« empêcher », définition dans le dictionnaire Littré

empêcher

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Fac-simile de l'édition originale du Littré (BNF)

empêcher

(an-pê-ché) v. a.
  • 1Mettre entrave à quelqu'un. La nuit de sa vue Ne l'empêche pas tant que la nuit de son cœur, Malherbe, I, 4. Je sais l'art d'empêcher les grands cœurs de faillir, Corneille, Sertor. IV, 2. Oui, j'ai juré sa mort, rien ne peut m'empêcher, Molière, Sgan. 21. Que votre communication ne vous empêche en aucun de vos desirs, Bossuet, Lett. Corn. 31.

    Il se dit aussi quelquefois dans un sens favorable. Ni vous-même, ni le peuple n'avez prétendu, en créant ces nouveaux magistrats, que de donner à cette loi des protecteurs et aux pauvres des avocats qui les empêchassent d'être opprimés par les grands, Vertot, Révol. rom. II, p. 163.

  • 2Être cause que quelque chose ne se fasse pas. Quoi ! madame, faut-il que mon peu de puissance Empêche les devoirs de ma reconnaissance ? Corneille, Médée, IV, 5. Dis-lui que l'amitié, l'alliance et l'amour Ne pourront empêcher que les trois Curiaces Ne servent leur pays contre les trois Horaces, Corneille, Hor. II, 2. Quand j'empêche sa mort, il m'arrache la vie, Th. Corneille, Ariane, V, 5. …il y fit des fagots dont la vente Empêcha qu'un long jeûne à la fin ne fît tant Qu'ils allassent là-bas exercer leur talent, La Fontaine, Fabl. X, 16. Le premier président a apporté un ordre pour empêcher que certains greffiers ne prissent de l'argent pour cette préférence, Pascal, Prov. 18. Ce grand Dieu, pour empêcher le progrès d'un si grand mal [l'idolâtrie], au milieu de la corruption commença à se séparer un peuple élu, Bossuet, Hist. I, 3. Il est bon d'empêcher ces emplois fastueux D'être donnés peut-être à des âmes mondaines, Boileau, Sat. X. La pluie presque continuelle empêche qu'on ne se promène dans les cours et dans les jardins, Racine, 45e lett. à Boil. Je couvrais ces matières-là d'un galimatias philosophique qui empêchait que les yeux de tout le monde ne les reconnussent pour ce qu'elles étaient, Fontenelle, Dial. de Plat. et de Marg. Les fautes considérables d'Homère n'ont jamais empêché qu'il ne fût sublime, Voltaire, Louis XIV, 32.
  • 3Gêner l'exercice de. Trop de distance et trop de proximité empêche la vue, Pascal, dans COUSIN. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche l'esprit, Pascal, ib.
  • 4S'empêcher, v. réfléchi. Se défendre, s'abstenir de. Il ne put s'empêcher de parler. Mais tu ne pouvais pas t'empêcher de le faire, Mairet, Mort d'Asdr. I, 4. Je ne puis m'empêcher, si bien que je résiste, De croire à ces derniers [songes] qui n'ont rien que de triste, Mairet, Sophon. II, 3. Je m'empêcherais bien de servir de matière à la sévérité de ton humeur altière, Mairet, ib. V, 2.

    S'embarrasser. La raison en est belle, et c'est par là qu'il s'empêcherait des choses ! Molière, Fest. I, 1.

REMARQUE

1.D'après Voltaire (Remarq. sur Corn.) et d'après certains grammairiens, empêcher demande toujours un régime direct de la personne, et c'est une faute de dire : on nous empêche l'accès de cette maison. Cependant cette locution a été employée par bien des écrivains très autorisés : par Malherbe : La seule raison qui m'empêche la mort, V. 13. ; par Corneille : Cet orgueilleux esprit, enflé de ses succès, Pense bien de ton cœur nous empêcher l'accès, Nicom II, 45. ; par Racan : L'excès de la douleur m'empêche la parole, Berger. IV, 5. ; par Bossuet : Pour lui en empêcher les approches, II, Fr. de P. 1. ; La jeunesse à qui la violence de ses passions empêche de connaître ce qu'elle fait, Serm. quinq. 2. ; par Saint-Simon : Tallard compta pouvoir empêcher aux ennemis le passage de la rivière, 134, 233. ; par Chateaubriand : Philippe aperçut l'échauffourée, et, toujours poursuivi de l'idée de trahison, il s'écrie : tuez, tuez cette ribaudaille qui nous empêche le chemin, Hist. de France, dans GODEFROY, Lex. de Corneille.

2. Empêcher veut de avant l'infinitif.

3. Avec que, la proposition subordonnée prend ne. J'empêche qu'il ne vienne. Cette règle peut être négligée dans les vers : Si son cœur m'est volé par ce blondin funeste, J'empêcherai du moins qu'on s'empare du reste, Molière, Éc. des f. IV, 7. Mais en prose, elle ne doit pas l'être, ou du moins elle ne l'est pas d'ordinaire ; cependant on trouve des phrases comme les suivantes, qui, à le bien prendre, n'ont rien de fautif en soi, le ne étant purement explétif : Vingt-cinq grenadiers posés à sa porte [de Gyllembourg] eurent ordre d'empêcher que personne pût lui parler, Saint-Simon, 457, 187. Vous savez tempérer le feu qui vous anime, et empêcher qu'il vous dévore, Voltaire, Roi de Prusse, 225.

4. Si empêcher est accompagné de la négation ou est dans une phrase interrogative, la proposition subordonnée peut prendre ou ne pas prendre ne : Je n'empêche pas qu'il ne sorte ou qu'il sorte. Si l'on ne veut pas faire le bien, il ne faut pas empêcher que les autres le fassent. Empêchez-vous qu'on vienne ou qu'on ne vienne ? Cela n'empêchera pas que je ne conserve pour vous les sentiments d'estime et de vénération où votre personne m'oblige, Molière, Pourc. III, 9. Vous n'empêcherez pas que ma gloire offensée N'en punisse aussitôt la coupable pensée, Racine, Mithr. II, 6.

HISTORIQUE

XIIIe s. Li juges seroit empeciés par la multitude des paroles, et seroient li plet trop lonc, Beaumanoir, V, 8. Et à tort li empeequieriemes [nous l'empêcherions], Beaumanoir, XII, 10. Je vous conteroie bien, se je ne dotoie à empeschier ma matiere, Joinville, 205.

XIVe s. S'il [l'ongle] fust par dedens, il empeechast le touchement, H. de Mondeville, f° 11, verso.

XVe s. [Le pape Grégoire] s'estoit si fort empeché des besognes de France et tant travaillé du roi, que à peine pouvoit-il à lui entendre, Froissart, II, II, 20. Et si y adjoustez autre cause qui t'esmeut, c'est à sçavoir le exemple de moy, qui me empesche de servir en la cour royal, Chartier, le Curial. Mais après lui monterent tant d'autres, desireux semblablement d'avoir honneur à la journée, que l'un empeschoit l'autre, Boucic. I, 14. Mais le duc Charles et le comte d'Angouleme furent depuis fort empeschez de prison, Fenin, 1408. Disoit que ledit duc lui empeschoit Sainct Vallery et autres terres, Commines, III, 1. Ilz ne furent point veuz, pour ce que chascun estoit empesché à se loger, Commines, III, 10. Les fruitz de la terre qui les empeschoyent à aller, Commines, I, 3. De quoy si petits personnages s'empeschoient de si grant matiere, Commines, I, 12.

XVIe s. Les grans geants qui s'empeschent d'attaindre Jusques aux cieux pour nuire à Jupiter, Marot, III, 133. L'appetit enragé de mesdire qui incite ces vilains, les empesche qu'ils ne peuvent considerer ce que tout le monde voit, Calvin, Instit. 790. Fuir les passions qui empeschent la tranquillité du corps et de l'ame, Montaigne, I, 284. Si je n'en faisois du tout tant que j'en dis, au moins il m'en coustoit à m'empescher de le faire, Montaigne, I, 315. Ce preservatif empeschera que la contagion de ce venin n'offensera ny vous ny vostre assistance, Montaigne, II, 314. Pour loger la valeur de cent escus de cette monnoye, il falloit en empescher tout un grand celier en la maison, Amyot, Lyc. 13. Adonc les femmes se retirerent en leurs maisons, faisans leur compte qu'il n'estoit plus besoing qu'elles s'empeschassent des affaires de la guerre, Amyot, Pyrrhus, 68.

ÉTYMOLOGIE

Bourguig. empoché, empêcher, ampigé, embarrassé ; wallon, épêchi, empêcher ; provenç. empedegar, et aussi empaichar, empaitar, enpazar, empechar. La forme provençale empaichar, etc. et la forme française empacher qui se trouve aussi (Assises de Jérus. p. 34, dans LACURNE), viennent, comme l'a montré Diez, d'une forme non latine, impactiare, pour impactare, dérivé du latin impactum, lancer contre. Mais le provençal empedegar et le français empeechier viennent de impedicare (de in, en, et pedica, piége ; voy. PIÉGE). Impedicare a donné empeechier, comme prædicare, preechier ; d'où la contraction consécutive empêcher ; on voit que l's qui se trouve dans les anciens textes est purement adventice.

SUPPLÉMENT AU DICTIONNAIRE

EMPÊCHER.
4S'empêcher, v. réfl. Ajoutez : C'est cela qui a été cause que vous n'avez pas eu plus souvent de ses lettres ; et elle s'en est empêchée pour ne vous pas mentir plus d'une fois, Voiture, Lett. 135.
5Neutralement, empêcher à quelqu'un, le gêner, lui créer des obstacles (emploi vieilli). Il croyait que l'archiduc était de ses amis, et qu'il ne lui empêcherait pas, Malherbe, Lexique, éd. L. Lalanne.

REMARQUE

Ajoutez :

5. Vaugelas dans ses Remarques note ceci : « Un de nos meilleurs auteurs a dit que quelqu'un avait fait rompre un pont, pour s'empêcher d'être suivi. À la prendre au pied de la lettre, cette expression s'empêcher d'être suivi, ne peut guère se concevoir ; cependant beaucoup l'approuvent. » Rien dans la grammaire ne fait obstacle à cette tournure, peu usitée sans doute. On dit : s'empêcher de faire ; et il faudra la prendre, si l'on veut après s'empêcher mettre un infinitif passif. Il s'empêcha d'être aimé, vaut certainement mieux que il empêcha qu'on l'aimât. Au Dictionnaire, voyez l'exemple de Mairet : Je m'empêcherais bien de servir de matière à la sévérité… Servir de matière est l'équivalent d'un verbe passif, et on pourrait le remplacer par être traité sévèrement. S'empêcher de signifiant se défendre peut être suivi d'un infinitif passif.