« mouton », définition dans le dictionnaire Littré

mouton

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

mouton

(mou-ton ; l'n ne se lie pas : un mouton en chair ; au pluriel, l's se lie : des mou-ton-z en chair) s. m.
  • 1Bélier châtré que l'on engraisse. Il tourne à l'entour du troupeau, Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau, La Fontaine, Fabl. II, 16. Eh bien ! manger moutons, canaille, sotte espèce, Est-ce un péché ? La Fontaine, Fabl. VII, 1. Le ciel y avait répandu [sur le visage d'une fille d'honneur] certain air d'incertitude qui lui donnait la physionomie d'un mouton qui rêve, Hamilton, Gramm. 9. Dans les terrains secs, dans les lieux élevés, où le serpolet et les autres herbes odoriférantes abondent, la chair du mouton est de bien meilleure qualité que dans les plaines basses et dans les vallées humides, Buffon, Quadrup. t. I, p. 241. Quand au mouton bêlant la sombre boucherie Ouvre ses cavernes de mort, Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie Ne s'informe plus de son sort ; Les enfants qui suivaient ses ébats dans la plaine… Sans plus penser à lui le mangent s'il est tendre, Chénier, ïambe II. On évalue à peu près à huit livres l'herbe qu'un mouton peut manger, Genlis, Maison rust. t. I, p. 250, dans POUGENS. On sait que les moutons nourris de luzerne ont la graisse de couleur jaunâtre et d'un goût désagréable, et que ceux qui mangent du trèfle ont aussi la graisse jaunâtre, mais de bon goût, D'Aubenton, Instit. Mém. scienc. t. I, p. 281. Partout où j'ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuer mon âme, Musset, Poésies nouv. Nuit de décembre.

    Populairement. Mouton de Berry, homme qui a quelque marque sur le nez.

    Fig. Il cherche cinq pieds à un mouton, se dit d'un homme qui veut tirer d'une chose plus qu'elle ne peut fournir.

    Se laisser égorger comme des moutons, n'opposer aucune résistance contre les gens qui tuent. On se disait les uns aux autres [entre protestants durant les premières persécutions] que se laisser égorger comme des moutons sans se défendre, ce n'était pas le métier de gens de cœur, Bossuet, Var. X.

  • 2La viande de mouton. Le mouton est une viande noire. Les Egyptiens de Thèbes ne mangeaient point de mouton, parce qu'ils adoraient Ammon sous la figure d'un bélier, Fleury, Mœurs des Israél. tit. VIII, 2e part. p. 134, dans POUGENS.

    Sentir l'épaule de mouton, se dit de ceux dont les aisselles sentent mauvais ; locution tirée de ce que les épaules de mouton, et, en général, la viande de mouton a une odeur de bouc, quand les béliers ont été châtrés trop tard.

    Il ne jette pas les épaules de mouton toutes rôties par les fenêtres, se dit d'un avare.

  • 3En un sens plus général, béliers, brebis, et agneaux, réunis en troupeau. Troupeau de moutons. Hélas ! petits moutons que vous êtes heureux ! Vous paissez dans nos champs, sans souci, sans alarmes, Deshoulières, les Moutons. Qu'est-ce donc que ce drôle de fou qui traite le public comme Ajax traitait ses moutons, et qui tombe sur lui en furieux ? Voltaire, Lett. Damilaville, 6 déc. 1762. Les moutons vivent en société fort douce, leur caractère passe pour très débonnaire… la république des moutons est l'image fidèle de l'âge d'or, Voltaire, Dict. phil. Lois, 3. Robert, enfant de mon village, Retourne garder tes moutons, Béranger, Vieux caporal.

    Fig. Revenons à nos moutons, revenons à notre sujet ; locution tirée de la farce de Patelin, où M. Guillaume embrouille sans cesse son drap et ses moutons. Or, laissant tout ceci, [je] retourne à mes moutons, Régnier, Sat. II. Laissez-là ce drap et cet homme, et revenez à vos moutons, Brueys, Avoc. Pat. III, 2. Il ne s'agit pas, monsieur, des idylles et des moutons de Mme Deshoulières ; revenons aux nôtres, s'il vous plaît, Genlis, Ad. et Théod. t. I, p. 282, dans POUGENS.

    Sauter comme les moutons de Panurge, se dit des gens qui font une chose par esprit d'imitation ; locution tirée de Rabelais, représentant Panurge, qui, pour se venger de Dindenault, lui achète un mouton et le fait sauter par-dessus bord dans la mer : tous les autres moutons sautent après lui et le marchand de moutons se trouve ruiné.

    Fig. En vrais moutons, comme des moutons, en imitant niaisement ce que font les autres. Quelques imitateurs, sot bétail, je l'avoue, Suivent en vrais moutons le pasteur de Mantoue, La Fontaine, Poés. mêl. LXX. On fut sans ordre et comme des moutons, chez les princes et princesses du sang, Saint-Simon, 324, 242.

  • 4 Terme de zoologie. Genre de mammifères ruminants à cornes creuses.
  • 5Peau de mouton préparée. Reliure en mouton.
  • 6 Fig. Personne douce, traitable. Les commissaires d'aujourd'hui Sont des moutons auprès de lui [Rhadamante], Scarron, Virg. VI. Par lui [l'amour] les loups deviennent des moutons, La Fontaine, Court. Angélique : Il est fâcheux d'être contrainte d'oublier de telles injures ; mais, quelque violence que je me fasse, c'est à moi de vous obéir. - Claudine : Pauvre mouton ! Molière, Georg. Dandin, III, 14. J'ai trouvé le moyen d'apprivoiser le diable ; j'en ai fait un mouton, Destouches, Homm. sing. II, 2. Je veux croire que ton docteur est un homme de bien ; mais l'Éternel nous permet de nous défier de ces étrangers ; s'ils sont moutons à Bénarès, on dit qu'ils sont tigres dans les contrées où les Européens se sont établis, Voltaire, Amabed, Réponse de Shastasid.
  • 7 Fig. Homme aposté par la police près d'un prisonnier, pour gagner sa confiance et découvrir son secret. On mit près de lui un mouton pour le faire parler. Cet éloquent tribun n'était autre chose qu'un mouchard, ce qu'on nomme en langage d'argot un mouton, chargé de faire jaser les détenus, Ch. de Bernard, un Homme sérieux, § X.
  • 8Masse de fer, ou gros billot de bois armé de fer, qui se lève à bras ou à machine, et qui, retombant, sert à enfoncer des pilotis, des pieux ; ainsi dit parce que le mouton donne des coups avec sa tête ; c'est l'analogue du bélier.

    Terme d'architecture hydraulique. Eau qui tombe rapidement par une rigole et qui, trouvant tout à coup un obstacle, se relève en bouillonnant.

  • 9Pièce de bois dans laquelle on fait entrer les anses d'une cloche, pour la suspendre.

    Moutons d'un carrosse, se disait, avant l'usage des ressorts, des pièces de bois, posées d'aplomb sur l'essieu, auxquelles on suspendait la caisse de la voiture. Bois de charronnage… pour une voie composée de 75 moutons de trois pieds et demi de long entrant par eau, est dû 10tt 12s 1d, Déclar. 22 oct. 1715, tarif.

    Pièce qui descend avec la vis de la presse à papier.

    Terme de marine. Arbre en fer qui supporte la cloche du bord.

    Ancien terme de marine. Nom d'un cordage servant à manier l'antenne.

  • 10 S. m. plur. Vagues écumantes, ainsi dites à cause de la blancheur de l'écume, comparée à une toison blanche.
  • 11 Terme de pêche. Petit tas de morues qui ont reçu 4 ou 5 soleils.
  • 12Mouton du Pérou, nom donné autrefois au lama.

    Mouton du Cap, ou, simplement, mouton, nom vulgaire donné aux albatros parce que, aux environs du Cap de Bonne-Espérance, à la surface de la mer, leur plumage blanc les fait ressembler à la frisure de la laine (diomedea exulans, Linné, palmipèdes).

    Mouton marin, espèce de poisson.

  • 13 Terme d'architecture. Queue de mouton, ornement en forme de grosse guirlande autour des médaillons.
  • 14Nom donné par les ouvriers à des congestions locales qui se forment quand des hommes font, sans y être habitués, pendant longtemps de grands efforts musculaires, et qui dessinent les muscles les plus fatigués ; par exemple, quand un apprenti forgeron cogne toute une journée sur son enclume, le mouton survient à l'épaule ; quand un apprenti terrassier se courbe et se redresse successivement toute une journée, le mouton survient au dos.
  • 15Nom d'une ancienne monnaie d'or de France, qui portait d'un côté l'image de saint Jean-Baptiste, et de l'autre celle d'un agneau, avec Ecce Agnus Dei pour légende ; dans le courant du XVe siècle, elle valait 7 fr. 95.
  • 16Pain de mouton, très petit pain dont la surface était couverte de grains de blé, et que l'on donnait aux enfants comme une friandise.
  • 17 Adj. Mouton, moutonne, qui appartient aux moutons. Caractère mouton. Elle a l'air doux, je crois qu'elle n'a pas de malice, elle a une figure moutonne, Genlis, Théât. d'éduc. le Bal d'enfants, II, 3.

    La gent moutonne, les moutons.

    S. f. Moutonne, se dit comme terme familier de caresse à une jeune femme. Me voilà de retour, moutonne ; et tu seras mariée dès ce soir, comme tu le souhaites, Dancourt, Colin-maillard, sc. 23.

    S. f. Moutonne, coiffure de femmes qui a été longtemps en usage, et qui consistait dans une tresse de cheveux frisés et fort touffus, qu'elles se mettaient sur le front.

HISTORIQUE

XIIe s. Li mont s'esledecerent [se réjouirent] sicume multun [arietes], et li tertre sicume li aignel des oeilles [ouailles, brebis], Liber psalm. p. 175. Le multon qu'il volt tuer, Rois, p. 50. As set pas que cil firent qui l'arche porterent, l'um sacrifiout un buef e un multum en l'onurance nostre Seigneur, ib. 141.

XIIIe s. Il ont les greigneurs [les plus grands] moutons du monde, Marc Pol, p. 631. Je voel mangier char de mouton, Chr. de Rains, p. 110.

XIVe s. Que la lune ne soit pas en signe rungant [ruminant], si cum mouton [aries], torel, capricorne, H. de Mondeville, f° 100. Et sachiez qu'il a empruntez pour nous [Jean, roi de France, prisonnier] à Londres la somme de mil et XLIIII moutons, Lett. de JEAN, dans Hist. litt. de Fr. t. XXIV, p. 175.

XVe s. L'en cognoist bien le monton à la laine, Deschamps, Poésies mss. f° 218. Il avoit, en eux prenant, une belle journée et une belle aventure de bons prisonniers, pour avoir cent mille moutons [monnaie], Froissart, I, I, 272. De tels engins de canons, de bombardes, de truies e de moutons se mettoient en peine ceux de Gand de adommager ceux de Oudenarde, Froissart, II, II, 161. Sus, revenons à ces moutons ? Qu'en fut-il ? Patelin. Or revenons à nos moutons : Ma personne fust descendue ; Et, pour faire les comptes rons, Je veys ma dame emmy la rue, Coquillart, le Monologue de la botte de foin.

XVIe s. À peine de l'amende de trois livres parisis pour chacune beste, dix moutons n'estant pris que pour une vache, Nouv. coust. génér. t. I, p. 547. Chair de mouton, manger de glouton, Leroux de Lincy, Prov. t. I, p. 186. Vous avez nom Robin Mouton ; voyez ce mouton-là, il a nom Robin comme vous, Rabelais, IV, 6.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. môton ; provenç. molto, multo, moto ; cat. moltó ; ital. moltone et montone ; bas-lat. multonem, moltonem, mutilonem. La forme primitive a une l : molt… On a dans le celtique : gaël. mult ; kimry, mollt ; irl. molt ; bas-breton, maoud, bélier ; Cornouailles (texte du IXe siècle), molt. On objecte à cette étymologie que molt paraît isolé dans les langues celtiques, et n'a rien qui l'explique. Diez cherche une étymologie latine : le dialecte des Grisons a mult, châtré, qu'on tire, par inversion des lettres, du latin mutilus, mutilé ; il rapproche le provençal moderne cabro mouto, chèvre à laquelle on a enlevé les cornes (toutefois, pour ce mot, voy. MUTÉ). À cela on objecte que multon s'est dit constamment pour bélier, avant l'introduction de bélier, laquelle est assez récente ; ce qui va mal avec le sens de mutilé. De plus toutes les langues celtiques ont le même mot pour bélier ; c'est un indice pour croire que le mot y est indigène. Ainsi l'étymologie incline vers le celtique.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

MOUTON.
17Ajoutez :

Fig. Qui est doux, docile comme le mouton. Et la foule tumultueuse en un instant deviendrait moutonne, Lett. du P. Duchêne, 68e lettre, page 2.

18 En Normandie, poire de mouton, poire précoce bonne à manger, Delboulle, Gloss. de la vallée d'Yères, le Havre, 1876, p. 234.

PROVERBE

Lorsqu'un mouton quitte le troupeau, le loup le mange.

HISTORIQUE

XIIIe s. Ajoutez : Les perrieres [ils] reprendent, s'ont les berfrois levez, Sour pons et sor roieles [petites roues] les grans moutons ferrez, Fierabras, V. 5335.

ÉTYMOLOGIE

Ajoutez : L'objection contre mutilus, à cause que l'ancienne langue donne à mouton le sens de bélier, s'évanouirait, si, avec M. Roulin, on pensait que le mouton est dit ainsi, non parce qu'on le châtre, mais parce qu'on le tond, motilar signifiant en espagnol tondre, et mutilare ayant eu ce sens en latin : mutilum caput Sileni, NEMES. Ecl. III, 33.