneur ne se fussent feints, eurent en convent à la bonne dame qu'ils s'en acquiteroient loyalement [de combattre], Froissart, I, I, 306. Et Dieu sait si ceulx d'Orleans se faignoient à mener artillerie, Bibl. des chartes, 2e série, t. III, p. 507. L'autre ne faignoit pas et recommençoit encores de bon cueur, Commines, IV, 8. Ledit duc de prime face faignit à la bailler [la sûreté demandée par le connétable], mais à la parfin la bailla, Commines, IV, 12. Feignant [simulant] venir vers son oncle, Commines, I, 2. Il faindit, comme bien le savoit faire, une matte chere, et montra semblant de courroux, Louis XI, Nouv. XXXIII.

XVIe s. Frappoit à grandz tours de bras sans se faindre ny espargner, Rabelais, Garg. I, 44. Les poetes feignent un grand tas de dieux mal faisans, Rabelais, ib. I, 45. Elle va feindre d'estre malade, Marguerite de Navarre, Nouv. LXI. Le seigneur de Bonnivet, pour lui arracher son secret, feignit lui dire le sien, Marguerite de Navarre, ib. IV. Pour revenir à sa clemence [de César], nous en avons plusieurs naïfs exemples au temps de sa domination, lorsque, toutes choses estant reduictes en sa main, il n'avoit plus à se feindre, Montaigne, II, 33. Les poëtes feignent Niobé avoir este transmuée en rochier, Montaigne, I, 7. N'est-ce pas toy, dont la divine main De vil bourbier forma le corps humain, Pour y enter l'ame que tu as feinte Sur le portrait de ton image saincte ? Du Bellay, J. III, 92, recto. Leonidas, entrant un jour audacieusement en grosses paroles contre luy, ne faignit pas de luy dire…, Amyot, Lyc. 3. Disant qu'il seroit bien beste, si pour crainte du nom seulement d'estre appelé tyran, il faignoit d'accepter la monarchie, Amyot, Solon, 22. Le messager faignit que l'issue en avoit esté doubteuse, Amyot, Fab. 7. Après avoir bien noté et remarqué l'endroit de la muraille que le brutien avoit à garder, lequel avoit promis de se faindre et de laisser entrer ceulx qui viendroient assaillir ce costé là, Amyot, ib. 44. Un homme feint [fourbe], Amyot, Solon, 63.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. foindre, il ne foint pas, il ne craint pas ; provenç. fenher, feigner, finher ; espagn. et portug. fingir ; ital. fingere ; du lat. fingere, feindre, supposer. Dans l'ancienne langue, se feindre signifie souvent ne pas vouloir, hésiter à. Selon Curtius, le sens primitif du radical fig, grec θιγ, est toucher. Aussi le sens propre de fingere est façonner. Du sens de façonner on a passé à celui de feindre, c'est-à-dire façonner une apparence. De ce qui n'a qu'une apparence et qui est vide, faible, on en est venu au sens de hésiter, craindre.