« cri », définition dans le dictionnaire Littré

cri

Définition dans d'autres dictionnaires :

Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

cri

(kri) s. m.
  • 1Voix poussée avec effort, de manière à être entendue au loin ; et, par extension, d'abord les voix inarticulées que nous arrache la douleur ou une passion violente, et ensuite les voix confuses, les sons indistincts d'une multitude qui demande une chose ; enfin, par exagération, les paroles emphatiques ou trop enflées d'un orateur ou d'un poëte. Nous nous levons alors, et tous en même temps Poussons jusques au ciel mille cris éclatants, Corneille, Cid, IV, 3. Un grand peuple, seigneur, dont cette cour est pleine, Par des cris redoublés demande à voir la reine, Corneille, Pomp. V, 6. Elle jeta des cris, elle versa des pleurs, Corneille, Médée, I, 1. Tout le peuple à grands cris demande Nicomède, Corneille, Nic. V, 4. Comment, bourreau, tu fais des cris ? Molière, Amph. I, 2. Elle se mit à faire des cris effroyables, Hamilton, Gramm. 10. Il lui baisa la main, fit des cris, Sévigné, 400. Qui frappe l'air, bon Dieu, de ces lugubres cris ? Est-ce donc pour veiller qu'on se couche à Paris ? Boileau, Sat. VI. Que produira l'auteur après de si grands cris ? La montagne en travaille enfante une souris, Boileau, Art poét. III. Nos Grecs n'ont répondu qu'avec un cri de rage, Racine, Andr. V, 3. La moitié s'épouvante et sort avec des cris, Racine, Brit. V, 5. Pendant que tout gardait un silence paisible, Sa voix s'est fait entendre avec un cri terrible, Racine, Esth. II, 1. Nos Lévites pleuraient de joie et de tendresse, Et mêlaient leurs sanglots à leurs cris d'allégresse, Racine, Athal. V, 1. Il poussait des cris horribles, Fénelon, Tél. X. On poussa d'abord de grands cris de joie, Fénelon, ib. XVI. Quant aux cris naturels, l'homme les formera aussitôt qu'il éprouvera les sentiments auxquels ils sont affectés, Condillac, Conn. humaines, sect. II, ch. 4. Les cris naturels introduisent nécessairement l'usage des inflexions violentes, puisque différents sentiments ont pour signe le même son varié sur différents tons ; ah, par exemple, selon la manière dont il est prononcé, exprime l'admiration, la douleur, le plaisir…, Condillac, ib. part. 2e, sect. 1re, ch. 2. Ces chants vont se changer en des cris de tristesse, Voltaire, Tancr. V, 5.

    N'avoir qu'un cri, ne jeter qu'un cri, crier constamment, se plaindre sans discontinuer. Ce pauvre malade n'a qu'un cri, tant la douleur est vive. Mme de Rochefort n'a qu'un cri, depuis que vous avez écrit à ses cousines sans lui dire un mot, Sévigné, dans le Dict. de DOCHEZ.

    Familièrement. N'avoir qu'un cri après quelqu'un, se dit de plusieurs personnes qui en désirent une autre impatiemment.

    Ne faire qu'un cri, pousser un seul cri. Eudoxe en le voyant ne fait qu'un cri et tombe évanouie, Marmontel, Bélisaire, ch. VI.

    Fig. Jeter, pousser les hauts cris, se récrier, se plaindre amèrement.

    On dit aussi dans le même sens crier les hauts cris, faire les hauts cris. Je le trouvai criant les hauts cris, Sévigné, 32. Mme de Brissac de crier les hauts cris, Sévigné, 117. Mme d'Elbeuf a crié les hauts cris, Sévigné, 212. M. le Prince et son parti firent les hauts cris, Saint-Simon, 91, 109.

  • 2Paroles prononcées en criant et de manière à être entendues au loin. Cri de guerre. Cri de ralliement. Un cri d'alarme se fit entendre.

    Cris de Paris, cris des petits marchands qui offrent de vendre ou d'acheter par la ville de menues denrées, des ouvriers ambulants qui offrent de faire de menus ouvrages.

    Acclamation. Les cris de vive le roi ! retentissaient de tous côtés. J'ai vu de rang en rang cette ardeur répandue, Par des cris généreux éclater à ma vue, Racine, Alex. I, 2. Sont autant de témoins dont le cri glorieux A déposé pour vous au tribunal des Dieux, Voltaire, Sémiram. I, 5.

    Cri public, ce qu'on publie à son de trompe par ordre de justice. Il est défendu par cri public.

    Les cris de l'école, les paroles bruyantes, qui se font entendre dans les argumentations des écoles. Juvénal, élevé dans les cris de l'école, Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole, Boileau, Art p. II. Tout est trouble et discorde, et les cris de l'école Égalent en fracas les cavernes d'Éole, Delille, Trois règnes, II.

    Terme de chasse. Mots que prononcent les chasseurs quand ils parlent aux chiens pour les flatter ou les exciter à poursuivre la bête. Chasser à cor et à cri, chasser avec le cor et les chiens ; et fig. Demander à cor et à cri, demander à haute voix, d'une voix pressante.

    Terme de blason. Cri d'armes, cri de guerre, ou, simplement, cri, un ou plusieurs mots en forme de devise qu'on place ordinairement au cimier des armes. Comme ces mots étaient anciennement sur les bannières, c'était dans les batailles le cri de ceux qui suivaient une bannière.

  • 3Gémissement, plainte, accusation. Dieu entend les cris des veuves et des orphelins. Et mes cris éternels L'arrachèrent du sein et des bras paternels, Racine, Phèd. I, 3. Son père par vos cris dès longtemps prévenu, Racine, ib. III, 3. Voilà, voilà les cris que je craignais d'entendre, Racine, Iphig. IV, 5. Sion, le jour approche où le Dieu des armées Va de son bras puissant faire éclater l'appui, Et le cri de son peuple est monté jusqu'à lui, Racine, Esth. I, 1. Les cris élevés contre l'inoculation, même avant qu'on eût essayé de la mettre en usage, Condorcet, Tronchin.
  • 4Opinion publique. Il n'y a qu'un cri contre lui. Le cri public. La renommée se fait entendre et le cri de la louange devient général, Desfontaines. Quoiqu'il n'y ait qu'un cri contre ceux qui ont l'imprudence de jouer, sans s'être informés de la valeur des jetons, chacun peut impunément parler sans avoir appris la valeur des mots, Condillac, Traité des syst. ch. 18. Si quelquefois les femmes sortaient des bornes de cette modestie, le cri public montrait que c'était une exception, Rousseau, Lettre à d'Alemb.
  • 5 Fig. Appel qui émane des choses, des sentiments. Étouffer le cri de la conscience. Les cris du sang, sa force et ses impressions, Voltaire, Fanat. IV, 1. Allez, sacrés vengeurs de vos princes meurtris, De leur sang par sa mort faire cesser les cris, Racine, Athal. V, 6. Le cri de l'innocence, qui, dans le moment de l'action, appelle des témoins, appelle des juges, Montesquieu, Esp. XXIX, 15. À l'instant va s'élever contre moi cette philosophie d'un jour qui naît et meurt dans le coin d'une grande ville et veut étouffer de là le cri de la nature, Rousseau, Lettre à d'Alemb. De ses mânes sanglants j'apaiserai les cris, Voltaire, Œdipe, III, 5. Et l'on entend dans les bois d'alentour La voix mourante ou le cri de l'amour, Bernard, Art d'aimer, III. Le cri de leur remords est monté jusqu'à moi, Delille, Parad. perdu, XI. Cri de l'honneur, Ducis, Othello, III, 5. Avant Gustave Vasa, tout Suédois était militaire ; au cri du besoin public, le laboureur quittait sa charrue et prenait un arc, Raynal, Hist. phil. V, 9. Entends du haut des cieux le cri de nos besoins, Lamartine, Méd. I, 16.
  • 6Voix propre à chaque animal. Le cri de la corneille annonce de la pluie. La poule qui partage un ver à ses enfants N'a pas le même cri que la poule éperdue Dont l'horrible faucon vient de frapper la vue, Delille, Trois règnes VIII. Un effroyable cri [d'un monstre] sorti du sein des flots Des airs en ce moment a troublé le repos, Racine, Phèd. V, 6.
  • 7Bruit strident. Le cri de la scie. N'entend-on pas le qui-vive des gardes, Qui se mêle au cri des verrous ? Béranger, Louis X.

    Poétiquement. J'ai souvent sur ma tête Entendu les fureurs, les cris de la tempête, Ducis, Othello, I, 8.

  • 8Le cri de l'étain, craquement que ce métal fait entendre quand on le plie.
  • 9Donner du cri à la soie, la soufrer.

SYNONYME

CRI, CLAMEUR. Cri est beaucoup plus général que clameur ; il se dit de tout grand bruit de voix produit par l'homme ou par les animaux, tandis que clameur exprime quelque chose de collectif. Un homme pousse un cri, mais il ne pousse pas une clameur ; au contraire on dira la clameur de la foule. Cependant la Fontaine a dit, et très bien dit : Une montagne en mal d'enfant Jetait une clameur si haute…, Fabl. V, 10. Mais ici la montagne est quelque chose de gigantesque qui équivaut à quelque chose de collectif.

HISTORIQUE

XIe s. Cil Ki prendra larun sanz suite et cri, Lois de Guill. V. Donc [ils] recomencent et le hu et le cri, Ch. de Rol. CLI.

XIIe s. Li quens Ernouf en out de traïson grant cri [blâme], Mais onques por le blasme le chastel ne guerpi [quitta], Rou, ms. p. 65, dans LACURNE. Qu'à l'assembler [à l'attaque] ot tel noise et tel cri, Ronc. p. 72. Grans fu la noise et li cris de la gent, ib. p. 77. Devant lui vient, si lui crie à haut cri, ib. p. 142. Charles li rois fist faire et son ban et son cri, ib. p. 191. Que, s'en tute la terre eüst clerc si hardi, Qui à Rome apelast al lues le rei Henri, Sereient erranment tuit si chasel saisi, E il mis en prisun, cum s'il eüst mal cri, Th. le mart. 66. Seignur, par amur Deu, nel faites pas einsi ; S'un ocist l'arcevesque, vus en aurez le cri ; Car tus li païs scet que vus l'avez haï, ib. 42.

XIIIe s. Qui de fausser ont le cri [ont la réputation de tromper], Ms. de poésie fr. avant 1300, t. IV, p. 407, dans LACURNE. Orgueil de serf, ueil de larron, Langue de leu [loup], cri de paon, Partonop. Ms. de St-Germ. f° 164, dans LACURNE. Lors a la male serve un mout grant cri jeté, Berte, X. Chascuns entre en la chambre, quant il oient le cri, ib. LXXXIX. Chascuns maudit la serve et crient à haus cris…, ib. XCIX. Que vous n'aurez ne cri ne non De m'amor, pour rien que je voie, Lai de l'ombre. Cascuns est tenus de penre [prendre] le bani son segneur ; et, s'il ne le pot penre, de lever le cri après li, et de porsivir tant qu'il soit pris, Beaumanoir, XXXIV, 32. Et quant li cris a esté fet communement par les eglises, il doivent regarder combien il sont tenu à paier, Beaumanoir, XII, 31. Quant les bouchiers et les autres homes de l'ost et les femmes qui vendoient les danrées oïrent ce, il leverent le cri en l'ost, et à [avec] l'aide de Dieu il secoururent le conte, Joinville, 233.

XVe s. Et fit-on à savoir par un cri et par un heraut que, le premier qui entreroit dedans Duras, il gagneroit cinq cents francs, Froissart, II, II, 11. Elle m'a faict souvent monter à cheval, faire mes effors, Aller, chevaucher, tempester. Et courir à cry et à cors, Coquillart, Monol. de la botte de foin.

XVIe s. Les pauvres femmes se leverent à cri [en criant], tant estonnées de voir leur maistresse comme morte, Marguerite de Navarre, Nouv. X. Et les vieilles desolées Se tordent leurs cheveux gris, Voyant leurs filles en cris Par ces bourreaux violées, Yver, p. 526. Et si doit [l'aîné] avoir le nom, le cri et les armes pleines, Loysel, 615. Le heraut s'escria si hault que son cry fut ouy de toute l'assemblée, Amyot, Flamin. 20. Les cris et proclamations publiques, Amyot, Solon, 11.

ÉTYMOLOGIE

Provenç. crit, crida ; catal. crit ; espagn. grito ; ital. grido (voy. CRIER).