« spirituel », définition dans le dictionnaire Littré

spirituel

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

spirituel, elle

(spi-ri-tu-èl, è-l') adj.
  • 1Qui est esprit, qui n's pas de corps. Les anges sont des substances spirituelles. L'ennuyeuse chose que d'être si peu spirituelle, que de ne pouvoir faire un pas sans son corps ! Sévigné, 14 août 1680. C'est par là que nous connaissons que Dieu est parfaitement libre en tout ce qu'il fait au dehors, corporel ou spirituel, sensible ou intelligible, Bossuet, Libre arb. 2. Les idées que Dieu a eues [des êtres en les créant] ne sont point différentes de lui-même ; et ainsi toutes les créatures, même les plus matérielles et les plus terrestres, sont en Dieu, quoique d'une manière toute spirituelle que nous ne pouvons comprendre, Malebranche, Rech. vér. III, II, 5. Nous savons que l'âme est spirituelle ; mais nous ne savons point du tout ce que c'est qu'esprit, Voltaire, Pol. et lég. Traité tolérance, Extr. tol. des juifs.

    Fig. Famille spirituelle, suite de gens qui, dans les lettres ou les sciences, appartiennent au même ordre d'idées. Puisqu'il n'y en a presque point eu [de philosophes] qui n'aient fait gloire de tirer leur savoir et, s'il faut ainsi dire, leur extraction spirituelle de ce grand homme [Socrate], La Mothe le Vayer, Vertu des païens, II, Avant-propos. M. l'abbé Bignon les présenta tous deux ensemble [Tournefort et Homberg] à l'Académie, deux premiers-nés pour ainsi dire, dignes de l'être d'un tel père et d'annoncer toute la famille spirituelle qui les a suivis, Fontenelle, Tournefort.

    Substantivement. La nature… empoigna les âmes de Samson, d'Hector… d'Alexandre, de César… puis, les ayant pulvérisées, calcinées, rectifiées, elle réduisit toute cette confection en un spirituel sublime, qui n'attendait plus qu'un fourreau pour s'y fourrer, Cyrano de Bergerac, Péd. joué, I, 1.

  • 2Qui a rapport à l'esprit, à l'âme. Vous avez ouï le langage de la ville de paix, qui s'appelle la Jérusalem mystique ; et vous avez ouï le langage de la ville de trouble que l'Écriture appelle la spirituelle Sodome ; lequel de ces deux langages entendez-vous ? lequel parlez-vous ? Pascal, Prov. XI. Rome a été le chef de l'empire spirituel que Jésus-Christ a voulu étendre par toute la terre, Bossuet, Hist. III, 1. Cette humeur [l'humeur de chacun de nous] est la cause de toutes nos maladies spirituelles et de toutes nos chutes, Bossuet, Lettr. Corn. 149. Je crois que ceux-là se trompent, qui pensent que la rébellion du corps n'est cause que des vices grossiers, tels que sont l'intempérance et l'impudicité ; et non de ceux qu'on appelle spirituels, comme l'orgueil et l'en vie, Malebranche, Rech. vér. Éclair. l. I, t. IV, p. 116, dans POUGENS.
  • 3 Terme de dévotion. Qui regarde la conduite de l'âme, la conscience, par opposition à sensuel, charnel, corporel. Il y a diversité de dons spirituels ; mais il n'y a qu'un même esprit, Sacy, Bible, St Paul, 1re épît. aux Corinth. XII, 4. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle, Pascal, Pens. IX, 1, édit. HAVET. Elle [Mme la Dauphine] porte à l'Agneau sans tache immolé sur l'autel… des pensées pures, des affections spirituelles, Fléchier, Dauphine.

    Substantivement. Elle [Mme de Marans] mariait le luth avec la voix, et le spirituel avec les grossièretés qui font horreur, Sévigné, 4 mai 1672.

    Vie spirituelle ou vie intérieure, habitude de la méditation ou de la contemplation, soin de réfléchir sur soi-même pour arriver à la perfection chrétienne.

    Bouquet spirituel, sentence, réflexion sainte, passage de l'Écriture, que l'on se rappelle de temps en temps dans la journée.

    Lecture spirituelle, exercices spirituels, lecture, exercices excitant la dévotion.

    Communion spirituelle, la part que ceux qui ne communient point, prennent à l'action du prêtre quand il communie, en s'unissant avec lui en esprit.

    Concert spirituel, concert public que l'on donne un des jours de la semaine sainte ; autrefois tous les théâtres faisaient relâche pendant la quinzaine de Pâques, et, à l'Académie royale de musique, on remplaçait le spectacle par des concerts où l'on chantait de la musique religieuse, ou de la musique d'un caractère élevé et sévère. Aujourd'hui, on appelle concerts spirituels ceux où l'on exécute une musique d'un caractère religieux. Les spectacles sont cessés, et les concerts spirituels sont fort courus, Lettres de Mlle Aïssé, de Paris, 1728, édit. DENTU, p. 183. On ferme l'Opéra le jour du vendredi saint, de Pâques, de Noël, de la Pentecôte ; mais l'orchestre de l'Opéra, les chanteurs ou les chanteuses vont sur un autre théâtre qu'on appelle concert spirituel, Mercier, Tabl. de Paris, 1559.

    Médecins spirituels, guides spirituels, pères spirituels, les confesseurs, les directeurs. Faisons-nous bien connaître aux médecins spirituels de nos âmes, afin qu'ils puissent mieux nous traiter, Bourdaloue, 24e dim. après la Pentec. Domin. t. IV, p. 451.

  • 4Il se dit des personnes chez qui règne la spiritualité. L'homme spirituel juge de tout et n'est jugé de personne, Sacy, Bible, St Paul, 1re épître aux Corinth. II, 15. Hé ! dites-moi, chères âmes, sont-elles [les personnes qui aiment à se répandre au dehors] pour l'ordinaire bien spirituelles et filles d'oraison, si elles ne sont recueillies ? Bossuet, Sermons, Silence, 1. Chrétiens qui, malgré leur relâchement, se piquent encore d'être spirituels et parfaits dans leur religion, Bourdaloue, Carême, II, Richesses, 32.

    Substantivement. Ce sont de faux spirituels qui blâment l'attachement qu'on a à Jésus-Christ, Bossuet, Lett. Corn. 98. Sainte Thérèse trouve des demi-spirituels, des demi-savants qui lui reprochent la stérilité de son âme, Fléchier, Panég. Ste Thérèse.

    Nom qui fut donné dans le XIIIe siècle à des membres de l'ordre des frères mineurs de l'ordre. de Saint-François qui firent schisme.

  • 5Qui concerne la religion, l'Église, par opposition à temporel. Le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel. Rentrer dans les emplois purement spirituels de ma profession, mais avec sûreté, Retz, t. II, liv. III, p. 155, dans POUGENS. Le même [Andronic Paléologue] craignait que Dieu ne lui demandât compte du temps qu'il employait à gouverner son État, et qu'il dérobait aux affaires spirituelles, Montesquieu, Rom. 22.

    Substantivement. Le spirituel et le temporel. Le spirituel d'un bénéfice. Les princes ne peuvent rien pour l'Église, touchant le spirituel, qu'en lui obéissant, Fénelon, t. XVII, p. 247.

  • 6En parlant de l'interprétation des livres révélés, il s'oppose à littéral, et se dit du sens mystique ou allégorique. Les prophéties ont un sens caché et spirituel, dont ce peuple [juif] était ennemi, sous le charnel, dont il était ami, Pascal, Pens. XV, 7, éd. HAVET. Le sens spirituel est de plusieurs sortes : 1° le sens moral ; 2° le sens allégorique ; 3° le sens anagogique, Dumarsais, Œuv. t. III, p. 222.
  • 7Qui a de l'esprit. La princesse de Rossana, quoique très spirituelle, n'approchait pas du génie de la signora Olympia, Retz, IV, 84. Elle juge, elle prononce, elle décide, parce qu'elle se croit femme spirituelle et intelligente ; mais elle aurait beaucoup plus de raison et plus d'esprit, si elle s'en croyait moins pourvue, Bourdaloue, Pensées, t. II, p. 228.

    Molière l'a employé comme substantif féminin pour dire une femme trop adonnée à la recherche de l'esprit. Moi, j'irais me charger d'une spirituelle Qui ne parlerait rien que cercle et que ruelle ! Molière, Éc. des femmes, I, 1.

    En parlant des choses, qui annonce de l'esprit. Physionomie spirituelle. Des yeux vifs et spirituels. L'air spirituel est dans les hommes ce que la régularité des traits est dans les femmes ; c'est le genre de beauté où les plus vains puissent aspirer, La Bruyère, XII. Il est aussi aisé d'être un homme d'esprit et d'avoir l'air d'un sot, que de cacher un sot sous une physionomie spirituelle, Diderot, le Neveu de Rameau.

    Où il y a de l'esprit. Une réponse spirituelle. Lors même que la pensée est colorée par l'imagination ou animée par le sentiment, elle nous frappe d'autant plus qu'elle est plus spirituelle, c'est-à-dire plus vive, plus finement saisie, et d'une combinaison à la fois plus juste et plus nouvelle dans ses rapports, Marmontel, Œuvr. t. IX, p. 416.

    Dans la gravure, touche spirituelle, touche qui est donnée avec vivacité, et qui, d'un seul trait, prête à l'objet le caractère, l'effet qui lui est propre.

HISTORIQUE

XIIe s. Droiz est ke la sainte pense [pensée] rapresset par spiritueil chastiement tot ce ke ele sent charneilment elleveir en soi, Job, p. 452. Al jugement en vient la maisnie Nerun ; Lur pere espirital jugent comme bricun, Que li reis le presist e mesist en prisun, Th. le mart. 44.

XIIIe s. Les autres [choses] sont spirituels, lesqueles commencent et ne finissent, ce sont li angle et les ames, Latini, Trésor, p. 21. Poi [peu] seroit doutée l'espée esperituel des malvès, s'il ne cuidoient que l'espée temporel s'en mellat, Beaumanoir, I, 38.

XIVe s. Les deables les mainent tellement de pechié en pechié, qu'ilz sont occis et mors de la mort spirituelle, Modus, f° 64, verso.

XVe s. Tous les princes d'Allemagne tant spirituels que temporels, Commines, IV, 2.

XVIe s. Les maladies spirituelles en ont aussi besoin [de remèdes], Lanoue, 328. L'artere est semblablement vaisseau à sang, mais plus spirituel, Paré, I, 10.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. espirital ; espagn. espiritual ; ital. spirituale ; du lat. spiritalis ou spiritualis, de spiritus (voy. ESPRIT).