« racheter », définition dans le dictionnaire Littré

racheter

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

racheter

(ra-che-té. La syllabe che prend un accent grave, quand la syllabe qui suit est muette : je rachète, je rachèterai) v. a.
  • 1Acheter ce qu'on a vendu, ou ce qui a été vendu. J'avais vendu mon cheval ; mais je l'ai racheté. Si votre frère, étant devenu pauvre, vend le petit héritage qu'il possédait, le plus proche parent pourra, s'il le veut, racheter ce que celui-là a vendu, Sacy, Bible, Lévit. XXV, 25.
  • 2Acheter une chose pareille, de même espèce. Elle a déchiré son châle ; je lui en rachèterai un. On m'avait pris ce livre, j'en ai racheté un autre exemplaire.
  • 3Racheter une rente, se libérer d'une rente moyennant une somme une fois payée. Le peuple consentit enfin à payer les dîmes, à condition qu'on pourrait les racheter, Montesquieu, Esp. XXXI, 12.
  • 4Payer rançon pour un prisonnier. Des esclaves nous ont dominés, sans qu'il se trouvât personne pour nous racheter d'entre leurs mains, Sacy, Bible, Jérémie, Lament. V, 8. Les Péruviens rachetèrent leur roi, que cependant on ne leur rendit pas, pour plusieurs milliers pesant d'or ; les Mexicains en avaient fait à peu près autant, et furent trompés de même, Buffon, Min. t. IV, p. 341.

    Par extension. Souvent le mort chéri, sortant du tombeau, se présentait à son ami, lui recommandait de dire des prières pour le racheter des flammes et le conduire à la félicité des élus, Chateaubriand, Génie, III, V, 4.

    Il se dit en parlant de la rédemption par Jésus-Christ. Tout l'univers apprend à l'homme, ou qu'il est corrompu, ou qu'il est racheté ; tout lui apprend sa grandeur ou sa misère, Pascal, Pens. part. II, art. 13. Une volonté générale en Dieu de sauver tous les hommes ; en Jésus-Christ, une intention sincère de les racheter ; et des moyens suffisants offerts à tous : c'est ce qu'enseignaient les luthériens dans le livre de la concorde, Bossuet, Var. XIV, 16. Nous leur disons [aux nègres] qu'ils sont hommes comme nous, qu'ils sont rachetés du sang d'un Dieu mort pour eux, et ensuite on les fait travailler comme des bêtes de somme, et on les nourrit plus mal, Voltaire, Mœurs, 152.

  • 5Racheter un jeune homme, payer une somme pour qu'il soit exempté du service militaire.
  • 6 Fig. Obtenir quelque chose au prix d'un certain sacrifice. Ce n'a point été par des choses corruptibles, comme l'or ou l'argent, que vous avez été rachetés de l'illusion où vous viviez à l'exemple de vos pères, Sacy, Bible, St Pierre, 1re épît. I, 18. Je ne vois et je ne sens que ce que je vous dis [avoir possédé quelque temps MM. de Grignan], et je rachète bien cher toutes ces douceurs, Sévigné, 18 déc. 1673. Elle savait racheter le temps, selon le conseil de l'apôtre, et reprendre sur son sommeil les heures qu'on avait dérobées à sa retraite, Fléchier, Mar.-Thér. Mais ces mêmes héros, prodigues de leur vie, Ne la rachetaient point par une perfidie, Racine, Bajaz. II, 3. Laissez à Ménélas racheter d'un tel prix La coupable moitié, dont il est trop épris, Racine, Iphig. IV, 4. Alzire, jusque-là chéririons-nous la vie ? La rachèterions-nous par mon ignominie ? Voltaire, Alz. V, 5.

    Racheter ses péchés par l'aumône, obtenir, en faisant l'aumône, la rémission de ses péchés.

    Je voudrais l'avoir rachetée de beaucoup, se dit d'une chose dont on regrette la perte.

    Je voudrais l'avoir rachetée de mon sang, se dit d'une personne morte que l'on regrette beaucoup. Et, rompant tous ces nœuds, s'armer pour la patrie Contre un sang qu'on voudrait racheter de sa vie, Corneille, Hor. II, 3. Je rachèterais sa vie de la mienne, Marivaux, Marianne, 3e part.

    Familièrement et par exagération. Si vous me faites ce plaisir-là, vous me rachèterez la vie.

  • 7 Fig. Compenser, faire pardonner, faire oublier. Mais il a des vertus qui rachètent ses vices, Voltaire, Adél. du Guesclin. I, 1. Tant les excellents articles du Dictionnaire encyclopédique rachetaient les mauvais, qui sont pourtant en assez grand nombre ! Voltaire, Comm. Œuv. aut. Henr. Le bien-être de la liberté rachète beaucoup de blessures, Rousseau, Ém. II. Comme disent très bien nos messieurs, l'argent rachète tout, et rien ne le rachète, Rousseau, 1er dial. Si Marivaux n'était un modèle ni de style ni de goût, du moins il avait racheté ce défaut par beaucoup d'esprit, et par une manière qu'il n'avait empruntée à personne, D'Alembert, Éloges, Mariv. Pense, à force de bruit, racheter sa bêtise, Et m'afflige de sa gaieté, Delille, Convers. I. Ô jour inespéré, Jour fait pour racheter un siècle de disgrâce ! Ducis, Oscar, IV, 2. La bonté rachète tous les défauts, Picard, M. Musard, sc. 11.
  • 8 Terme d'architecture. Corriger, rendre moins sensible un vice, un défaut de construction ou de décoration, une irrégularité. Racheter la forme irrégulière d'une pièce par des pans coupés.

    Joindre par raccordement deux voûtes de coupes différentes. Les pendentifs rachètent une voûte hémisphérique.

    Compenser une différence de niveau. La pente [du canal de la Dive], de 21 m. 53, est rachetée par neuf écluses, E. Grangez, Voies navigables de France, p. 180.

  • 9Se racheter, v. réfl. Payer rançon. L'esclave pouvait se racheter à l'aide de son pécule.

    Fig. Nul ne peut se racheter lui-même, ni rendre à Dieu le prix de son âme, Bossuet, 2e sermon, Passion, 2.

  • 10Se racheter, payer une somme pour s'exempter du service militaire.

    On dit de même : se racheter d'un service foncier, se racheter d'une peine. Ses prêtres toutefois… à deux conditions peuvent se racheter, Racine, Athal. V, 2. Mais siérait-il, Abner, à des cœurs généreux De livrer au supplice un enfant malheureux… Et de nous racheter aux dépens de sa vie ? Racine, Athal. V, 2. L'ancienne maîtresse du monde se racheta du pillage au prix de cinq mille livres pesant d'or, trente mille d'argent, quatre mille robes de soie, trois mille de pourpre, et trois mille livres d'épicerie, Voltaire, Mœurs, Introd. Conquêtes des Romains.

    Fig. Je me rachèterai toujours fort volontiers d'être fourbe, par être stupide et passer pour tel, La Bruyère, XI.

  • 11 Terme de jeu. Se racheter, payer une certaine somme convenue pour ravoir un jeton, lorsqu'on a perdu les jetons donnés au commencement de la partie ; se dit au trente et un. Le premier qui se rachètera payera un sou, le second deux sous et ainsi de suite.
  • 12Être compensé. Anciennement en France, tous les crimes, excepté celui d'État, se rachetaient à prix d'argent ; la vie d'un évêque fut estimée neuf cents sols d'or ; celle d'un prêtre, six cents ; celle d'un laïque, à proportion de sa qualité, mais quelque chose de moins que celle d'un prêtre, Saint-Foix, Ess. Paris, Œuv. t. IV, p. 79, dans POUGENS. Si on en excepte la Saxe, où Charlemagne fit des lois de sang, presque tous les délits se rachetaient dans le reste de son empire, Voltaire, Mœurs, 22.

HISTORIQUE

XIe s. Wart l'om [que l'on se garde] que l'om l'anme ne perde, que Deus rachatat de sa vie, Lois de Guil. 41.

XIIe s. Es tues mains [en tes moins] cumant je le mien espirit ; raachatas mei, sire Deus de veritet, Liber psalm. p. 36.

XIIIe s. Si avoit un frere qui avoit non Alexis, que il avoit rachaté de la prison des Turs, Villehardouin, XLII. Mais se tant fait Amors que j'oie De m'amie enterine joie, Bien seront mi mal racheté, la Rose, 2479. Et ceulz qui voudront aler en ost en propres persones, ne soient pas contraint à racheter leur voie par argent, Joinville, 296.

XIVe s. Mauvais est li argens, c'est legier à prouver, Qui ne poet au besoin son maistre rachater, Baud. de Seb. VIII, 504. Cil qui rachate de la hart Un larron, de lui bien se gart [qu'il s'en garde], Jean de Condé, t. III, p. 236.

XVe s. [les Anglois] manderent à cils de Reims, qu'ils arderoient tous leurs bleds environ Reims, s'ils ne le rachetoient de vivres, de pains et de vins, Froissart, II, II, 66.

XVIe s. Certaines citez s'estoient rachetées à prix d'argent et remises en liberté, Montaigne, III, 251.

ÉTYMOLOGIE

Re…, et acheter ; bourguig. réchetai ; picard, racater.