« abîme », définition dans le dictionnaire Littré

abîme

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abîme

(a-bî-m') s. m.
  • 1Cavité profonde ou sans fond. Les abîmes de la terre. Il s'est formé plusieurs abîmes. Rouler dans un abîme. Il n'est guère de hauteur qui ne soit voisine d'un abîme. Sondez cet abîme, si vous le pouvez, Massillon, Conf. … du fond de l'abîme entr'ouvert sous ses pas, Racine, Ath. III, 5. Je frémis quand je voi Les abîmes profonds qui s'ouvrent devant moi, Racine, Esth. III, 1. Sur cent premiers peuples célèbres, J'ai plongé cent peuples fameux Dans un abîme de ténèbres, Où vous disparaîtrez comme eux, Béranger, Temps. Pour se rabaisser jusqu'aux derniers abîmes du néant, Pascal, Conv. du péch. Tout à coup le terrain s'affaisse et ouvre un abîme, Fénelon, Tél. XX.
  • 2L'abîme, les flots, l'océan. Il se précipita dans l'abîme.
  • 3L'enfer, dans le langage de l'Écriture. Les puits de l'abîme. Ils tombent dans les abîmes éternels, Bossuet, Prédic. I. Puisqu'il suit l'âme jusque dans le fond de l'abîme, où il la tient captive et asservie, quand, malgré lui, sera-t-elle en état d'en sortir ? Bourdaloue, Pens. t. III, p. 69. L'Hébreu… invoque l'abîme et les cieux et Dieu même, Voltaire, Henr. v.

    Par exagération poétique. Sa sombre tyrannie entassait les victimes, Et des prisons d'État il peuplait les abîmes, Chénier M. J. Ch. IX, III, 1.

  • 4Ce qui est extrême, le dernier degré ; précipice, ruine, perte. C'est un abîme de vices. Se jeter dans un abîme de débauches. Cette maison est un abîme. Le luxe est un abîme qui engloutit tout. Tomber du faîte des grandeurs dans l'abîme. Mes ennemis me poussent dans l'abîme. Nous dormons sur les bords de l'abîme. L'homme impatient est entraîné dans un abîme de malheurs, Fénelon, Tél. XXIV. Il est toujours dans l'abîme de la douleur, Sévigné, 219. Pour moi qui ne vois rien dans le trouble où je suis, Qu'un gouffre de malheurs, qu'un abîme d'ennuis, Corneille, Rodog. v, 4. Sous mes pas, c'est creuser un abîme, Corneille, ib. v, 1. Didon regarde avec horreur autour d'elle et ne voit que des abîmes, Chateaubriand, Génie, II, III, 2. Mes frères, quel abîme qu'une grande place ! Massillon, Louis. Ses yeux s'étaient fermés sur les bords de l'abîme, Voltaire, Alz. v, 2. Dans l'abîme effroyable où je suis descendu, Voltaire, Tancr. II, 6. … sur le bord de l'abîme Où votre aveuglement vous conduit par le crime, Voltaire, Catil. I, 5. Dans quel abîme affreux vous me précipitez ! Racine, Mithr. II, 6. De piége en piége et d'abîme en abîme, Racine, Ath. IV, 3. Vous qui portez sur la conscience les abîmes d'une vie entière de désordre, Massillon, Av. Bonh. L'homme n'est qu'un abîme de faiblesse, Massillon, Prière, 1. Faut-il que vous soyez un abîme de contradictions ? Massillon, Délai. Fait-elle monter de l'abîme de sa douleur les cris d'un repentir sincère ? Massillon, Impén. Cet abîme de soins et d'embarras ne lui laissait pas le loisir de chercher dans les prophéties d'Isaïe…, Massillon, Bonh. Si vous ne sortez pas de l'abîme où vous vivez, Massillon, Car. Conv. Les Juifs tombèrent dans un autre abîme, Bossuet, Erreur. Replonger dans de nouveaux abîmes, La Bruyère, 1.
  • 5Dans un sens favorable. Cet homme est un abîme de science, il est très savant. Les habitants de l'Élysée sont plongés dans cet abîme de délices, comme les poissons dans la mer, Fénelon, Tél. XIX. L'âme va se perdre dans le vaste abîme de ses perfections, Bossuet, Excel. de Dieu.
  • 6Lieu, chose impénétrable, mystère. La nature a caché la vérité au fond d'un abîme. L'âme humaine a des abîmes impénétrables. L'infini est un abîme pour l'esprit humain. Il se figure des abîmes inconnus dans sa conscience, Massillon, Tiéd. J. Ô mon Dieu ! je n'ose regarder d'un œil fixe les abîmes de vos jugements et de votre justice, Massillon, Car. Nombre des élus. Je ne viens pas, Seigneur, sonder les abîmes de vos jugements, Fléchier, Tur. Dieu, dont les jugements sont des abîmes, Fléchier, ib. Dieu seul de nos esprits pénètre les abîmes, Rotrou, Bél. v, 5. Des plus affreux complots il perce les abîmes, Voltaire, Sém. I, 3. Je n'ai jamais d'Helmonde approfondi le crime ; Mes yeux ont toujours craint de percer cet abîme, Ducis, Lear, I, 2.
  • 7 Terme de blason. Centre de l'écu lorsqu'il porte une ou plusieurs pièces qui ne chargent aucune des autres. Il porte trois besans d'or, avec une fleur de lis en abîme.
  • 8Géolog. Cavité naturelle presque perpendiculaire, d'une grande profondeur et ne renfermant aucun liquide.
  • 9Chand. Auge de bois contenant le suif fondu.

    Prov. L'abîme appelle l'abîme, un malheur en appelle un plus grand. Un abîme attire un autre abîme, et une médisance une autre médisance, Bourdaloue, Pens. t. III, p. 167.

REMARQUE

On n'écrit plus abyme, malgré l'étymologie.

HISTORIQUE

XIIe s. Molt est griés chose d'eschevir l'abisme des vices, Saint Bernard, p. 167. Li quatre venz eissent d'abisme, Benoit de Sainte-Maure, II, 2055.

XIIIe s. Et puis recheoit [le navire] si profond que avis estoit qu'elle cheïst en l'abisme et avenoit priès la tere el fons, Ch. de Rains, 47.

XIVe s. Son jugement [de Dieu] est un abisme ; N'est homs qui en sache la disme, Machaut, p. 97.

XVe s. Tant sur terre comme en abysmes [en mer], Froissart, Buiss. de jeun. Pourquoi ne dirons-nous abysme de hardement et de prouesse estre en celui vaillant mareschal et sa noble compaignie, Bouc. II, 22.

XVIe s. Toi qui du cœur les abysmes connois, Du Bellay, J. II, 35, recto. Je vois sortir des abysmes Une orque pour m'abysmer, Du Bellay, J. II, 37, recto. Certainement il entendoit combien estoit grande l'abysme de nos pechés, Calvin, Inst. 498. Que l'abysme de ta misericorde engloutisse l'abysme de nos pechés, Calvin, ib. 500. Il a les grand'eaux amassées En la mer comme en un vaisseau ; Aux abysmes les a massées, Comme un tresor en un monceau, Marot, IV, 272. Là de la terre et là de l'onde Sont les racines jusqu'au fond De l'abysme la plus profonde, Ronsard, 356.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. abis et abisme ; espag. abismo ; ital. abisso ; de abyssus, de ἄβυσσος, de α priv. et βυσσός, fond, sans fond. Βυσσός est de même radical que bout (voy. ce mot). Abisme en français et en provençal, abismo en espagn. est un substantif superlatif représentant abyssimus, le gouffre le plus profond, comme en latin oculissimus, dominissimus. Les formes provençales et italiennes abis et abisso reproduisent directement le latin abyssus. Ce mot a été féminin dans le XVIe siècle, sans aucune raison, si ce n'est la terminaison en e muet.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

ABÎME. Ajoutez :
10En abîme, de haut en bas et à une grande profondeur. Un autre dessin déploie le panorama de Paris vu en abîme du plateau de la butte Montmartre, Th. Gautier, Journ. offic. 30 août 1871, p. 3083, 2e col.