« étouffer », définition dans le dictionnaire Littré

étouffer

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

étouffer

(é-tou-fé) v. a.
  • 1Ôter la respiration en privant de communication avec l'air ou en comprimant. J'ai pensé être étouffé à la porte, Molière, Critique, sc. 5. On étouffe aisément qui se laisse presser, Rotrou, Antig. I, 6. Les dames de la cour, indignées de ce qu'il leur avait préféré une personne d'une si basse naissance, étouffèrent l'enfant, Montesquieu, Esp. VI, 13.

    Étouffer les cocons des vers à soie, les mettre dans une étuve ou les exposer à la vapeur d'eau bouillante pour tuer la chrysalide, afin que le papillon qui en proviendrait sans cela ne perce pas le cocon pour en sortir ; les cocons percés ne peuvent plus être filés, parce que, pour les filer, on les met dans l'eau où ils surnagent, tandis que, s'ils étaient percés, ils se rempliraient d'eau et tomberaient au fond.

    Par exagération. Serrer fortement. Les pleurs recommencèrent, et on pensa étouffer l'enfant à force de le baiser, Scarron, Rom. com. I, 13. La connaissance la plus légère met un homme en droit d'en étouffer un autre en l'embrassant, Montesquieu, Lett. pers. 28.

    Fig. Étouffer quelqu'un, le perdre, le faire périr. J'embrasse mon rival, mais c'est pour l'étouffer, Racine, Brit. IV, 3. Égisthe est l'ennemi dont il faut triompher ; Jadis en son berceau je voulus l'étouffer, Voltaire, Mérope, I, 4.

    Familièrement. Que la peste l'étouffe ! Sorte d'exclamation pour exprimer son mécontentement de quelqu'un.

  • 2Ôter la communication avec l'air libre et par là empêcher de brûler. Étouffer un incendie. Étouffer du charbon, de la braise.

    Fig. Il n'eût point vu Créüse, et cet objet nouveau N'eût point de notre hymen étouffé le flambeau, Corneille, Médée, I, 5.

    Fig. Étouffer la révolte. Il étouffait les querelles dans leur naissance, Fléchier, Duc de Mont. Employez votre autorité à étouffer ces disputes dès leur naissance, Fénelon, Tél. XXIII.

    Étouffer une affaire, une querelle, empêcher qu'elle n'éclate, qu'elle n'ait des suites. Vous êtes pris ; ne vous montrez donc pas ; C'est le moyen d'étouffer cette affaire, La Fontaine, Rémois. Croyez-moi, madame, puisque nous y consentons, ce que vous avez de mieux à faire, c'est d'étouffer cette malheureuse aventure…, Picard, Noce sans mariage, IV, 12.

  • 3Priver les plantes de l'air nécessaire à leur végétation. Les mauvaises herbes étouffent le blé.

    Fig. Le prédicateur, dans Samuel Clarke, a étouffé le philosophe, Voltaire, Ph. ignor. 13.

    Terme de jardinage. Étouffer des boutures, les placer sous une cloche en verre pour les soustraire à l'action de l'air, et favoriser le développement des racines.

  • 4Étouffer des sons, les rendre moins éclatants, les amortir.

    Ne pas laisser entendre. Fasse le juste ciel propice à mes désirs Que ces longs cris de joie étouffent vos soupirs ! Corneille, Pomp. v, 5. Pour étouffer les cris que poussaient ces malheureuses victimes [dans les sacrifices humains], on faisait retentir, pendant cette barbare cérémonie, le bruit des tambours et des trompettes, Rollin, Hist. anc. Œuvres, t. I, p. 190, dans POUGENS.

    Étouffer la voix, en empêcher l'émission. La grande joie où je suis étouffe toutes mes paroles, Molière, l'Am. méd. III, 6. Tant de coups imprévus m'accablent à la fois Qu'ils m'ôtent la parole et m'étouffent la voix, Racine, Phèd. IV, 2. Le sang qui coule étouffe sa voix, Fénelon, Tél. XX.

    Fig. L'amour étouffe en vous la voix de la nature, Corneille, Rodog. IV, 3.

    Étouffer se dit aussi de celui qui retient sa voix, ses soupirs, etc. Je veux bien toutefois étouffer ce murmure, Corneille, D. Sanche, IV, 3. Je me suis tu, j'ai étouffé mes soupirs, Fénelon, Tél. VII. En tâchant d'étouffer ses sanglots, Rousseau, Ém. v.

  • 5Supprimer, détruire. Cette gloire… Doit étouffer en nous tous autres sentiments, Corneille, Hor. II, 3. Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements L'erreur dont j'ai formé de si faux sentiments ? Corneille, ib. IV, 2. Et la peur d'être ingrate étouffe votre deuil, Corneille, Tois. d'or, I, 1. Croyez-vous que… L'absence ait de mes feux les ardeurs étouffées ? Rotrou, Bélis. II, 4. Il faut donc étouffer tous les sentiments de la nature, Sévigné, 418. Je le priais de ne point étouffer le Saint-Esprit dans son cœur, Sévigné, 37. On fit les derniers efforts pour étouffer cette doctrine, Bossuet, Lett. 209. Étouffe dans son sang ses désirs effrontés, Racine, Phèd. IV, 2. Quoi ! j'étouffe en mon cœur la raison qui m'éclaire…, Racine, Andr. v, 4. Quand il s'agit d'étouffer dans leur naissance ces faibles désirs de pénitence, Massillon, Carême, Respect hum. Je sens naître malgré moi des scrupules. - Il faut les étouffer, Lesage, Turcaret, IV, 9. Étouffez dans son cœur un orgueil insensé, Voltaire, Brutus, II, 4. De Séide et du reste étouffez la mémoire, Voltaire, Fanat. v, 2. On étouffe l'esprit des enfants sous un amas de connaissances inutiles ; mais de toutes les sciences la plus absurde, à mon avis, et celle qui est la plus capable d'étouffer toute espèce de génie, c'est la géométrie [paroles mises dans la bouche d'un précepteur ignorant], Voltaire, Jeannot.
  • 6 Terme de marine. Étouffer les voiles, les presser contre le mât, pour les dérober à l'action d'un vent trop violent. On dit aussi étrangler.
  • 7 Terme de cartonnier. Étouffer la colle, la faire tourner en eau pour l'avoir trop remuée.
  • 8 V. n. Avoir la respiration gênée par défaut d'air. Ouvrez la fenêtre, on étouffe ici. Délacez cette femme, elle étouffe. Elle étoufferait plutôt que de laisser échapper un soupir en sa présence, Rousseau, Ém. v. Sur ces sables muets, cette mer sans courroux S'entr'ouvre, nous dévore, et se ferme sur nous ; Ma sœur, j'étouffe encore, Ducis, Abufar, II, 2.

    Familièrement. Étouffer de rire, rire jusqu'à perdre la respiration. Ah ! pour étouffer n'étouffons que de rire, Béranger, Gourmands.

    Étouffer à force de manger, avoir la respiration gênée parce que l'estomac est trop plein. Et d'ailleurs à chaque repas D'étouffer ne tremblez-vous pas ? Béranger, Gourmands.

    Étouffer de rage, être si en colère qu'on en perd la respiration.

    Fig. J'étouffais dans l'univers, j'aurais voulu m'élancer dans l'infini, Rousseau, 3e lett. à M. de Malesherbes.

  • 9S'étouffer, v. réfl. Perdre la respiration. Cette femme s'étouffait de rire, Sévigné, 70. Il s'est étouffé de crier après les chiens, La Bruyère, VII.

    S'étouffer, se serrer les uns les autres dans une grande foule. On s'est étouffé à ce bal. Il y avait bien des places de vides, tout le monde ayant cru qu'on s'y étoufferait, Maintenon, Lett. à M. d'Aubigné, 5 oct. 1682.

    Se faire périr l'un à l'autre. Que, rappelant leur haine, au lieu de la chasser, Ils s'étouffent, Attale, en voulant s'embrasser, Racine, Théb. III, 6.

    Être étouffé, n'être pas entendu. Leurs murmures s'étouffèrent parmi les acclamations générales. Et ce bruit insensé que l'homme croit sublime Se sera pour jamais étouffé dans l'abîme, L'abîme qui n'a plus d'échos, Lamartine, Harm. I, 10.

    Avec suppression du pronom personnel. Si cette méchante doctrine était renfermée dans les livres de deux ou trois casuites inconnus, peut-être qu'il serait utile de la laisser étouffer par l'oubli et par le silence, Pascal, 3e et 4e factum pour les curés de Paris, 2e part.

SYNONYME

ÉTOUFFER, SUFFOQUER. Étymologiquement étouffer, c'est empêcher l'air d'arriver ; suffoquer, c'est serrer la gorge ; de là la différence entre ces deux verbes. On étouffe quand l'air manque d'une façon quelconque ; on suffoque, quand la gorge est obstruée d'une façon quelconque.

HISTORIQUE

XVIe s. Les plantes s'estouffent de trop d'humeur, et les lampes de trop d'huile, Montaigne, I, 139. Essayant d'estouffer dans le vin cette fascheuse pensée, Montaigne, II, 37. Ils [les chiens de la fable] entreprindrent de boire cette eau, d'asseicher le passage, et s'y estoufferent, Montaigne, IV, 236. Logez pesle mesle plusieurs ensemble dessoubs petites tentes et cabannes estouffées, Amyot, Péric. 66. Il fut foulé aux piedz et estouffé à la porte du camp par la multitude des fuyans, Amyot, Lucull. 31. Cest air estouffé et le poulcier ensemble leur entroit dedans la gorge, Amyot, Sertor. 24.

ÉTYMOLOGIE

Bourguign. étôffai ; wallon, sitofé, stofé ; de es- préfixe, et un radical touf, qui se trouve dans l'italien tuffo, immersion, l'espagnol tufo, vapeur, le provençal moderne toufe, vapeur étouffante, le lorrain toufe, étouffant. Ce radical est rattaché par Diez au grec τύφος, vapeur (voy. TYPHUS). Scheler conteste cette étymologie, objectant que les autres langues romanes qui auraient le primitif n'auraient pas le dérivé étouffer, et que toufe n'est pas dans le français (ce qui n'est pas complétement exact, puisqu'il est dans le lorrain) ; en conséquence il incline à regarder étouffer comme identique avec étouper, par l'intermédiaire du germanique ; anc. h. allem. stuphan ; allem. stopfen. Ce qui semble parler pour Diez, c'est que le français, le bourguignon et le wallon gardent l'f pour étoufer et le p pour étouper (voy. TOUFFEUR).

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ÉTOUFFER. Ajoutez :
1S'étouffer, être étouffé, supprimé, ne pas suivre son cours. Enfin le procès s'est étouffé petit à petit, Patin, Lettres, t. II, p. 292.

REMARQUE

Étouffer, verbe neutre, se conjugue d'ordinaire avec l'auxiliaire avoir. Cependant J. J. Rousseau s'est servi de l'auxiliaire être : À l'égard de Mme d'Épinay, je lui ai envoyé vos lettres et les miennes ; je serais étouffé de douleur sans cette communication, Rousseau, Lett. à Diderot, janv. 1757. J'aurais étouffé conviendrait seul ici.