« chacun », définition dans le dictionnaire Littré

chacun

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

chacun, chacune

(cha-kun, cha-ku-n' ; l'n ne se lie pas : chacun a ses passions, dites cha-kun a ses passions), pronom distrib. Chacun n'a pas de pluriel.
  • 1Chaque personne, chaque chose. Chacun prit sa part. Chacun des assistants applaudit. Chacune de ces femmes. Chacun fut de l'avis de M. le doyen, La Fontaine, Fabl. II, 2. Ils allaient [deux rats] de leur œuf manger chacun sa part, La Fontaine, ib. X, 1. Chacune avait sa brigue et de puissants suffrages, Racine, Esth. I, 1. Chacun se disputait la gloire de l'abattre, Racine, Andr. V, 3. Ce n'est pas moi qui les ai mis chacun à leur place, Massillon, Vérité de la religion. Quatre cent vingt-six ans après le déluge, comme les peuples marchaient chacun en sa voie, Bossuet, Hist. I, 3. Tout cela agité, approfondi, discuté et disputé entre nous deux [le duc d'Orléans et moi] nous laissa chacun dans sa persuasion, Saint-Simon, 521, 172. On se battait pour avoir le pillage du camp ennemi ; après quoi le vainqueur et le vaincu se retiraient chacun dans sa ville, Montesquieu, Rom. I. Les abeilles, dans un lieu donné, tel qu'une ruche ou le creux d'un vieux arbre, bâtissent chacune leur cellule, Buffon, Abeilles. Chacun des juges s'était adjugé le prix, en même temps que la plupart avaient accordé le second à Thémistocle, Barthélemy, Anach. IIe partie. Les nymphes n'étaient pas inutiles : elles préparaient les autres plaisirs, chacune selon son office, La Fontaine, Psyché, I, p. 70.
  • 2Au masc. d'une manière indéfinie, en parlant des hommes ou des femmes, toute personne, qui que ce soit, tout le monde, on. Chacun en parle. Chacun voit ceux [les maux] d'autrui d'un autre œil que les siens, Corneille, Hor. III, 4. Chacun en liberté peut disposer du sien [bien], Corneille, Cinna, II, 1. Dans le temple voisin chacun cherche un asile, Racine, Phèd. V, 6. Comme un point de maturité que chacun cherchait en lui-même, Fléchier, le Tell. Chacun est prosterné Devant les plus heureux ; sont-ils dans la misère, On les plaint tout au plus…, Destouches, Dissip. V, 15. Par les richesses, l'ambitieux se peut assouvir d'honneurs ; le voluptueux, de plaisirs chacun enfin, de ce qu'il demande, Bossuet, la Vallière.

    Familièrement, au fém. Sa chacune, la femme avec qui un homme est uni. À voir chacun se joindre à sa chacune ici, J'ai des démangeaisons de mariage aussi, Molière, l'Étour. V, 16. Nous suivons nos désirs, et, sans pudeur aucune, Chacun comme il lui plaît avecque sa chacune, Lafare, Réponse à une ball.

  • 3Un chacun, pour chacun, a vieilli. Un chacun doit mourir, et la Parque felonne De ce commun devoir ne dispense personne, Garnier, Antig. III. Vous recevrez les vœux d'un chacun, Guez de Balzac, I, 197. Ce que fait un tout seul, tout un chacun le sache, Régnier, Élég. 2. Dans l'esprit d'un chacun je le tue aujourd'hui, Molière, l'Étour. II, 1. Hautement d'un chacun elles blâment la vie, Molière, Tart. I, 1. … D'un chacun il doit être approuvé, Molière, ib. II, 4. Un chacun est chaussé de son opinion, Molière, Éc. des Fem. I, 1. Leur gloire est un flambeau qui éclaire aux yeux d'un chacun la honte de vos actions, Molière, Don Juan, IV, 6. Voilà par sa mort un chacun satisfait, Molière, ib. V, 7. Un chacun de ces dieux faisait un Christ à sa mode, Bossuet, Bonté, 1. Il est vrai, à la lettre, d'un chacun de vous que vous allez être établis ou que vous l'êtes déjà pour édifier ou pour détruire, Massillon, Confér. Excell. du sacerd. Trouveriez-vous le maître que vous servez avec tant de zèle et de valeur, équitable, si là-dessus la fidélité d'un chacun de vous lui devenait suspecte ? Massillon, Car. Inj. du monde. Examinant la disposition d'un chacun, Fléchier, Serm. II, 267.

PROVERBES

Chacun pour soi, Dieu pour tous.

À chacun le sien ce n'est pas trop, c'est-à-dire il est juste qu'on rende à chacun ce qui lui appartient.

REMARQUE

1. Faut-il dire : ils ont pris chacun son chapeau ; ils sont sortis chacun de son côté ; ou bien, par le possessif du pluriel : ils ont pris chacun leur chapeau ; ils sont sortis chacun de leur côté ? L'un et l'autre se disent et sont corrects : quand on emploie son, on le fait rapporter à chacun en tant que chacun est distributif : ils ont pris, (savoir) chacun (a pris) son chapeau ; leur, quand on l'emploie, se rapporte à chacun, en tant qu'il est collectif : ils ont pris leurs chapeaux, (savoir) chacun a pris le sien. À la première et à la seconde personne, chacun exige le possessif du pluriel : nous avons pris chacun notre chapeau ; vous êtes partis chacun de votre côté. À la vérité il n'y a aucune incorrection grammaticale à dire : nous avons pris chacun son chapeau ; vous êtes partis chacun de son côté ; mais cette tournure est inusitée, JULLIEN.

2. Chacun ne se met pas devant un nom au lieu de chaque ; on ne dit pas : il sera payé par chacun an ; mais on dit : il sera payé chaque année. Autrefois chacun s'employait avec un substantif. La nomination de douze officiers par chacun an, Perrot D'Ablancourt, Tac. 92. Qu'aussitôt que chacune sœur [des trois], La Fontaine, Fabl. II, 20.

HISTORIQUE

IXe s. Et in cadhuna cosa, Serment.

XIe s. Pur chascun un dener, Lois de Guill. 6. Quant cascuns ert [sera] à son meillor repaire, Ch. de Rol. IV. Chaucuns portout [portait] une branche d'olive, ib. XI. Car chascun jour de mort il s'abandone, ib. XXVIII.

XIIe s. Chesquns huem [homme] est mençungiers, Liber psalm. p. 178. Chascuns est moult irez, Roncisv. 17. Plorent et crient chascuns de ses casez, ib. 18. Entre ses bras il prist chascun baron, ib. 98. Chascuns paiens en baissa le menton, ib. 128. Et chascuns d'eus inclina à Mahon, ib. Dame, mar [je] vi le clair vis et la face Où rose et lis florissent chascun jour, Couci, X. Las ! chascuns chante, et je plor et souspir, ib. XII. Chascuns plore sa terre et son païs, Quant il se part de ses coraus amis, ib. XXIV. Faites chascun baron en sa terre envoyer, Saxons, VI.

XIIIe s. Chascuns i est couru la merveille esgarder, Berte, III. Et lui et ses deux fils chascun [le roi] fait chevalier, ib. CXXIX.

XVe s. Elle joue et rit à chascun, Froissart, Esp. am. Et avoient chacuns bannieres de leurs mestiers, Froissart, II, II, 193. Quatre cents marcs d'esterlins, à payer chacun en la ville de Bruges, Froissart, I, I, 27. Si se retraist chacun vers leur ville, Froissart, I, I, 272. Chascun jour se menoit de petis marchez pour soustraire gens l'ung à l'autre, Commines, I, 9. Ils s'en allerent chacun à sa chacune [chez soi], Louis XI, Nouv. XXIX. Et sur ce, s'en allerent tous, chacun en sa chacune, Louis XI, ib. XCVII.

XVIe s. Vien-ça chacun, je te veux faire entendre Et te monstrer la voye où tu dois tendre, Marot, IV, 270. Justes humains, menez joie orendroit Chacun de vous, qui avez le cueur droit, Aussi un chacun et chacune, ô Roy, t'honorera, Marot, IV, 297. Obligez nous bailler par chascun an deux millions d'or, Rabelais, Garg. I, 50. Secondement que nous appliquions chacun son esprit, tant qu'il sera possible, à penser aux œuvres de Dieu, Calvin, Instit. 298. Quant nous disons que J. C. a esté fait homme pour nous faire enfans de Dieu, cela ne s'estend pas à tout chacun, Calvin, ib. 364. Allons un chacun selon son petit pouvoir, Calvin, ib. 537. Il y a occasion de prier à chacune heure, Calvin, ib. 678. Voicy le carneval, menons chascun la sienne, Allons baller en masque, allons nous pourmener, Du Bellay, J. VI, 32, recto. Si est chascun de nous à soymesmes tesmoing Combien la France doit de la guerre estre lasse, Du Bellay, J. ib. verso. Chascun peult penser comme il feut relevé, Montaigne, I, 39. Elles ont chascune des passions propres, Montaigne, I, 97. Au veu d'un chascun, Montaigne, I, 111. Essayons de faire nostre debvoir, chascun de son costé, La Boétie, 164. Chascune de ces parts estoit telle, qu'elle pouvoit rendre à son maistre par chascun an 70 minots d'orge…, Amyot, Lyc. 12. La ville de Corinthe recevoit une très glorieuse louange et benissement d'un chascun de delivrer ainsi la Sicile, Amyot, Timol. 33. Tout chacun s'embesoigna aux barricades, Carloix, V, 15.

ÉTYMOLOGIE

Chaque, et un ; bourguig. champenois et génev. chécun ; Berry, châcun ; picard cacun ; Saintonge, chaque d'yn, chaquyn ; provenç. cascun, quascun ; ital. ciascuno.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

CHACUN. - ÉTYM. Ajoutez : Chacun vient du lat. quisque unus ; mais, comme on peut voir à CHAQUE, la transformation de quisque en cha fait une certaine difficulté. Il est bon dès lors de noter la forme cheun : XIIe s. Samuel fud juges sur le pople tute sa vie, et alad cheun an envirun Bethel, e Galgala, e Masphat, Rois, p. 26. Cheun, où d'ailleurs on remarquera la chute du c suivant la règle antique, est une transition de l'i latin vers l'a qui a prévalu.