« ouvrier », définition dans le dictionnaire Littré

ouvrier

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ouvrier, ière

(ou-vri-é, è-r') s. m. et f.
  • 1Celui, celle qui travaille de la main pour différents métiers. Habile ouvrier. Mauvais ouvrier. Les ouvriers qui gagnaient leur vie en faisant de petits temples d'argent de la Diane d'Ephèse, s'assemblèrent [contre saint Paul, prêchant à Éphèse], Bossuet, Hist. II, 12. Soyez plutôt maçon si c'est votre talent, Ouvrier estimé dans un art nécessaire, Qu'écrivain du commun et poëte vulgaire, Boileau, Art p. IV. Je suis obligé de passer ma journée avec des ouvriers qui sont aussi trompeurs que des courtisans, Voltaire, Lett. Mme de Bernières, sept. 1722. Il y a, outre la Suisse, des provinces d'Allemagne qui en usent ainsi [se louent comme soldats] ; il n'importe à ces bons chrétiens de tuer… vous les voyez réciter leurs prières et aller au carnage comme des ouvriers vont à leur atelier, Voltaire, Dict. phil. Xénophon. Dame Arachné la filandière, De son métier très subtile ouvrière, Mais vaine aussi de son talent…, Chabanon, l'Araignée et le Ver à soie. Combien l'Europe a vu d'illustres ouvriers S'exercer avec gloire aux plus humbles métiers ! Delille, Pitié, IV. Où, privé trop souvent d'un bien mince salaire, Un ouvrier utile est nommé mercenaire, Collin D'Harleville, Vieux célib. IV, 3.

    Fig. Ces ouvriers du vieil océan dans le fond de la mer universelle, Buffon, Min. t. I, p. 288.

    Cela est du bon ouvrier, de la bonne ouvrière, cette chose est faite par l'ouvrier, par l'ouvrière qui a le plus de réputation en son genre. Je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne ouvrière, Molière, Préc. 10.

    Compagnies d'ouvriers, compagnies d'ouvriers enrégimentés pour certains services dans les armées de terre et de mer. Croira-t-on qu'il veut [à Smolensk] donner le loisir aux artilleurs de ferrer leurs chevaux contre la glace ? comme si l'on pouvait obtenir un travail quelconque d'ouvriers exténués par la faim, par les marches, Ségur, Hist. de Nap. X, 2.

    Les ouvriers, se dit collectivement pour la classe ouvrière. L'opinion des ouvriers. Les réclamations des ouvriers.

    Ouvriers à façon, ouvriers qui travaillent pour les marchands, sans fournir rien de plus que la façon, qui leur est payée.

    Terme d'imprimerie. Ouvriers en conscience, voy. CONSCIENCE, n° 6.

    Fig. De main d'ouvrier, de la main d'un homme habile. Quand une lecture vous élève l'esprit, et qu'elle vous inspire des sentiments nobles et courageux, ne cherchez pas une autre règle pour juger de l'ouvrage ; il est bon et fait de main d'ouvrier, La Bruyère, I.

    Fig. La marque de l'ouvrier, de l'ouvrière, ce qui indique l'excellence du travail. Je reçois avec plaisir toutes vos petites lettres : Il y a toujours la marque de l'ouvrière, qui ne peut jamais ne me pas plaire, Sévigné, 139. Il y a toujours à tous vos enfants la marque de l'ouvrier, Sévigné, à Mme de Grignan, 20 avr. 1672.

  • 2Le grand ouvrier, l'éternel ouvrier, l'ouvrier souverain, Dieu. Tout est mis en œuvre par ce grand ouvrier [Dieu], qui fait toujours infailliblement tout ce qu'il lui plaît, Sévigné, 14 juill. 1680. Les astres qui présidèrent à la première nuit annoncèrent la sagesse de l'ouvrier souverain qui les a tirés du néant, Massillon, dans GIRAULT-DUVIVIER. C'est là [dans les mines], c'est encor là que, cachant sa puissance, L'éternel ouvrier, dans un profond silence, Compose lentement et décompose tout, Delille, Trois règnes, V.
  • 3 Fig. Celui, celle qui produit un résultat quelconque comparé à l'œuvre de la main d'un ouvrier. Elle est l'ouvrière d'un mensonge si monstrueux, Patru, Plaid. 2, dans RICHELET. Vous lisez donc saint Paul et saint Augustin ; voilà les bons ouvriers pour établir la souveraine volonté de Dieu, Sévigné, 14 juill. 1680. Tout ce grand domaine est à moi, je suis l'ouvrier de ma fortune, Bossuet, Sermons, Honneur, 3. La grâce, cette excellente ouvrière, se plaît quelquefois à renfermer en un jour la perfection d'une longue vie, Bossuet, Duch. d'Orl. L'âme est l'ouvrière de sa détermination, Montesquieu, Lett. pers. 69.

    Il se dit de ceux qui font des ouvrages d'esprit. Je ne sais de qui est cette comédie, mais elle est d'un bon ouvrier. On ne les goûte jamais [les peintures que fait le théâtre] autant qu'une main habile l'a voulu, sans entrer dans l'esprit de l'ouvrier, et sans se mettre en quelque façon dans l'état qu'il a voulu peindre, Bossuet, Comédie, 4.

    C'est un plaisant ouvrier, se dit d'un homme qui n'entend rien à l'affaire dont il est chargé.

    Ouvrier sous terre, homme d'intrigues cachées, souterraines. M. du Maine, le plus timide des hommes, quoique le plus grand ouvrier sous terre, vivait en des transes mortelles pour toutes ses grandeurs, Saint-Simon, 326, 10.

  • 4 Fig. Il se dit des choses dont l'on compare l'action à celle des ouvriers. La tempérance, disait un ancien, est la meilleure ouvrière de la volupté, Fénelon, t. XVII, p. 32.
  • 5 Fig. Les ouvriers évangéliques, ou, simplement, les ouvriers, les prêtres qui travaillent à répandre et à confirmer la religion et la piété. Écoutez un miracle : la maréchale de la Ferté est tellement convertie, qu'on ne saurait l'être plus sincèrement ; elle est entre les mains des bons ouvriers, Sévigné, 15 févr. 1690. Non content d'exciter leur zèle [des évêques], il [le P. Bourgoing] travaillait nuit et jour à leur donner de fidèles ouvriers, Bossuet, Bourg.

    Dans le langage de l'Écriture, la moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers, c'est-à-dire le nombre des gens à instruire est grand, mais le nombre de ceux qui y travaillent est petit. Combien de fois, jetant les yeux sur les vastes campagnes des Indiens et des sauvages, et croyant y voir une moisson jaunissante qui n'attendait que la main des ouvriers…, Fléchier, Aiguillon.

    Dans le même style, les ouvriers d'iniquité, les méchants.

  • 6 S. f. Ouvrière, titre d'une des trois demoiselles qui jadis étaient attachées à la reine de France.
  • 7 S. m. Terme rural. Ouvrier, arbre sur lequel on prend les greffes.
  • 8Ouvrier hydraulique, machine pour puiser de l'eau.
  • 9 Adj. Qui a rapport aux ouvriers.

    Classe ouvrière, partie de la population qui se compose des ouvriers, des artisans.

    En 1848, force ouvrière, nom donné aux ouvriers qu'on se proposait d'armer en une espèce de garde nationale.

    Jour ouvrier, ou jour ouvrable, jour où l'on travaille. Il n'est, pour le vrai Dieu, jour ouvrier ni fête, Régnier, Sat. X. Égaler les fêtes aux jours ouvriers, Pascal, Pens. XXV, 64, éd. HAVET. Vous qui voyez tout, ne voyez-vous point comme je suis belle les dimanches, et comme je suis négligée les jours ouvriers ? Sévigné, 64.

    Cheville ouvrière, la cheville qui joint le train de devant d'un carrosse avec les brancards ; et, figurément, le principal agent d'une affaire.

    Abeilles ouvrières ou neutres, et, substantivement, les ouvrières, celles qui composent la très grande majorité d'une ruche et qui y font tous les ouvrages. Quelle serait la cause secrète qui empêcherait les ouvrières de pondre, tandis qu'elles posséderaient une reine féconde ? Bonnet, 3e mém. abeilles.

    Fig. Esprit ouvrier, l'esprit divin qui a ordonné toutes choses. Ô homme… tu peux ajouter quelques couleurs pour orner cet admirable tableau [la nature] ; mais… de quelle sorte pourrais-tu faire seulement un trait convenable dans une peinture si riche, s'il n'y avait, en toi-même et dans quelque partie de ton être, quelque art dérivé de ce premier art, quelques fécondes idées tirées de ces idées originales, en un mot quelque ressemblance, quelque écoulement, quelque portion de cet esprit ouvrier qui a fait le monde ? Bossuet, Sermons, 4e semaine de carême, sur la mort.

    On dit dans le même sens : idée ouvrière. Je [la sagesse incréée] suis moi-même ce commencement [des voies de Dieu], étant l'idée ouvrière de ce grand artisan, et le modèle primitif de toute son architecture, Bossuet, Élévat. sur myst. III, 8.

PROVERBE

Il est plus d'ouvriers que de maîtres, Leroux de Lincy, Prov. t. II, p. 143. Il n'est ouvrage que d'ouvriers, Leroux de Lincy, ib. La fin loue l'ouvrier, Leroux de Lincy, ib.À l'œuvre on connaît l'ouvrier.

REMARQUE

RÉM. Ouvrier était, dans l'ancienne versification, de deux syllabes ; on le prononçait soit ourier, soit ouvrer ; l'articulation de ier avec v et r en une seule syllabe nous est impossible, et probablement l'a toujours été. Il était encore de deux syllabes dans le commencement du XVIIe siècle : On est venu lui dire, et par mon artifice, Que les ouvriers qui sont après son édifice… Avaient fait par hasard rencontre d'un trésor, Molière, l'Ét. II, 1.

HISTORIQUE

XIIe s. E tuit li overer de felonie furent espoenté, Machab. I, 3. Les ustils as ovriers qui firent les degrés, Th. le mart. 144. E i out treis milie e treis cenz ki maistres furent sur l'ovre e sur les overiers, Rois, p. 245.

XIIIe s. N'avoit [il n'y avait] meillor ouvriere de Tours jusqu'à Cambrai, Berte, LVII. Car maintes fois les ot servis Li valés, qui moult iert soutis, Qui moult iert bons ouvriers et sages, Fait lor avoit mains bons ymages, la Rose, 21339. Et y estoient si ouvriez [ses ouvriers] Jà dedens por queillir les biens, Beaumanoir, XXXII, 23. Je ne sui pas ouvriers des mains, Rutebeuf, 9. Bons ouvriers est qui ne se lasse ; Itels ouvriers tous autres passe, Rutebeuf, Vie Ste Élys. p. 186.

XIVe s. Car d'ouvrier bien paier affiert [il convient] bonne journée, Baud. de Seb. VI, 541. Une meismes rieulle [règle] de lier pour sanc restraindre est commune aus anciens ovriers [chirurgiens] et à ceux qui ore sont [sont présentement], H. de Mondeville, f° 39, verso. Par les ruilles dessus dites pourra l'ouvrier de cirurgie ouvrer…, H. de Mondeville, f° 96, verso. Madame aura pour son corps trois damoiselles, une ouvriere, une femme de chambre et une lavendiere, Du Cange, ouvreria.

XVe s. Et tandis qu'il est jour ouvrier, Le temps pers [je perds], quand à vous devise, Orléans, Chanson 81. La pucelle, qui n'avoit point agreable la recommandation de Selphar, print la parole, et dit : en la fin l'on cognoist l'ouvrier, en la proesse ung chevalier, Perceforest, t. VI, f° 33. Ouvrier pour enfourner pain cuit [mauvais ouvrier], Coquillart, Enqueste entre la simple et la rusée. Vous savez qu'ilz sont six jours ouvriers en la sepmaine, les Évang. des quenouilles, p. 10.

XVIe s. Ouvriers de tous mestiers, Amyot, Péric. 24. À fort peu d'enqueste ce vieillard saute au collet du païsan deguisé, mais fut aussi tost tué d'une grande dague que tira de dessous l'ouvriere [tablier, sarreau] le Tranchard, D'Aubigné, Hist. II, 162. Quel desplaisir le temps m'a faict d'oster de nos yeulx… la couple de vie [Épaminondas et Scipion l'Émilien] justement la plus noble qui feust en Plutarque… quel matiere ! quel œuvrier ! Montaigne, III, 195.

ÉTYMOLOGIE

Bourg. ouvrei, ovrei ; wallon, ovrî ; prov. obrier ; cat. obrer ; esp. obrero ; port. obreiro ; ital. operaio ; du lat. operarius, qui vient de operari (voy. OUVRER).