« nager », définition dans le dictionnaire Littré

nager

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

nager

(na-jé. Le g prend e devant a et o : je nageais, nageons) v. n.

Il se conjugue avec l'auxiliaire avoir.

  • 1Se soutenir et avancer sur l'eau par le mouvement de certaines parties du corps. Nager comme un poisson. Nager sur le dos. Nager entre deux eaux. Tantôt on les eût vus côte à côte nager [deux oiseaux d'eau], Tantôt courir sur l'onde et tantôt se plonger, La Fontaine, Fabl. III, 12. Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide, La Fontaine, ib. IV, 11. Lorsque vous suivez en nageant le cours de la rivière qui vous conduit, il vous semble qu'il n'y a rien de si doux ni de si paisible ; mais, si vous remontez contre l'eau, c'est alors que vous éprouvez la rapidité de son mouvement, Bossuet, 1er sermon, Pentec. 1.

    Il nage comme une meule de moulin, comme un chien de plomb, se dit d'un homme qui ne sait pas du tout nager.

    Fig. Nager en grande eau, être dans l'opulence, ou être dans les emplois, dans les positions où l'on s'enrichit. Rien n'est tel, comme on dit, que nager en grande eau, Du Cerceau, les Deux cousins, I, 15. Quand j'ai nagé en grande eau, j'ai toujours eu le malheur de m'y noyer, Lesage, Guzm. d'Alfarache, VI, 8.

    Fig. Nager entre deux eaux, se ménager entre deux partis, ne s'attacher à aucun.

    On dit dans le même sens : nager entre deux partis. Ceux qui songent à contenter tout le monde, et nagent comme incertains entre deux partis, Bossuet, Polit. X, IV, 1. La situation de Sedan dans les Ardennes et sur un bord jaloux de frontière mit ces seigneurs en état de nager entre la France et la maison d'Autriche, Saint-Simon, 167, 227.

    Fig. Nager entre les extrémités, être également éloigné des extrêmes. L'on voit peu d'esprits entièrement lourds et stupides ; l'on en voit encore moins qui soient sublimes et transcendants ; le commun des hommes nage entre les deux extrémités, La Bruyère, XI.

    Fig. Nager contre le courant, contre le torrent, résister à l'opinion commune. Il a, je l'avoue, la réputation d'un honnête homme ; mais je vois trop qu'il n'y a point de juge qui le soit assez pour nager contre le torrent et se roidir tout seul contre une cabale puissante, Rousseau J.-B. Lett. à Boutet, 20 juillet 1712.

  • 2 Terme de marine, seulement usité en parlant du maniement des avirons. Ramer pour voguer sur l'eau. Il força, l'épée à la main, l'équipage de sa chaloupe à nager, il vint à la galiote…, Fontenelle, Renau.

    Nager à caler, synonyme de scier.

    Nager sec, remuer les avirons de manière à ne pas faire jaillir l'eau.

    Nager à sec, prendre appui avec ses avirons sur un quai ou un rivage.

    Nager de long, faire parcourir le plus grand espace possible à la pelle de l'aviron.

    Nager sur le fer, empêcher une embarcation de chasser.

    Au sens de ramer, il est actif aussi : nager la chaloupe à bord.

  • 3Flotter sur l'eau, ne point aller au fond, surnager. Le liége nage sur l'eau. L'huile nage sur l'eau.
  • 4 Par extension, être dans un fluide quelconque. Poisson qui nage dans le beurre.
  • 5Flotter d'une façon quelconque. Ces grands corps de lumière… qui nagent, pour ainsi dire, dans ces espaces, Massillon, Carême, Vérité de la religion. Au delà de leurs cours [des astres], et loin dans cet espace, Où la matière nage et que Dieu seul embrasse, Sont des soleils sans nombre et des mondes sans fin, Voltaire, Henr. VII.
  • 6 Fig. Nager dans…, être au milieu de… Les douceurs où je nage ont une violence Qui ne se peut céler, Malherbe, V, 25. Je nage dans la joie, et je tremble de crainte, Corneille, Cid, III, 5. Son cœur nage dans la mollesse, Racine, Esth. II, 9. Elles nagent dans la prospérité, La Bruyère, VI. Nageant dans le reflux des contrariétés, Voltaire, Fanat. IV, 3. Nous nageons dans l'incertitude ; nous avons très peu d'idées claires, Voltaire, Lett. à M***, 1776. Je n'entends parler que de millions [lors du système de Law] ; on dit que tout ce qui était à son aise est dans la misère, et que tout ce qui était dans la mendicité nage dans l'opulence, Voltaire, Lett. en vers et en prose, 9. Couronné de rayons, nageant dans la lumière, Voltaire, Henr. X. Sûre qu'en présentant le mérite à ta vue, Ce monde où tu nageais, qui t'a longtemps déçue, Te paraîtrait bientôt ce qu'il est en effet, Du plus parfait mépris le méprisable objet, Lanoue, Coquette corr. V, 6.
  • 7 Par exagération, nager dans le sang, en être couvert. Le bûcher, par mes soins détruit et renversé, Dans le sang des bourreaux nagera dispersé, Racine, Iph. V, 2. Je me souviendrai toute ma vie d'avoir vu cette tête qui nageait dans le sang, Fénelon, Tél. II.

    Nager dans son sang, être tout couvert de son sang. Ils n'y auront trouvé qu'un corps sans tête nageant dans son sang, Sacy, Judith, XIV, 4.

    Par extension, être rempli de carnage. Tout nage dans le sang, et on ne tombe que sur des corps morts, Bossuet, Anne de Gonz. Déjà l'armée hollandaise avec ses superbes étendards ne lui échappera pas ; tout nage dans le sang, tout est en proie, Bossuet, Louis de Bourbon. Le pays des Velches, dont je suis natif, nagea dans le sang ; mais, dès que ces exécutions étaient faites, la nation se mettait à danser, à chanter, à faire l'amour, à boire et à rire, Voltaire, Dial. 10. Maroc nageait dans le sang quand nous arrivâmes, Voltaire, Candide, 11.

  • 8Il se dit de l'œil, du regard qui devient vague et comme noyé. …Elle fait un effort, Étend les bras, me cherche, ouvre avec peine Des yeux nageant dans l'ombre de la mort, Malfilâtre, Narcisse, ch. III. Adieu, déjà je sens dans un nuage épais Nager mes yeux éteints et fermés pour jamais, Delille, Géorg. IV.
  • 9 Terme de manége. Il se dit du cheval qui jette les pieds en dehors.

    Nager à sec, se dit d'un animal qu'on force, pour le guérir, à marcher sur trois jambes, en lui en liant une.

    Terme de fauconnerie. Nager entre les nuées, se dit du faucon qui plane.

PROVERBE

Le monde est rond ; qui ne sait nager va au fond, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 330.

HISTORIQUE

XIe s. Siglent à fort et nagent et gouvernent, Ch. de Rol. CLXXXVI.

XIIe s. Outre la mer les en ferai nagier, Raoul de Cambrai, 65.

XIIIe s. [Un cul de jatte] Purpensez s'est de un engin, Par quel s'en va par le chemin, Un auget ù il s'est asis, Se trait meïsmes li cheitifs, E en chemin nagge sans flot, Édouard le confesseur, V. 3997. Et si est moult parfont [un fleuve], que grans nes [nefs] y porroient nagier dedens, Marc Pol, p. 451. Li bateaus moult tost s'en revait, Ne voit quil nage, ne quil trait, Partonop. V. 1977. Li marinier qui par mer nage, Cerchant mainte terre sauvage, Tout regarde il à une estoile, la Rose, 7587. Voiz comment elles [les dames] portent leurs mantiaus gentement, Voiz comment elles nagent dessus le pavement, Voiz comme elles se chaucent bien et faitiscement [avec grâce], J. de Meung, Test. 1242.

XVe s. Ils furent onze jours tout pleins en ce batelet ; et s'efforçoient de nager tant qu'ils pouvoient ; mais ils ne pouvoient si loin nager, que tous les jours le vent, qui leur estoit contraire, les ramenoit une fois ou deux, Froissart, I, I, 22. Jean de la Faucille… nageoit entre deux eaux, et se faisoit, à son pouvoir, neutre, Froissart, II, II, 63. Nageant entre les deux, Commines, IV, 4. J'entends de ceulx qui estoient ses subjecis et en son royaulme, car tous les aultres ne nageoient qus soubz le vent de cestuy, Commines, V, I. Il faut que tout paye gabelle à Venise, si on veut nager par ledit golfe, Commines, VIII, 14.

XVIe s. Qui ne sçait nager, il n'est pas en peril pour son ennemy sculement, mais pour le peril de l'eaue ; et pour tout il est convenable d'aprendre soy et son cheval à noer [nager], Rozier histor. I, 6. Il fault bien qu'il naige, qui est soutenu par le menton, Palsgrave, p. 451. Il n'est nager qu'en grant eau, Cotgrave Il ne faut apprendre aux poissons à nager, Cotgrave

ÉTYMOLOGIE

Hainaut, nanger ; picard, nanger, langer, larger. On le tire du latin navigare, naviguer. Il est certain qu'un des sens primitifs de nager est naviguer ; cela doit faire passer sur la difficulté de tirer nager ou nagier de navigare ; le provençal dit naveiar, le français devrait avoir une forme analogue : naveier. Du sens d'un vaisseau qui navigue, flotte sur l'eau, à celui d'un homme qui nage, le passage est facile. Le vieux français avait aussi neer, naviguer : XIIe s. Cil vait par haute mer neant, Grég. le Grand, p. 26. Neer vient de natare. Il avait aussi nouer, qui vient également de natare, mais par une forte altération de la voyelle.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

NAGER. - HIST. Ajoutez :

XIVe s. Ainsy vouloit le dit due de Brabant nager entre deux yawes, J. le Bel, Vrayes chroniques, t. I, p. 136.