« sacrifier », définition dans le dictionnaire Littré

sacrifier

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sacrifier

(sa-kri-fi-é), je sacrifiais, nous sacrifiions, vous sacrifiiez ; que je sacrifie, que nous sacrifiions, que vous sacrifiiez v. a.
  • 1Offrir quelque chose à Dieu avec certaines cérémonies. Sacrifier des victimes. Abraham allait sacrifier son fils.

    Absolument. Nous trouvons une lettre de Julien l'apostat, par laquelle il promet aux Juifs de rétablir la sainte cité, et de sacrifier avec eux au Dieu créateur de l'univers, Bossuet, Hist. II, 12. C'était non seulement trop de bassesse, mais encore trop d'ingratitude au genre humain, de sacrifier à d'autres qu'à Dieu, Bossuet, ib.

    Fig. et absolument. Ils [les faux saints] appellent zèle une colère, et, quand ils tuent, ils pensent sacrifier, Guez de Balzac, Lett. 11, liv. VI.

  • 2Chez les chrétiens, sacrifier le corps et le sang de Jésus-Christ, faire le sacrifice de la messe. Quel homme fut jamais plus propre à sacrifier le corps et le sang de Jésus-Christ que celui qui lui avait fait un sacrifice de tous les moments de sa vie ? Fléchier, Panég. II, p. 110.

    Absolument. Que peut-on imaginer de plus malheureux que de ne pouvoir conserver la foi sans s'exposer au supplice, ni sacrifier sans trouble, ni chercher Dieu qu'en tremblant ? Bossuet, Reine d'Anglet.

  • 3Il se dit des sacrifices offerts aux dieux, dans le polythéisme. Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie, Sacrifiez Iphigénie, Racine, Iph. I, 1. Les premiers hommes ne sacrifiaient que de l'herbe, Montesquieu, Esp. IV, 25. Sanchoniathon, cité par Eusèbe, rapporte que les Phéniciens sacrifiaient dans les grands dangers le plus cher de leurs enfants, Voltaire, Pol. et lég. Tolérance, si l'intolérance fut de droit divin. Ensuite on sacrifia des chevaux au soleil, des cerfs à Diane, des chiens à Hécate, Barthélemy, Anach. ch. 21.

    Par extension. Si votre esprit [M. Barillon, ambassadeur] plein de souplesse… Peut adoucir les cœurs et détourner ce coup [la guerre], Je vous sacrifierai cent moutons : c'est beaucoup Pour un habitant du Parnasse, La Fontaine, Fabl. VIII, 4.

    Absolument. Ceux qui occupent des places comme la vôtre sont d'ordinaire traités comme des dieux ; plusieurs les craignent ; tous leur sacrifient, Voiture, Lett. 34. La victime est choisie, et le peuple à genoux ; Et pour sacrifier on n'attend plus que vous, Corneille, Poly. II, 5. Il [le roi de Babylone] commanda que l'on fît venir des victimes et de l'encens, et qu'on lui sacrifiât, Sacy, Bible, Daniel, II, 46. Cette reine d'Israël, qui.. de retour à Samarie sacrifie à ses veaux d'or comme auparavant, Massillon, Carême, Inconst.

    Fig. Sacrifier aux Grâces, mettre de la grâce dans ses manières, dans ses discours, dans son style. Les Grecs recommandaient aux poëtes de sacrifier aux Grâces ; Milton a sacrifié au diable, Voltaire, Dict. phil. Épopée. Thomas sacrifia toujours à la vertu, à la vérité, à la gloire, jamais aux Grâces, Marmontel, Mém. VI.

    Fig. Sacrifier à, écouter, obéir. Cruel ! c'est à ces dieux [l'orgueil et l'ambition] que vous sacrifiez, Racine, Iphig. IV, 4. En parlant de ce que le roi a fait de grand et d'utile, vous avez trouvé le secret de faire l'éloge d'un ministre votre ami [M. de Choiseul]… vous avez sacrifié à l'amitié et à la vérité, Voltaire, Lett. Beauvau, 5 avril 1771.

    Sacrifier aux préjugés, à la mode, au goût de son siècle, s'y conformer par faiblesse avec excès.

  • 4Sacrifier à ou pour, renoncer à… pour l'amour de Dieu ou d'une personne. Sacrifier à Dieu son ressentiment. J'ai tout sacrifié pour vous. Il a sacrifié sa vie pour son pays. Je sacrifierais tout ce que je possède pour le sauver. Il est du sang d'Hector, mais il en est le reste, Et pour ce reste enfin j'ai moi-même en un jour Sacrifié mon sang, ma haine et mon amour, Racine, Andr. IV, 1. Ces yeux… Qui m'ont sacrifié l'empire et l'empereur, Racine, Brit. V, 1.

    Absolument. Elle a toujours sacrifié ses ressentiments, et n'a jamais voulu nuire, Fléchier, Mme de Montaus.

  • 5Perdre ou délaisser quelqu'un ou quelque chose en vue de quelque chose. Sacrifier sa fortune à son honneur. Il sacrifierait un ami à un bon mot. Et je sacrifierais à de si puissants nœuds Amis, femme, parents et moi-même avec eux, Molière, Tart. V, 7. La vertu demande une vie uniforme, et sacrifie constamment à l'ordre et au devoir les inconstances d'une imagination légère et variable, Massillon, Mystères, Passion, 2. Dans cette année malheureuse [1757], M. de la Rochefoucauld sacrifia soixante mille francs à faire travailler tous les habitants de sa terre, Diderot, Salon de 1765, Œuv. t. XIII, p. 151, dans POUGENS. On avait été forcé de sacrifier tout un jour au passage de la Nara et de son marais, ainsi qu'au ralliement des différents corps, Ségur, Hist. de Nap. IX, 2.

    Sacrifier tout son temps, tout son loisir à une chose, l'y consacrer tout entier.

    Sacrifier son repos, son bonheur, etc. à celui d'un autre, renoncer au repos, au bonheur, etc. pour les assurer à un autre.

    Sacrifier tout à ses intérêts, faire céder toutes choses à ses intérêts.

    On dit de même : sacrifier tout à sa passion, à sa gloire, à son ambition, à la vengeance, etc.

  • 6Sacrifier quelqu'un, le faire périr. Dieu les frappe [les grands] pour nous avertir ; leur élévation en est la cause, et il les épargne si peu, qu'il ne craint pas de les sacrifier à l'instruction du reste des hommes, Bossuet, Duch. d'Orl. Eugène fut pris : il fallut le sacrifier à la vengeance publique, Bossuet, Hist. I, 11. Sur le moindre soupçon il les sacrifiait à sa sûreté, Fénelon, Tél. VIII. Plusieurs des rois furent d'avis qu'il fallait, dans le doute, sacrifier Acanthe à la sûreté publique, Fénelon, ib. XX.
  • 7Sacrifier quelqu'un, signifie aussi le rendre victime de quelque vue, de quelque passion, de quelque intérêt. Sacrifier quelqu'un à son ambition, à son ressentiment.

    Absolument. On a sacrifié les meilleures troupes pour une attaque inutile. César n'est point à lui [Cicéron], Crassus le sacrifie, Voltaire, Catil. II, 1. Angélique : Croyez-vous, monsieur, que mon oncle veuille me sacrifier ? - Dorval : Qu'appelez-vous sacrifier ? Goldoni, Bourru bienf. II, 11. Louis XI, cédant à la nécessité, accorda tout pour sortir du péril où il s'était engagé par son imprudence, et sacrifia les Liégeois, Duclos, Œuv. t. II, p. 353. Comment, ma tante, vous iriez donner Sophie à ce vieux marin ! c'est la sacrifier, Al. Duval, les Héritiers, sc. 12.

  • 8Il se dit aussi dans un sens atténué pour subordonner, mettre dans un rang inférieur. L'auteur a entièrement sacrifié ce rôle de Maxime [dans Cinna] ; il ne faut le regarder que comme un personnage qui sert à faire valoir les autres, Voltaire, Comm. Corn. Rem. Cinna, III, 2. Il [Le Tourneur, traducteur de Shakespeare] l'appelle le dieu du théâtre ; il sacrifie tous les Français, sans exception, à son idole, Voltaire, Lett. d'Argental, 19 juill. 1776. Ce qui la choqua le plus [Mme du Châtelet], ce fut de voir que ces trois ou quatre nations puissantes sont sacrifiées dans ce livre [l'Histoire universelle de Bossuet] au petit peuple juif, qui occupe les trois quarts de l'ouvrage, Voltaire, Mœurs, Rem. I.

    Sacrifier un amant, le quitter pour un autre. Marion de Lorme, qui était un peu moins qu'une prostituée, fut un des objets de son amour, et elle le [le cardinal de Richelieu] sacrifia à des Barreaux, Retz, Mém. t. I, liv. I, p. 16, dans POUGENS.

  • 9Se sacrifier, v. réfl. S'offrir en sacrifice. Que le plus coupable de nous Se sacrifie aux traits du céleste courroux, La Fontaine, Fabl. VII, 1. Il [le Messie] devait… se sacrifier pour eux [les hommes], être une hostie sans tache…, Pascal, Pens. XVIII, 16, édit. HAVET. Toutes ces pieuses observances avaient dans la reine l'effet bienheureux que l'Église même demande ; elle se renouvelait dans toutes les fêtes, elle se sacrifiait dans tous les jeûnes et dans toutes les abstinences, Bossuet, Mar.-Thér.
  • 10 Fig. Se rendre victime de quelque intérêt, de quelque dévouement. Il mande à ses agents dans la conférence qu'il n'est pas juste que la paix de la chrétienté soit retardée à sa considération… qu'on lui laisse suivre sa fortune ; ah ! quelle grande victime se sacrifie au bien public ! Bossuet, Louis de Bourbon. Je vais donc, puisqu'il faut que je me sacrifie, Assurer à Pyrrhus le reste de ma vie, Racine, Andr. IV, 1. Tous deux d'intelligence à nous sacrifier, Loin de moi, par mon ordre, il courait m'oublier, Racine, Mithr. IV, 4. Je me charge de vous excuser auprès de la marquise, n'en soyez pas en peine, et ne vous sacrifiez point, Marivaux, Marianne, part. 9.

    Se consacrer entièrement. Un homme capable comme lui de se sacrifier entièrement à l'algèbre n'est pas un présent que la nature fasse tous les jours aux sciences, Fontenelle, Rolle.

    Se sacrifier pour quelqu'un, se dévouer à lui sans réserve.

HISTORIQUE

XIIe s. E fist abatre le vergier où l'om lui soleit sacrefier [à Priape], Rois, p. 302.

XIIIe s. Là ot deux chats sacrefiés Et deux colombiaus… Pour encercher la verité, Bataille des sept arts.

XIVe s. Comme l'en raconte d'un qui occist et sacrifia sa mere et en menga, Oresme, Eth. 203.

XVIe s. Des tyrans ont esté sacrifiez à la haine du peuple par les mains de ceulx mesmes qu'ils avoient iniquement advancez, Montaigne, IV, 9.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. sacrificar, sacrifiar ; espagn. sacrificar ; ital. sagrificare ; du lat. sacrificare (voy. SACRIFICE).